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L’Église peut-elle changer les sacrements ?

Constitués par une matière et une forme qui les explicite, les sacrements sont les signes visibles et efficaces de la grâce. Institués par le Christ, parfois promulgués par les apôtres, certains ont été précisés quant à leur rite par l’Église, ce qui ne va pas sans quelques difficultés et débats…

Les sacrements : institution du Christ lui-même

Les Apôtres et leurs successeurs sont les vicaires de Dieu pour le gouvernement de cette Église qui est constituée par la foi et les sacrements de la foi. Aussi, de même qu’ils ne peuvent constituer une autre Église, ils ne peuvent transmettre une autre foi, ni instituer d’autres sacrements ; c’est “par les sacrements qui coulèrent du côté du Christ crucifié” que l’Église du Christ a été constituée[1]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique [ci-dessous ST], IIIa, qu. 64, a. 2, ad 3m.

Il n’est donc pas au pouvoir de l’Église, mais seulement du Christ, d’instituer les sacrements. C’est l’enseignement du concile de Trente :

 Si quelqu’un dit que les sacrements de la Loi nouvelle n’ont pas été tous institués par Jésus-Christ Notre Seigneur ou bien qu’il y en a plus ou moins que sept, à savoir : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage, ou encore que l’un de ces sept n’est pas vraiment et proprement un sacrement : qu’il soit anathème[2]Concile œcuménique de Trente, VIIe Session, 3 mars 1547, DH 1601.

Le pouvoir de l’Église sur les sacrements

Ce point étant fermement établi, il demeure que l’histoire nous apprend que certains rites par lesquels sont conférés les sacrements ont connu des modifications. Il faut donc reconnaître que l’Église possède sur eux un certain pouvoir, nécessairement limité. Outre l’impossibilité d’instituer de nouveaux sacrements, ou d’en supprimer certains, le pouvoir de l’Église sur les sacrements ne peut concerner leur substance. Ainsi, le concile de Trente :

 Le concile déclare […] que dans l’administration des sacrements il y eut toujours dans l’Église le pouvoir de décider ou de modifier, la substance de ces sacrements étant sauve, ce qu’elle jugerait mieux convenir à l’utilité de ceux qui les reçoivent et au respect des sacrements eux-mêmes, selon la diversité des choses, des temps et des lieux[3]Concile œcuménique de Trente, XXIe Session, 16 juillet 1562, DH 1728.

Saint Pie X affirme également que « l’Église n’a aucunement le droit d’innover en quoi que ce soit s’agissant de la substance même des sacrements[4]Saint Pie X, Lettre Ex quo, nono, DH 3556 ». Enfin, Pie XII a précisé ce qu’il fallait entendre par « substance » des sacrements :

 […] selon l’enseignement du concile de Trente, les sept sacrements de la Nouvelle Loi ont été tous institués par Notre Seigneur Jésus-Christ et l’Église n’a aucun pouvoir sur “la substance des sacrements”, c’est-à-dire sur les choses que, au témoignage des sources de la révélation, le Christ, Notre-Seigneur, a prescrit de maintenir dans le signe sacramentel[5]Pie XII, Constitution apostolique Sacramentum ordinis, 30 novembre 1947, DH 3857.

Ce que l’Église ne peut toucher : la substance des sacrements

Pour éclairer cette notion de « substance des sacrements », mentionnons quelques exemples.

– Le contexte de la citation de saint Pie X ci-dessus, à savoir la réfutation d’une erreur concernant la doctrine de l’eucharistie, indique que les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ appartiennent à la substance du sacrement de l’eucharistie.

– Également, les théologiens admettent par exemple que l’emploi d’eau pour le baptême, ainsi que de pain de froment et de vin de vigne pour l’eucharistie relèvent de la substance du sacrement.

– En revanche, le contexte de l’enseignement de Pie XII, indique que le rite essentiel de l’ordination a pu changer au cours de l’histoire (imposition des mains ou tradition des instruments) sans que soit pour autant touchée la substance du sacrement.

Résumons : en instituant les sacrements, le Christ n’a pas déterminé immuablement toutes les choses qui, dans les rites essentiels de tous les sacrements sont actuellement requises à leur validité. Une certaine mutabilité est admise dans le rite essentiel de certains sacrements, demeurant toujours sauves leur signification et leur efficacité particulières.

