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Le Pater à la messe

Un jour, après avoir observé le Maître prier, un de ses disciples s’approche de lui pour lui demander : « Seigneur, apprenez-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples » ; et le Christ répond : « Lorsque vous priez, dites : (…) »[1]Cf. Lc 11, 1-2. Nous ne traiterons pas ici de la différence de présentation de la prière dominicale chez Matthieu et Luc. avant de leur enseigner le Notre Père. Vu l’auteur et la dignité de cette prière (que l’on appelle parfois « oraison dominicale, » c’est à dire « prière du Seigneur »), il n’est pas étonnant qu’elle se retrouve dans presque toutes les liturgies d’origine apostolique, bien que sa place dans le déroulement de la messe et sa manière d’être chanté diffèrent selon les liturgies[2]Par exemple, quant à la place : le Pater est chanté après la fraction dans tous les rites orientaux (sauf le byzantin, l’arménien et le maronite, qui le font après le Canon, comme le rite … Continue reading.

L’introduction du Pater dans la liturgie

Il semble bien que le Pater ait été très tôt inclus dans la liturgie, selon le chanoine Croegaert, car on le retrouve dans la Didachè (datée de la fin du premier siècle) suivi d’une doxologie d’ordre liturgique[3]« Car à toi est la puissance et la gloire dans les siècles ». Cf. Augustin Croegaert, Les rites et les prières du Saint Sacrifice de la Messe, t. 3, Averbode-Paris, Bonne Presse-Casterman, … Continue reading. Dès avant la fin du IVe siècle[4]À propos de l’absence d’attestations entre le premier et le quatrième siècle, nous pourrions mettre cela sur le compte de l’absence de documents d’époque qui nous soient parvenus, ainsi … Continue reading, on trouve des attestations de la présence du Pater dans les liturgies orientales[5]Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèses mystagogiques, V, 11-18.. Pour l’Église latine, on peut également affirmer que le Pater se trouve dans la liturgie au moins dès le IVe siècle ; par exemple, saint Augustin en parle dans l’une de ses lettres[6]Saint Augustin, Ep, 149, 16).. Et il serait étrange que l’usage n’ait pas été adopté dès cette époque dans la liturgie de Rome[7]Cf. Jungmann, op. cit., p. 200-201..

Pour saint Augustin, réciter le Pater avant de communier, c’est comme se laver le visage avant de s’approcher de l’autel :

 Pourquoi dit-on le Pater avant de recevoir le Corps et le Sang du Christ ? Pour le motif que voici : si comme le veut notre humaine fragilité, notre esprit a conçu quelque pensée inconvenante, si notre langue s’est échappée en paroles légères, si notre œil s’est arrêté à des spectacles malséants, si notre oreille s’est ouverte avec complaisance à des futilités… tout cela est effacé par la prière du seigneur, à ces paroles : remets-nous nos dettes, afin que nous puissions nous avancer rassurés et ne point manger et boire pour notre jugement ce que nous allons recevoir[8]Saint Augustin, Sermon aux néophytes (Denis), 6..

La place du Notre Père dans les prières de la messe

Dans le rite romain, depuis saint Grégoire le Grand (540-604), le Pater est placé juste après le Canon. Car, d’après ce saint pape, il est plus convenant de réciter sur l’oblation[9]C’est-à-dire le sacrifice du Corps et du Sang du Christ, opéré dans le Canon. la prière composée par le Seigneur, qu’une prière composée par un homme de lettres[10]Cf. Saint Grégoire le Grand, Lettre à Jean de Syracuse, cité par Martimort (op. cit.), p. 415 : « Nous disons l’Oraison dominicale aussitôt après le Canon, parce que telle a été la coutume … Continue reading. Placé à tel endroit, le Pater apparaît ainsi comme une prière sacrificielle, servant de conclusion solennelle à la grande prière de sacrifice qu’est le Canon[11]Cf. Michael Fiedrowicz, The Traditional Mass. History, Form and Theology of the Classical Roman Rite, Brooklyn, Angelico Press, 2020, p. 107.. « Deux raisons principales placent [le Pater] à cet endroit », commente Dom Vandeur : « dabord, à cause de son origine divine, [il] méritait un relief tout spécial ; il convenait quil suivît le Canon, de toutes les prières de la messe la plus digne et la plus solennelle, comme pour lappuyer, la confirmer, lagrandir, si lon peut dire, pour la sanctifier » ; ensuite, parce que la prière dominicale prépare de manière admirable à la cérémonie du baiser de paix, au moyen de la demande : « Pardonnez-nous nos péchés, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »[12]Cf. Dom Eugène Vandeur, La Sainte Messe, notes sur sa liturgie, Maredsous, Abbaye de Maredsous, 1937, p. 253., qui prépare l’union des cœurs.

Pourquoi le prêtre récite-t-il le Pater seul mais à voix haute ?

