Benoît XVI, alias Joseph Ratzinger, l’un des papes les plus érudits et énigmatiques de l’histoire récente de l’Église catholique, a vu le jour lors d’une nuit de Vendredi Saint en 1927. Une date qui pourrait avoir été présage de l’empreinte qui allait marquer la vie de cet homme. La colossale biographie récemment publiée par Peter Seewald, nous découvre les détails fascinants de la vie de Benoît XVI, de son enfance humble à ses huit années de mission à la tête l’Église.
Acte III : Urbi et Orbi[1]« à la Ville et au monde. »
Récemment installé sur le siège de Pierre, Jean-Paul II le rencontre lors d’un voyage en Allemagne, puis le sollicite à plusieurs reprises pour venir le rejoindre à Rome. Après avoir refusé à plusieurs reprises, Joseph Ratzinger en 1981 reçoit la charge de préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (anciennement « Saint Office, » soit « monsieur doctrine » du Vatican et l’un des bras droits du pape). Il accepte à la condition de pouvoir continuer ses travaux scientifiques et ses publications.
La biographie de Peter Seewald insiste ensuite notamment sur son amitié discrète et respectueuse avec le pape Jean-Paul II, faite de confiance mutuelle et d’estime réciproque : le pape considérait son préfet comme l’un des plus grands théologiens de son temps, tandis que ce dernier voyait dans le pape un saint. Dans son rôle en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’ouvrage revient en particulier sur la manière dont Ratzinger a traité des questions brûlantes telles que la réponse à la théologie de la libération, les réprimandes adressées à certains théologiens hétérodoxes (dont plusieurs étaient d’anciens « collègues » : Küng, Drewermann). Il présente également la vie quasi monacale que mène à Rome le cardinal, habitant – toujours avec sa sœur Maria – un petit appartement proche du Vatican. Se dessine ainsi le chemin d’une existence au cœur de l’Église mais profondément empreinte de contemplation et de travail théologique.
Œuvre de journaliste, la biographie se concentre sur les rapports difficiles du théologien allemand avec les médias, dès les années de son épiscopat puis cardinalat, et surtout durant son pontificat. Il cite ainsi de nombreux articles de la presse allemande et internationale, et tente de revenir sur les tournants médiatiques de l’existence de celui qu’une frange – bien mal informée – de l’opinion appellera bientôt le « Panzerkardinal. » Des années romaines de Joseph Ratzinger, on retient aussi le fort retentissement de ses « Entretiens sur la foi, » livre publié en collaboration avec le journaliste Vittorio Messori en 1983, ou encore son rôle dans la rédaction du Catéchisme de l’Église Catholique. Comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, c’est enfin dans la lutte contre les abus perpétrés par des membres du clergé, notamment dans le domaine sexuel, que le cardinal s’illustre par une volonté claire et sa rigueur. Sous sa préfecture, les plus graves des peines prévues pour des clercs en la matière seront réservées à Rome, le plus haut niveau dans l’arsenal des sanctions ecclésiastiques. Le cardinal allemand s’est par ailleurs montré impartial dans la réaction face aux révélations progressives concernant le p. Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ et considéré comme proche de Jean-Paul II.
Dans les dernières années du pontificat de ce dernier, marquées par la maladie, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi continue à être le soutien efficace mais discret du pape, demeurant étranger aux intrigues de la curie. Il demande à plusieurs reprises sa mise à la retraite (puisqu’il avait été nommé au départ pour un mandat de cinq ans), mais voit ses demandes successives rejetées par le pontife polonais. Ayant eu la douleur de perdre sa sœur, Joseph Ratzinger se voyait, une fois libéré de ses fonctions romaines, couler des jours paisibles avec son frère Georg dans la petite maison qu’il avait achetée près de Ratisbonne.
