Nous proposons ici en série les éléments du riche article publié à l’automne dernier par Mgr Kruijen dans Sedes Sapientiae, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Revue.
L’article peut-être retrouvé dans son intégralité dans Sedes Sapientiae, revue de formation théologique et spirituelle de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier.
Dans la première partie de l’article, Mgr Kruijen montre que l’Église n’est ni faussement inclusive ni exclusive, et extrait six propositions prétendant étayer un changement de doctrine de l’Église, auxquelles il répond en détail ici.
Proposition 2 : « La doctrine de l’Église reste pour l’instant toujours une condamnation des actes homosexuels, mais pas de l’homosexualité, puisque ce n’est pas un choix. »
L’affirmation selon laquelle l’homosexualité n’est pas un choix mérite pour le moins des éclaircissements. Il est vrai que, selon le Catéchisme de l’Église catholique (ci-après CEC), les personnes concernées « ne choisissent pas leur condition homosexuelle » (CEC, no 2358). Est-il pour autant légitime d’essentialiser l’homosexualité, au point d’en faire un déterminisme ontologique ou physique / physiologique de la personne ? Comme on le sait, le prétendu « gène de l’homosexualité » est demeuré introuvable. Une personne n’est (ou ne naît) pas homosexuelle comme elle est (ou naît) homme ou femme, blanche ou noire.
Quelle que soit l’origine de l’homosexualité, la dignité de l’homme est sa liberté
On objectera que le déterminisme dont il s’agit ne relève pas du plan physique, mais psychique (au sens large), comme s’il s’agissait d’une sorte d’habitus entitatif[1]Qui qualifie l’être d’un sujet. ne permettant pas à la personne d’être autrement[2]Cette approche essentialiste et bien souvent idéologisée a des conséquences légales redoutables, puisque la législation de plusieurs États interdit aux praticiens d’accompagner les personnes … Continue reading. Cette hypothèse est cependant infirmée par les faits, puisqu’il arrive que des personnes cessent d’être homosexuelles[3]Voir par exemple Formerly Gay Man Could Go to Jail After Sharing Testimony of Finding God, Embracing Bible (Matthew Grech) (consultation le 21 août 2023)..
Quant aux actes homosexuels, on ne saurait en faire une suite nécessaire de la « condition homosexuelle », car cela contredirait l’anthropologie révélée qui insiste sur la liberté foncière de l’homme, laissé par Dieu « à son libre arbitre » (Si 15, 14). Ce dernier correspond au « pouvoir, enraciné dans la raison et la volonté, d’agir ou de ne pas agir, de faire ceci ou cela, de poser ainsi par soi-même des actions délibérées. Par le libre arbitre chacun dispose de soi » (CEC, no 1731). Même les multiples conditionnements relevés par les sciences humaines ne doivent ni ne peuvent obscurcir cette précieuse vérité, reçue en ces mots par une grande mystique : « L’âme est libre, libérée du péché dans le sang de mon Fils, et ne peut être dominée si elle ne veut y consentir avec la volonté qui est liée au libre arbitre[4]Catherine de Sienne, Le Dialogue, 51 (traduit par Lucienne Portier, Paris, Cerf, 21999, p. 91).. » Si la tendance homosexuelle peut certainement être prégnante, elle ne saurait constituer un instinct irrépressible supprimant la liberté.
La vision de la Révélation biblique : une haute idée de toute personne humaine
À une vision anthropologique déterministe et foncièrement fataliste, la Révélation biblique et l’enseignement ecclésial subséquent opposent une approche plus confiante dans les ressources de la nature humaine (surtout aidée par la grâce), et ce non en raison d’un optimisme de principe, mais d’une théologie de la création fondée sur la Révélation. À partir de ce fondement, l’Église refuse de faire des personnes homosexuelles une catégorie d’êtres humains à part, comme si elles seules étaient privées de la possibilité de disposer de soi (voir CEC, no 1731 cité ci-dessus). Au contraire, elle les croit dotées de liberté comme les personnes hétérosexuelles et, partant, capables de maîtriser leurs actes. Il est donc parfaitement cohérent qu’elle les appelle à pratiquer les vertus chrétiennes de maîtrise de soi et de chasteté, notamment, comme tous les autres chrétiens (cf. CEC, no 2359).
Il est navrant de devoir constater que l’enseignement de l’Église en matière d’homosexualité, qui est commandé par une haute idée de la dignité de la personne humaine, qu’elle soit hétérosexuelle ou homosexuelle, est fréquemment interprété comme un message de mépris. C’est le contraire qui est vrai. Il est significatif à cet égard que le « monde », et parfois les milieux homosexuels eux-mêmes, usent assez souvent d’un langage vulgaire pour parler des intéressés, tandis que l’Église, plus respectueuse, parlera toujours d’une personne homosexuelle, etc.
