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Libre entretien sur l’été 1988 (4/5)

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On entend parfois dire que la Fraternité Saint-Pierre et les autres instituts ex-Ecclesia Dei auraient acheté leur fidélité à Rome au prix de leur silence. Le Père de Blignières s’oppose à cette contre-vérité : non, nous n’avons pas abandonné le combat pour la foi et la tradition, et le fait de le mener dans la communion visible de l’Église le rend plus efficace, plus complet, plus catholique.
Le P. Louis-Marie de Blignières est le fondateur et l’actuel prieur de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier. Retrouvez la première partie de son entretien sur l’été 1988 ici : Aux origines du mouvement traditionnel ; la deuxième partie ici : La difficile question des sacres ; la troisième partie ici : Pourquoi nous n’avons pas suivi les sacres.
 

Est-ce que les « ralliés » ont abandonné le combat pour la tradition ?

C’est là une accusation que l’on entend fréquemment. Ceux qui n’ont pas suivi la FSSPX après les sacres du 30 juin 1988 auraient « acheté » leur reconnaissance canonique par leur « silence » sur les erreurs et les déviations qui se manifestent dans l’Église depuis le concile. La réponse est négative. Les prêtres et fidèles de ce que l’on a appelé la mouvance Ecclesia Dei mènent bien un « combat pour la tradition », et ils le mènent, en un sens, plus efficacement, plus complètement et plus catholiquement que leurs censeurs.

 

Plus efficacement…

Plus efficacement, car ils le mènent in sinu Ecclesiæ (dans le sein de l’Église). Les critiques qu’ils émettent contre les erreurs et les déviations, du fait qu’elles proviennent de prêtres catholiques en situation régulière, ont un impact plus assuré (même s’il reste trop modeste) que celles qui viennent « de l’extérieur ». Elles peuvent être entendues de ceux des catholiques qui cherchent la vérité dans la crise actuelle de l’Église ; et elles peuvent être reçues par les pasteurs. Je prends trois exemples concernant le rapport à la hiérarchie. Le premier concerne le Catéchisme de l’Église catholique. Le passage sur la question disputée de la liberté religieuse contient certaines précisions, qui contribuent grandement à diminuer les équivoques du texte conciliaire : par la mention explicite du bien commun comme mesure des justes limites[1]C’était l’une des demandes de la « minorité » traditionnelle au Concile, cf. B. Tissier de Mallerais, op. cit., p. 328, note 3., et par le renvoi aux encycliques Quanta cura de Pie IX et Quas primas de Pie XI. Yves Chiron écrit à ce sujet :

 À travers le père Garrigues et le cardinal Schönborn, tous deux dominicains, le père de Blignières et d’autres théologiens du couvent Saint-Thomas-d’Aquin avaient pu faire introduire des précisions sur les formulations relatives à la liberté religieuse[2]Y. Chiron, op. cit., p. 374. Il s’agit des numéros 2104 à 2109 du Catéchisme de l’Église catholique..

Deux autres exemples sont tirés de la parution dans notre revue de contributions de théologiens amis, tous deux consulteurs de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi [CDF], qui ont eu un effet bénéfique contre les déviations post-conciliaires. Le premier est un article du père Albert Patfoort, o. p., sur la procession du Saint-Esprit, qui montre que la doctrine du Filioque était professée dès les origines, tant en Orient qu’en Occident[3]A. Patfoort, o. p., « Le Filioque avant le concile d’Éphèse », Sedes Sapientiæ, n° 69, automne 1999, pp. 35‑47. . Ce texte a efficacement contribué à écarter une conception erronée de l’œcuménisme chez les théologiens engagés dans le dialogue officiel avec les orthodoxes. Le second est une recension très critique du père Léo Elders[4]Léo-J. Elders, s. v. d., « Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux », Sedes Sapientiæ, n° 68, été 1999, pp. 64-100. sur un livre du père Jacques Dupuis, s. j., qui a préparé la Notification de la CDF en 2001 : « Le livre contient de graves ambigüités et des difficultés sur des points doctrinaux importants qui peuvent conduire le lecteur à des opinions erronées ou dangereuses[5]Notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiée dans l’Osservatore Romano du 26 février 2001.. » 

