À l’unité dans la personne du Christ des natures humaine et divine correspond la volonté de Dieu de réunir en nous ce qui fut jadis séparé par le péché : la nature et la grâce. L’Incarnation dessine notre chemin spirituel.
Filiation divine naturelle et adoptive : le Fils nous rend fils
Jésus est Fils de Dieu par nature, afin que nous puissions l’être par grâce : Fils unique, éternellement engendré par le Père, il vient à nous pour que nous devenions à notre tour des fils – par adoption.
Vous avez reçu, un Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père ! Cet Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, pour être glorifiés avec lui[1]Rm 8, 15-17.
C’est en effet en raison de cette filiation divine naturelle que le sacrifice du Christ est efficacement propitiatoire : en vertu de sa nature divine, l’offrande que Jésus fait de sa vie recouvre une valeur infinie, propre à racheter tous nos péchés et à nous donner droit à l’héritage du salut.
C’est en lui que nous avons la rédemption acquise par son sang, la rémission des péchés, selon la richesse de sa grâce, que Dieu a répandue abondamment sur nous en toute sagesse et intelligence, en nous faisant connaître le mystère de sa volonté, selon le libre dessein que s’était proposé sa bonté, pour le réaliser lorsque la plénitude des temps serait accomplie, à savoir, de réunir toutes choses en Jésus-Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre[2]Ep 1, 7-10.
Cette filiation adoptive obtenue en Jésus est cause de notre amitié retrouvée : l’amitié suppose le partage d’un bien commun. En vertu de notre similitude de nature, Jésus nous fait partager le bien commun de la gloire divine apportée par la croix, qui rend possible le salut.
C’est en tant qu’homme que le Christ nous touche et nous sauve : on peut ainsi dire que Jésus nous aime de l’amour éternel et incréé du Verbe de Dieu, amour créateur et conservateur de notre être, de l’amour spécial de charité qu’opère en nous la grâce, mais aussi qu’il nous aime en tant qu’homme, en tant que sa sainte humanité, toujours vivante, nous mérite et nous communique les bienfaits infinis du salut[3]C’est la belle intuition du P. Bernadot, De l’eucharistie à la Trinité, Cerf, Foi Vivante, 1986, p. 41.
Le Christ nous sauve par son corps
Autour de l’Incarnation, espace et temps sont abolis : ce sont tous les âges, antérieurs et postérieurs, qui sont touchés par l’ombre ou la lumière de la croix du Christ.
En son corps mortel Jésus assume nos faiblesses et prend sur lui nos péchés, allant jusqu’à donner pour nous sa vie. En son corps glorieux, conjoint à sa nature divine dans son unique personne de Fils, il demeure pour l’éternité l’instrument de notre sanctification.
Les sacrements sont les causes de la grâce à titre d’instruments séparés, l’humanité sainte de Jésus en est l’instrument conjoint : l’efficacité des sacrements est donc attribuée en définitive à l’humanité du Christ – jadis souffrante – unie à sa divinité. Aujourd’hui et chaque jour, le Christ agit du haut du ciel par son corps glorieux, en se servant des prêtres comme ministres et des sacrements comme instruments.
Le corps du Christ est enfin présent pour nous dans un mode unique, sacramentel, dans la sainte eucharistie : le discours de Jésus sur le « pain de vie[4]Jn 6, 24-59 » et saint Paul[5]1Co 11, 18-31 insistent sur le réalisme de cette présence du corps eucharistique du Sauveur.
Le Christ est enfin présent et agissant à travers son corps mystique, comme chef invisible de l’Église. Nouvel Adam, il est la tête du corps qu’est l’Église, dont nous sommes membres par la grâce sanctifiante, qui nous conduit à une unité toujours plus grande dans la charité envers Dieu et le prochain.
Car, comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ[6]1Co 12, 12-17.
L’homme est sauvé par son corps
La sagesse divine pourvoit à chaque être selon son mode : “Elle dispose tout harmonieusement” dit le livre de la Sagesse. Et en saint Matthieu : “Il donne à chacun à la mesure de ses forces.” Or, il est dans la nature de l’homme de parvenir à la connaissance des choses intelligibles au moyen des choses sensibles[7]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 60, a. 4.
L’économie sacramentelle est une manifestation éclatante de la puissance et de la miséricorde divine : Dieu réalise en nous le salut d’une manière qui nous est parfaitement adaptée. La grâce, méritée et transmise par la sainte humanité du Christ, instrument conjoint de sa divinité, vient nous rejoindre par l’intermédiaire de signes sensibles, propres à nous toucher et nous faire connaître la réalité de l’action divine envers nous. Ainsi par les sacrements Jésus nous sauve en passant par notre propre corps.
Notre corps est encore cette partie constitutive de notre être que nous sommes appelés à présenter à Dieu comme offrande : instrument conjoint de notre sanctification, le corps est la matière de nos actes d’amour et de nos sacrifices.
Je vous exhorte donc, mes frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous lui devez[8]Rm 12, 1.
Par la grâce nos corps deviennent ainsi les membres du Christ, les temples du Saint-Esprit, appelés à rendre gloire à Dieu au travers des tribulations et des persécutions.
Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? […] Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n’êtes plus à vous-mêmes ? Car vous avez été rachetés à grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps[9]1Co 6, 15-20.
Nous sommes opprimés de toute manière, mais non écrasés ; dans la détresse, mais non dans le désespoir ; persécutés, mais non délaissés ; abattus, mais non perdus ; portant toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps[10]2Co 4, 8-11.
Notre religion prend ainsi en compte toutes les dimensions de notre être, corporel et spirituel : un culte qui ne concernerait que les facultés spirituelles serait désincarné, marqué par un faux angélisme. Face à cette tentation sous-jacente aux nombreuses formes de dualisme contemporain, le réalisme de la spiritualité chrétienne est un réalisme du corps. C’est avec notre corps que nous sommes sauvés, par lui, à travers l’incorporation par la grâce au corps du Christ naissant, souffrant et ressuscité.
Références[+]
↑1 | Rm 8, 15-17 |
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↑2 | Ep 1, 7-10 |
↑3 | C’est la belle intuition du P. Bernadot, De l’eucharistie à la Trinité, Cerf, Foi Vivante, 1986, p. 41 |
↑4 | Jn 6, 24-59 |
↑5 | 1Co 11, 18-31 |
↑6 | 1Co 12, 12-17 |
↑7 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 60, a. 4 |
↑8 | Rm 12, 1 |
↑9 | 1Co 6, 15-20 |
↑10 | 2Co 4, 8-11 |