À la fin de la consécration, dont les prières sont dites par le prêtre à voix basse, le Pater fait contraste puisqu’il est dit à voix haute. Contrairement à la conclusion du Canon où la réponse « Amen » des fidèles est d’une grande importance comme ratification de tout ce qu’a accompli le prêtre par son sacerdoce, on ne répond pas « Amen » au Pater. C’est le prêtre qui le fait car cet « Amen » n’exprime pas comme dans les autres prières un désir ou une adhésion, mais il est la réponse de Dieu lui-même aux demandes du Pater. Le peuple par contre récite la dernière demande,

 C’est comme s’il disait : délivrez nous du mal, Seigneur, afin que vous soyez toujours glorifié en nous, que vous y régniez seul, que nous fassions votre volonté, que nous obtenions de votre bonté les biens spirituels et temporels, que nous méritions le pardon de nos péchés par l’amour sincère de nos frères, et que notre faiblesse ne soit point exposée aux tentations[13]Pierre Le Brun, Explication des prières et cérémonies de la Messe, p. 444

On aurait pu imaginer le Pater chanté par tous (en tant que préparation à la communion, tant pour les fidèles que pour le prêtre), et ce fut de fait probablement le cas dans la plupart des familles de liturgies. En Espagne même (liturgie mozarabe), le peuple ponctuait chaque demande d’ « Amen » retentissants. À Rome, saint Grégoire le Grand le réserva cependant au prêtre seul, et très vite apparut l’usage de conserver la dernière demande dite par les fidèles.

Nous pouvons donner plusieurs raisons à cette manière de faire.

  1. Tout d’abord, parce que « les premières demandes du Pater sont “une sorte de résumé et de récapitulation de la prière eucharistique qui précède”, formulé en courtes phrases, et sappliquent de manière excellente au sacrifice de la messe »[14]Cf. Fiedrowicz (op. cit.), qui résume un passage de Jungmann, Missarum sollemnia, t. 2..
  2. Ensuite, parce que le Pater peut être vu ici comme une prière sacrificielle, il convient dès lors qu’il soit récité par le prêtre qui offre le sacrifice de la messe, dont l’office est d’offrir des dons et des prières pour le peuple (cf. He 5, 1).
  3. Enfin, parce qu’à la messe, le prêtre agit comme ministre et représentant du Christ, tête de son Église, il convient qu’il prie le Pater seul, comme le Christ qui l’a enseigné à ses apôtres en le priant seul, et comme le Christ qui, tête de l’Église, prie encore aujourd’hui en son nom et pour elle.

Mais comme pour d’autres prières qui sont dites par le prêtre au nom de l’Église, et donc aussi des fidèles présents à la messe[15]Par exemple la Collecte, à la Secrète et à la Postcommunion., le fait qu’il les prie seul ne nous dispense pas de nous y associer ; et c’est dans ce but que la liturgie nous invite à répondre à ces prières. Dans le cas spécial du Pater, il s’agit de conclure avec foi, attention et dévotion la prière par la dernière demande, qui, on l’a vu, contient d’une certaine manière en elle les six précédentes.

Références

Références
1 Cf. Lc 11, 1-2. Nous ne traiterons pas ici de la différence de présentation de la prière dominicale chez Matthieu et Luc.
2 Par exemple, quant à la place : le Pater est chanté après la fraction dans tous les rites orientaux (sauf le byzantin, l’arménien et le maronite, qui le font après le Canon, comme le rite romain). Quant à la manière de chanter, les rites orientaux font chanter le Pater par le prêtre et l’assemblée ; le rite romain (comme à Milan et en Espagne) le fait chanter par le prêtre seul, la dernière demande étant chantée par l’assemblée. Cf. A.G. Martimort (dir.), Introduction à la liturgie, Tournai, Desclée & co., 1961, p. 414-415.
3 « Car à toi est la puissance et la gloire dans les siècles ». Cf. Augustin Croegaert, Les rites et les prières du Saint Sacrifice de la Messe, t. 3, Averbode-Paris, Bonne Presse-Casterman, 1939, p.236.
4 À propos de l’absence d’attestations entre le premier et le quatrième siècle, nous pourrions mettre cela sur le compte de l’absence de documents d’époque qui nous soient parvenus, ainsi que sur la discipline de l’arcane qui entourait la prière du Pater, et faisait qu’elle était considérée comme « un “mystère”, à tenir rigoureusement secret, à ne même pas mettre par écrit ». Cf. Joseph-André Jungmann, Missarum sollemnia. Explication génétique de la messe romaine, t. 3, Paris, Aubier, 1954, p. 211.
5 Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèses mystagogiques, V, 11-18.
6 Saint Augustin, Ep, 149, 16).
7 Cf. Jungmann, op. cit., p. 200-201.
8 Saint Augustin, Sermon aux néophytes (Denis), 6.
9 C’est-à-dire le sacrifice du Corps et du Sang du Christ, opéré dans le Canon.
10 Cf. Saint Grégoire le Grand, Lettre à Jean de Syracuse, cité par Martimort (op. cit.), p. 415 : « Nous disons l’Oraison dominicale aussitôt après le Canon, parce que telle a été la coutume des apôtres, qui en consacrant l’hostie de l’oblation, se contentaient de cette prière. Il nous eût paru inconvenant de réciter sur l’oblation une prière rédigée par un savant, et d’omettre de réciter sur le corps et le sang du Rédempteur celle qu’il a lui-même composée. De plus, l’Oraison dominicale chez les Grecs est dite par tout le peuple, tandis que chez nous, c’est le prêtre seul qui la récite. »
11 Cf. Michael Fiedrowicz, The Traditional Mass. History, Form and Theology of the Classical Roman Rite, Brooklyn, Angelico Press, 2020, p. 107.
12 Cf. Dom Eugène Vandeur, La Sainte Messe, notes sur sa liturgie, Maredsous, Abbaye de Maredsous, 1937, p. 253.
13 Pierre Le Brun, Explication des prières et cérémonies de la Messe, p. 444
14 Cf. Fiedrowicz (op. cit.), qui résume un passage de Jungmann, Missarum sollemnia, t. 2.
15 Par exemple la Collecte, à la Secrète et à la Postcommunion.
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