Un exemple frappant au niveau des fidèles a été la diffusion par les cercles Ecclesia Dei de l’analyse du cardinal Ratzinger sur la crise en général, qui a atteint beaucoup de catholiques perplexes. Un autre cas a été l’écho donné par ces milieux aux analyses liturgiques de Mgr Gamber et d’autres spécialistes qui ne sont pas de souche traditionaliste. Les Pèlerinages de Chrétienté, de 1989 à aujourd’hui, ont fait connaître à des dizaines de milliers de jeunes (qui n’auraient pas rejoint la FSSPX) les éléments essentiels du triptyque « Tradition, Chrétienté, Mission », remise en cause radicale de la pastorale progressiste. Sans compter les nombreux exposés dans des conférences et des camps d’été sur la crise dans l’Église et la réforme liturgique.

Plus complètement…

Plus complètement, car la mouvance Ecclesia Dei est plus vraiment traditionnelle sur un point essentiel[6]Reconnaissons que la FSSPX l’emporte nettement sur d’autres points, comme la lutte contre la mondanité et le relâchement dans les mœurs. que la FSSPX et les fidèles ou communautés qui la suivent. Il est en effet une partie fondamentale de la tradition catholique qui n’est plus honorée dans la position et l’action de ces derniers : l’union à la hiérarchie catholique. Le combat de ceux que l’on appelle « ralliés » tient ensemble deux éléments qui ne peuvent être séparés : la continuité dans le temps de ce qui vient (en matière de doctrine et de sacrements) des apôtres et l’union avec leurs successeurs.

Procéder à des sacres épiscopaux contre la volonté expresse du Souverain Pontife, c’est vraiment innover à l’encontre de la tradition catholique. Jean Madiran l’a exprimé de façon saisissante :

Les catholiques qui ont suivi Mgr Lefebvre l’ont fait parce que, face à une religion qui changeait, il leur a donné l’idée et les moyens de se retrancher sur le roc de s’en tenir à ce que l’Église a toujours fait. Pour cela, des prêtres, des chapelles, des prieurés, des écoles, avec une garantie, une assurance, implicitement une sorte de contrat : – Je n’ai pas de doctrine personnelle, disait-il. Je me suis tenu toute ma vie à ce qu’on m’a enseigné sur les bancs du séminaire français de Rome. Je n’ai rien inventé de nouveau. Nous ne pouvons pas nous tromper en nous attachant à ce que l’Église a enseigné pendant deux mille ans. Je fais ce que les évêques ont fait pendant des siècles et des siècles, je n’ai pas fait autre chose.

Mais voici précisément que Mgr Lefebvre, le 30 juin 1988, fait autre chose ; il fait quelque chose de nouveau : il consacre des évêques contre la volonté expressément notifiée du pape. On ne peut pas dire cette fois que les évêques ont fait cela pendant des siècles et des siècles. L’Église n’a enseigné, ni pendant deux mille ans, ni sur les bancs du séminaire français de Rome qu’on peut passer outre à une interdiction formelle du Souverain Pontife concernant la consécration de nouveaux évêques. Pour cet acte-là, voici que la garantie de s’en tenir à ce que l’Église a toujours fait vient de disparaître. Mgr Lefebvre est sorti du domaine où « nous ne pouvons pas nous tromper[7]Jean Madiran, « Duo dubia », Itinéraires, n° 330, février 1989, pp. 24-25. ».

Affirmer que « la tradition » ne peut être concrètement maintenue et vécue qu’en dehors de la hiérarchie catholique, n’est-ce pas une position fondamentalement non traditionnelle, et finalement non catholique ?