Un exemple avec le sacrement de l’ordre

Ainsi, pour l’ordination sacerdotale dans l’église latine la matière est actuellement la première imposition des mains de l’évêque, qui se fait en silence, et la forme est actuellement constituée par les paroles de la Préface, dont les suivantes sont essentielles et partant nécessaires pour la validité :

Da, quaesumus, omnipotens Pater, in hunc famulum tuum Presbyterii dignitatem ; innova in visceribus eius spiritum sanctitatis, ut acceptum a Te, Deus, secundi meriti munus obtineat censuramque morum exemplo suae conversationis insinuet.

Donnez, nous vous en supplions, Père tout-puissant, à votre serviteur ici présent la dignité du sacerdoce ; renouvelez dans son cœur l’esprit de sainteté, afin qu’il exerce cette onction du second ordre [de la hiérarchie] que vous lui confiez et que l’exemple de sa vie corrige les mœurs[6]Pontificale Romanum. Cf. Pie XII, Sacramentum ordinis, n. 5.

Mais, au jugement de plusieurs théologiens, s’appuyant entre autres sur les déterminations du concile de Florence[7]Cf. Concile œcuménique de Florence, Bulle Exsultate Deo, 22 novembre 1439, DH 1326, il n’en a pas toujours été ainsi dans l’Église latine. Pendant plusieurs siècles, la matière de l’ordination sacerdotale était la tradition des instruments – rite dans lequel l’évêque fait toucher à l’ordinand un calice contenant du vin et surmonté d’une patène sur laquelle est déposée une hostie – tandis que la forme était constituée par les paroles que l’évêque prononce à ce moment :

Accipe potestatem offerre sacrificium Deo, Missasque celebrare, tam pro vivis, quam pro defunctis. In nomine Domini.

Reçois le pouvoir d’offrir le sacrifice dans l’Église pour les vivants et les morts. Au nom du Seigneur[8]Pontificale Romanum.

Le P. Bouëssé explique pourquoi, malgré la diversité des rites essentiels, la substance du sacrement demeure inchangée :

La signification symbolique pourra évoquer avant tout la continuité et l’homogénéité du pouvoir résidant dans l’évêque avec le pouvoir transmis au nouveau prêtre [c’est le cas de l’imposition des mains] ; elle pourra s’attacher de préférence à l’objet principal du pouvoir communiqué [c’est le cas de la tradition des instruments]. Dans les deux cas, la même signification spécifique sera réalisée. Le même geste sera accompli ; car, […] la matière de l’Ordre, dans l’Église latine d’hier, n’était pas le calice avec le vin et la patène avec le pain, mais bien le geste de l’évêque qui livre les instruments et les matières, symbole du Sacerdoce en son principal objet, tandis que l’imposition des mains tire son symbolisme expressif de la dérivation du pouvoir sacerdotal comme de son principal sujet, comme du Chef qui a puissance de communiquer le pouvoir qu’il détient[9]Humbert Bouëssé OP, Le Sauveur du monde, vol. 4 : L’Économie sacramentaire, Collège théologique dominicain, Chambéry-Leysse – Office générale du Livre, Paris, 1951 [Doctrina sacra, t. … Continue reading.

Le P. Bouëssé conclut :

À moins que le Christ n’en ait disposé autrement, aucune limite dans les mutations de la matière ontologique des sacrements n’est assignable, dès lors qu’est sauf le symbolisme matériel adapté aux paroles. De même, aucune limite n’est assignable aux mutations de la forme verbale, dès lors qu’est sauf le sens du rite[10]ibid.,  p. 69-70.

Références

Références
1 Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique [ci-dessous ST], IIIa, qu. 64, a. 2, ad 3m
2 Concile œcuménique de Trente, VIIe Session, 3 mars 1547, DH 1601
3 Concile œcuménique de Trente, XXIe Session, 16 juillet 1562, DH 1728
4 Saint Pie X, Lettre Ex quo, nono, DH 3556
5 Pie XII, Constitution apostolique Sacramentum ordinis, 30 novembre 1947, DH 3857
6 Pontificale Romanum. Cf. Pie XII, Sacramentum ordinis, n. 5
7 Cf. Concile œcuménique de Florence, Bulle Exsultate Deo, 22 novembre 1439, DH 1326
8 Pontificale Romanum
9 Humbert Bouëssé OP, Le Sauveur du monde, vol. 4 : L’Économie sacramentaire, Collège théologique dominicain, Chambéry-Leysse – Office générale du Livre, Paris, 1951 [Doctrina sacra, t. IV], p. 57-58
10 ibid.,  p. 69-70
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