Ce qui précède n’enlève rien au fait que, dans sa pratique pastorale, l’Église témoigne d’une grande compréhension pour les difficultés et les faiblesses pesant sur la nature humaine déchue. Elle sait, en particulier, que « l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées, voire supprimées par l’ignorance, l’inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et d’autres facteurs psychiques ou sociaux » (CEC, no 1735).
Proposition 3 : « Ce que fait la personne dans son intimité ne nous regarde pas et nous n’avons pas à juger ça ! »
On ne peut soustraire d’emblée les actes accomplis dans la sphère intime du domaine de la responsabilité et donc de la moralité des actes humains. Beaucoup d’actes peccamineux sont commis presque toujours dans un cadre intime, occulte, ce qui n’empêche pas qu’ils soient condamnés par la loi divine (dans les cas de l’adultère ou de l’autoérotisme, voir par exemple Si 23, 16-19) ou même par la loi humaine (dans le cas d’un viol, par exemple). D’autre part, la tradition biblique et chrétienne connaît des péchés commis seulement en pensée (voir par exemple Mt 5, 28 et le Confiteor de la messe romaine).
Proposition 4 : « Dieu aime chacun tel qu’il est, pas tel qu’il aurait aimé être ou tel que l’on aimerait qu’il soit ! »
À cette vision statique, on opposera le dynamisme évangélique qui croit que, aidé par la grâce, tout homme « peut mieux faire ». Certes, Dieu aime le pécheur et comprend sa faiblesse, mais il l’appelle simultanément à la conversion et à la sainteté[5]1 Th 4, 7 : « Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté mais à la sanctification. », de sorte qu’« il serait absurde de concevoir un pardon de Dieu qui ne comporterait pas le retour du pécheur[6]Stanislas Lyonnet, art. « Péché », Vocabulaire de théologie biblique [1962], sous la dir. de Xavier Léon-Dufour et al., Paris, Cerf, 71991, col. 941. Le fait que le pardon soit conditionné … Continue reading » : « Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés[7]Cf. Lc 24, 47 ; Ac 5, 31 ; 11, 18 ; 26, 18. » (Ac 3, 19). L’omission de cet appel à la conversion et à la repentance, qui est une partie essentielle du message biblique et évangélique[8]Voir par exemple Is 1, 16-17 ; 55, 7 et les premiers mots programmatiques de Jésus en Mc 1, 15., revient à changer la nature même de ce message. Si l’amour de Dieu consistait à laisser simplement chacun dans l’état où il se trouve, à l’« accompagner » (vers où ?) en renonçant à le tirer vers le haut, Jésus se serait contenté de dire à la femme adultère : « Je ne te condamne pas », sans ajouter aussitôt : « Va, désormais, ne pèche plus » (Jn 8, 11). Contre un christianisme saturé de sentimentalisme, édulcoré et affadi, il est indispensable de faire résonner à chaque génération l’injonction prophétique de Jésus dans toute sa véhémence : « Si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous pareillement » (Lc 13, 3.5).
Lisez aussi notre article : Chrétiens, soyez chastes
Références[+]
| ↑1 | Qui qualifie l’être d’un sujet. |
|---|---|
| ↑2 | Cette approche essentialiste et bien souvent idéologisée a des conséquences légales redoutables, puisque la législation de plusieurs États interdit aux praticiens d’accompagner les personnes souhaitant librement quitter les pratiques homosexuelles, tandis qu’il est permis aux groupes militants d’inciter les personnes hétérosexuelles (jeunes, notamment) à s’y adonner. |
| ↑3 | Voir par exemple Formerly Gay Man Could Go to Jail After Sharing Testimony of Finding God, Embracing Bible (Matthew Grech) (consultation le 21 août 2023). |
| ↑4 | Catherine de Sienne, Le Dialogue, 51 (traduit par Lucienne Portier, Paris, Cerf, 21999, p. 91). |
| ↑5 | 1 Th 4, 7 : « Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté mais à la sanctification. » |
| ↑6 | Stanislas Lyonnet, art. « Péché », Vocabulaire de théologie biblique [1962], sous la dir. de Xavier Léon-Dufour et al., Paris, Cerf, 71991, col. 941. Le fait que le pardon soit conditionné par la conversion allait de soi, tant dans le judaïsme que pour Jésus (cf. Rudolf Schnackenburg, Das Evangelium nach Markus, vol. I, Düsseldorf, Patmos Verlag, 1966, p. 93). |
| ↑7 | Cf. Lc 24, 47 ; Ac 5, 31 ; 11, 18 ; 26, 18. |
| ↑8 | Voir par exemple Is 1, 16-17 ; 55, 7 et les premiers mots programmatiques de Jésus en Mc 1, 15. |