Citons seulement une encyclique vénérée à bon droit par la FSSPX : « Personne ne se trouve, personne ne persévère dans cette unique Église du Christ, s’il ne reconnaît et n’accepte par l’obéissance (obediendo agnoscat atque accipiat) l’autorité et le pouvoir de Pierre et de ses légitimes successeurs[8]Pie XI, Mortalium animos, 6 janvier 1928.. »

Plus catholiquement…

Plus catholiquement, car ce combat revêt un mode plus catholique parce que plus ecclésial. Le rôle des prêtres, des théologiens et des fidèles est de témoigner de la foi lorsque cela est requis et avec le mode requis.

Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, [les fidèles] ont le droit et même parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes[9]Code de droit canonique, can. 212 § 3..

Or on voit nombre de traditionalistes (évidemment pas seulement des lefebvristes…), même sans compétence, s’exprimer sur toutes sortes de media (spécialement par Internet), à toutes occasions, de façon véhémente et dénuée de la courtoisie et du respect nécessaires, spécialement vis-à-vis de la hiérarchie. On remarque que certains prêtres utilisent la chaire pour stigmatiser les errances ou les déviations des pasteurs au lieu de commenter la parole de Dieu[10]Mgr Augustine Di Noia, o. p., vice-président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, rappelait dans une lettre à Mgr Fellay à l’Avent 2012 : « Le charisme authentique de la Fraternité … Continue reading. Dans les écrits des théologiens et des supérieurs de la FSSPX, on note qu’une rhétorique assez simpliste remplace parfois l’argumentation. Est par exemple évoquée fréquemment « la foi moderniste » à propos de tout ce qui paraît discutable (et parfois l’est), même si cela relève de divergences, certes graves, mais seulement théologiques, ou de déviations progressistes qui n’ont qu’un rapport lointain avec le modernisme condamné par saint Pie X.

Un autre thème récurrent est celui de l’« Église conciliaire ». Cette expression très malheureuse a été employée par Paul VI[11]Paul VI, Radiomessage de Noël au monde, jeudi 23 décembre 1965 ; Audiences générales du mercredi 31 janvier 1968 et du mercredi 29 janvier 1969. et par Mgr Benelli[12]Message du 25 juin 1976 à Mgr Lefebvre pour l’exhorter « à la fidélité véritable à l’Église conciliaire » et lui interdire les ordinations prévues pour le 29 juin, par mandat spécial … Continue reading. Le cardinal Garrone a parlé de passage d’une « Église préconciliaire » à une « Église postconciliaire[13]Mgr Garrone, « De l’Église préconciliaire à l’Église postconciliaire », Osservatore romano du 25 décembre 1975, La Documentation catholique, n° 1703 du 1er août 1976. » pour soutenir au fond l’idée que le concile Vatican II fondait une nouvelle Église. Cette expression a été ensuite employée à satiété par les théologiens et les pasteurs progressistes.

Il est paradoxal qu’elle soit reprise par des traditionalistes, alors qu’elle n’a aucun contenu acceptable au regard de la doctrine traditionnelle. Elle pourrait désigner de façon sociologique un ensemble de tendances et d’actions (dont certaines ont favorisé de fait l’hérésie) qui se sont manifestées dans l’unique Église catholique dans et après le concile. Mais son emploi répété favorise de façon claire l’idée hérétique que l’Église romaine visible n’est plus l’Église catholique… Ainsi l’abbé Franz Schmidberger, Supérieur général de la FSSPX, déclare-t-il sans sourciller à propos du Catéchisme de l’Église catholique :

Malgré de belles pages et de bons exposés matériellement parlant, nous n’avons pas en mains, avec ce catéchisme, le manuel de la doctrine de l’Église catholique, mais bel et bien l’exposé de la foi moderniste de l’Église conciliaire[14]Le nouveau catéchisme est-il catholique ?, Éditions Fideliter, mai 1993, p. 8..