Le printemps 2005, marqué par les derniers jours de Jean-Paul II, fut particulièrement intense pour le cardinal bavarois, qui accepta de remplacer le pape pour les principales cérémonies du carême et de la semaine sainte. Les mémoires conserveront en particulier l’image de ce chemin de croix poignant du Colisée. Quelques jours plus tard, c’est en tant que doyen du collège cardinalice que Joseph Ratzinger sera appelé à célébrer la messe d’obsèques du pape, selon un rituel propre qu’ils avaient retravaillé ensemble quelques années auparavant, puis la messe d’ouverture du conclave. En dépit de son absence affichée d’ambitions, l’allemand fut bientôt pressenti par un certain nombre de confrères pour rassembler une partie des votes. Les informations qui ont filtré des scrutins rapportent que son nom s’imposa bientôt face à un concurrent sud-américain : le cardinal Bergoglio, et finit par l’emporter, au deuxième jour du vote et au quatrième tour de scrutin, le 19 avril 2005.
Benoît XVI
Commence alors la dernière ligne droite de la vie d’un homme tranquille, et pourtant marquée par des revirements inattendus sous la motion du Saint Esprit. Le pontificat de Benoît XVI est présenté par Seewald dans ses grandes orientations, à travers les principaux discours et documents du pape, ses voyages et ses rencontres. La biographie revient encore sur les difficultés médiatiques rencontrées par le pontife allemand : affaires du discours de Ratisbonne, du préservatif en Afrique, levée des excommunications des évêques de la Fraternité Saint-Pie-X et affaire Williamson, Vatileaks, scandale des abus… Celui qui aurait voulu se reposer dans sa Bavière natale connut huit années mouvementées sur le siège de Pierre. Ce pontificat court fut pourtant marquant pour l’Église, tant par la haute tenue théologique des enseignements donnés durant les années de saint Paul, du sacerdoce, de la foi… que par le courage discret avec lequel le nouveau pape entreprit de remettre de l’ordre dans certaines affaires de la curie, en particulier en lien avec les finances et la banque du Vatican, et la gestion des abus sexuels.
Après le discours de 1961 préalable à l’ouverture du concile et le sermon donné à l’occasion de la messe d’ouverture du conclave de 2005, Seewald identifie comme troisième moment clé de la vie de Joseph Ratzinger la courte allocution donnée en latin au consistoire du 11 février 2013. Pour la première fois depuis des siècles, un pape allait démissionner de sa charge. Benoît XVI utilisait ainsi une possibilité sur laquelle Jean-Paul II lui avait demandé de se pencher en tant que théologien, conseiller et ami, mais qu’il n’avait pas voulu utiliser. Le 28 février il quittait Rome pour Castel Gandolfo, afin de laisser le champ libre aux cardinaux qui éliraient son successeur. Il revint ensuite pour une dernière période romaine, vécue dans le calme et la prière au sein du monastère Mater Ecclesiae, installé depuis 1994 dans les jardins mêmes du Vatican. C’est là que s’acheva le cours de sa vie terrestre, le 30 décembre 2022.
Une biographie définitive ?
La biographie de Peter Seewald est une somme impressionnante d’information sur la vie de Joseph Ratzinger, nourrie de remises en contexte très larges et détaillées. L’ensemble est enrichi par la connaissance personnelle que l’auteur a pu avoir du personnage au fil des nombreux entretiens particuliers accordés dans les dernières années de sa vie. On notera toutefois que si la biographie se veut « définitive, » comme l’annonce la couverture, elle semble parfois manquer de recul pour présenter la figure spirituelle du défunt pape. La première partie présente avec un grand souci du détail la formation de la personnalité intellectuelle du théologien allemand, à travers les différentes influences qui ont pu s’exercer sur lui durant sa période de formation. On semble en revanche découvrir sa stature spirituelle plus profondément dans la seconde partie, à travers certaines impressions personnelles retirées par l’auteur de ses propres rencontres avec Joseph Ratzinger, ou dans sa relation avec Jean-Paul II. Un lecteur des grands textes de Benoît XVI sera peut être étonné, par exemple, de ne pas voir mentionner plus expressément la relation profonde de l’homme avec la parole divine méditée dans la Sainte Écriture tout au long de la vie, et qui apparaît comme une constante au fil de ses sermons, de ses discours et de ses livres.