Tout en reconnaissant honnêtement que, sur certains points discutés, les supérieurs et théologiens des Instituts Ecclesia Dei auraient pu être plus présents ou plus incisifs, je récuse l’accusation sans nuances de « silence » qui leur est faite. Pour notre revue, je relève entre autres les contributions critiques : sur la réforme liturgique (nn° 40, 45, 49, 56, 84, 93, 107, 158), sur la vie religieuse dans le Code de droit canonique (n° 49), sur la repentance (nn° 74, 80 et 100), sur Assise (n° 80), sur Amoris lætitia (nn° 136, 137 et 140), sur Cor orans (n° 149), sur Traditionis custodes (n°159 et 160). La revue de la FSSP Tu es Petrus a publié depuis 2017 des articles ou des recensions sur des sujets « qui font problème » : Amoris lætitia, la procédure des nullités de mariage, l’œcuménisme, le rapport de l’Église à l’immigration, le Cœtus internationalis patrum (la « minorité traditionaliste au concile), la position de l’Église sur la peine de mort, la communion dans la main, le personnalisme, le célibat sacerdotal, le synode amazonien, le thème de l’« Église en sortie », l’impact d’Yves Congar sur la crise.

À quoi s’ajoute le fait que des publicistes ou des personnalités laïques qui n’ont pas accepté les sacres – notamment Jean Madiran, Bernard Antony, Yves Daoudal – sont restés très actifs et vigilants dans le domaine de la controverse doctrinale[15]Il suffit pour s’en convaincre de lire ce que Madiran écrivait dans Itinéraires, puis dans Présent, jusqu’à sa mort en 2013, et ce qu’Antony et Daoudal ont écrit dans les revues ou sur les … Continue reading.

Cliquer pour lire le dernier entretien : La situation de la FSSPX aujourd’hui.

Références

Références
1 C’était l’une des demandes de la « minorité » traditionnelle au Concile, cf. B. Tissier de Mallerais, op. cit., p. 328, note 3.
2 Y. Chiron, op. cit., p. 374. Il s’agit des numéros 2104 à 2109 du Catéchisme de l’Église catholique.
3 A. Patfoort, o. p., « Le Filioque avant le concile d’Éphèse », Sedes Sapientiæ, n° 69, automne 1999, pp. 35‑47.
4 Léo-J. Elders, s. v. d., « Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux », Sedes Sapientiæ, n° 68, été 1999, pp. 64-100.
5 Notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiée dans l’Osservatore Romano du 26 février 2001.
6 Reconnaissons que la FSSPX l’emporte nettement sur d’autres points, comme la lutte contre la mondanité et le relâchement dans les mœurs.
7 Jean Madiran, « Duo dubia », Itinéraires, n° 330, février 1989, pp. 24-25.
8 Pie XI, Mortalium animos, 6 janvier 1928.
9 Code de droit canonique, can. 212 § 3.
10 Mgr Augustine Di Noia, o. p., vice-président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, rappelait dans une lettre à Mgr Fellay à l’Avent 2012 : « Le charisme authentique de la Fraternité consiste à former des prêtres pour le service du peuple de Dieu, non à se donner la mission de juger et corriger la théologie et la discipline d’autrui dans l’Église » (site ReligioBlog de Jean-Marie Guénois, 20 janvier 2013).
11 Paul VI, Radiomessage de Noël au monde, jeudi 23 décembre 1965 ; Audiences générales du mercredi 31 janvier 1968 et du mercredi 29 janvier 1969.
12 Message du 25 juin 1976 à Mgr Lefebvre pour l’exhorter « à la fidélité véritable à l’Église conciliaire » et lui interdire les ordinations prévues pour le 29 juin, par mandat spécial du Souverain Pontife.
13 Mgr Garrone, « De l’Église préconciliaire à l’Église postconciliaire », Osservatore romano du 25 décembre 1975, La Documentation catholique, n° 1703 du 1er août 1976.
14 Le nouveau catéchisme est-il catholique ?, Éditions Fideliter, mai 1993, p. 8.
15 Il suffit pour s’en convaincre de lire ce que Madiran écrivait dans Itinéraires, puis dans Présent, jusqu’à sa mort en 2013, et ce qu’Antony et Daoudal ont écrit dans les revues ou sur les sites où ils se sont exprimés depuis 1988 jusqu’à aujourd’hui.
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