D’où vient l’expression « pleurer comme une Madeleine » ? Pleureuse n’est pas un titre de gloire, « un saint triste est un triste saint. » Et pourtant sainte Marie Madeleine est aussi connue comme l’apôtre des apôtres, une sainte fidèle jusqu’au pied de la croix, qui eut le bon goût, on le croit, de finir sa vie en France. Voici les grandes lignes de sa vie.
Vivre sans le Christ ou avec lui ?
Qui est sainte Marie-Madeleine ? Au départ, une pauvre femme, tourmentée par les démons. Issue de la ville de Magdala, d’où son surnom de Madeleine, elle avait sans doute reçu bien des grâces de la part de Dieu : mais elle les avait refusées, au point de rejeter Dieu lui-même. Saint Luc (Lc 8, 2) précise qu’avant sa rencontre avec le Christ, elle était tourmentée par sept démons : sept, chiffre symbolique qui indique la plénitude, la stabilité, la perfection. Nous pourrions résumer: Marie Madeleine, sans le Christ, était pécheresse, enferrée dans le péché, incapable par elle-même de sortir de cette misère. Et pourtant, son histoire ne s’arrête pas là : elle eut la grâce de croiser Jésus, et de coopérer à son salut par sa bonne volonté. Voici comment (Lc 7, 36-38 ; 44-50).
Un Pharisien invita [Jésus] à manger avec lui ; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Et voici une femme, qui dans la ville était une pécheresse. Ayant appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Et se plaçant par derrière, à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; et elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfum […] Se tournant vers la femme : “Tu vois cette femme ? Dit-il à Simon. Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds ; elle, au contraire, m’a arrosé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser ; elle, au contraire, depuis que je suis entré, n’a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as pas répandu d’huile sur ma tête ; elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds. A cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on remet peu montre peu d’amour.” Puis il dit à la femme : “Tes péchés sont remis.” Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : “Qui est-il celui-là qui va jusqu’à remettre les péchés ?” Mais il dit à la femme : “Ta foi t’a sauvée ; va en paix.”
Ce sont les premiers pleurs, la première onction de pénitence, ce fut le geste par lequel Marie de Magdala retrouva la vie de la grâce, la sainteté pour laquelle Dieu l’avait créée !
La famille de Marie
Sainte Marie Madeleine se mit alors à suivre le Christ sur son parcours itinérant, avec quelques autres femmes et les disciples. Or il se rendait régulièrement à Jérusalem pour prier dans le Temple et annoncer aux foules la bonne nouvelle du Royaume : la petite troupe eut vite comme base arrière une maison de la famille de Marie, située à Béthanie. C’est là que nous retrouvons sainte Marie Madeleine, aux pieds du maître, tandis que sa sœur Marthe vaque sans cesse aux besoins de ses hôtes (Lc 10, 38-42). Face à ses préoccupations légitimes mais envahissantes, Jésus loue la simplicité de Marie : « “Marthe, Marthe, tu te soucies et t’agites pour beaucoup de choses ; pourtant une seule est nécessaire. C’est Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée.” »
Cette famille de Béthanie, Jésus en fit ses amis, tant les deux sœurs que leur frère Lazare. Or il advint que Lazare tomba gravement malade, au point que ses jours furent en danger. Averti par les saintes sœurs, Jésus ne vient que tard auprès de la famille éplorée : il arrivait trop tard, Lazare était déjà mort depuis quatre jours (Jn 11, 1-44). Tandis qu’il approchait, Marthe sortit à sa rencontre, et s’ensuivit un bel échange de foi sur la résurrection des morts. Mais quand Marthe annonça à Marie « le maître et là, et il t’appelle », la Madeleine ne put que courir dehors et épancher son chagrin en pleurant aux pieds de Jésus. Touché de compassion, Notre Seigneur fit alors un miracle sans précédant : il ressuscita Lazare, un homme dans la force de l’âge ! Les pleurs de sainte Marie Madeleine venaient d’obtenir une nouvelle grâce, non tant pour elle que pour son frère.
L’onction à Béthanie
Après cet incident, la vie reprit pour tous. Il y avait eu de nombreux témoins de la mort de Lazare, beaucoup étaient venus de Jérusalem soutenir la famille endeuillée : trop de témoins de la puissance miraculeuse du Christ. Le Sanhédrin résolut de le faire mourir, et Jésus le savait. Le soir du mardi précédant la Pâque, il vint dîner à Béthanie avec ses disciples. Voici le récit qu’en donne saint Jean (Jn 12, 1-8).
Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, que Jésus avait ressuscité d’entre les morts. On lui fit là un repas. Marthe servait. Lazare était l’un des convives. Alors Marie, prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux ; et la maison s’emplit de la senteur du parfum ». On connaît la réaction avare de Judas. « Jésus dit alors : “Laisse-la : c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours.”
Après l’onction de pénitence, voilà une onction d’amour et de compassion !
Du pied de la croix au matin de Pâques
Après l’onction, vient la Passion. Et la dispersion des apôtres, qui abandonnent leur Maître… Sainte Marie Madeleine, en revanche, reste au pied de la croix : elle est avec Notre Dame ; elle assiste impuissante, le coeur brisé, à la mise à mort du Seigneur, elle guette ses moindres souffrances, elle reste là, victime d’amour s’unissant à l’oblation du Sauveur. Voilà encore la Madeleine en larmes, souffrant avec Notre Seigneur. Et après le grand cri, après la fin, elle demeure là, jusqu’à ce que quelques hommes, Joseph d’Arimathie et Nicodème, viennent reprendre le corps du Sauveur et l’ensevelir dans un tombeau (Jn 19,38-42). Le soleil va bientôt se coucher, il est trop tard pour l’embaumer : elle décide de revenir après le grand Sabbat, elle retient le lieu de la sépulture.
Le jour a passé, et voilà l’aube du dimanche. Avec quelques femmes, Marie Madeleine se rend en hâte au tombeau, ayant prévu les aromates mais pas le moyen de rouler la pierre qui sert de porte au tombeau. Quand elles y arrivent, stupéfaction : la pierre est roulée, et le corps du Christ n’est plus là ! Un jeune homme leur dit que le Christ est ressuscité, mais ce message habituel pour nous, elles ne le comprennent pas. En hâte, la Madeleine court prévenir Pierre et Jean (Jn 20, 2), puis, tourmentée par le sort de Jésus, elle repart au tombeau. C’est là que le Christ lui apparaît, à elle en premier (Mt 16, 9), avec un corps transfiguré que les yeux humains ne peuvent reconnaître : elle le prend pour le jardinier (Jn 20, 11-18).
Jésus lui dit : “Marie !” Se retournant, elle lui dit en hébreu : “Rabbouni” – ce qui veut dire : “Maître.” Jésus lui dit : “Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.” Marie de Magdala vient annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et qu’il lui a dit cela.
Elle le reconnaît quand il l’appelle par son nom, comme il nous appelle tous ; elle ne peut le toucher car désormais les âmes sont appelées non à un contact physique et localisé avec Jésus incarné, mais à un contact spirituel, par la foi, avec Jésus monté au Cieux ; elle devient apôtre des apôtres en annonçant l’événement qui change l’histoire du monde : Il est vraiment ressuscité !
Apôtre par le témoignage et la prière
La suite est connue. Jésus apparaît aux apôtres, il monte au Cieux, leur envoie l’Esprit Saint. Et les apôtres se mettent à prêcher et à témoigner, insistant sur cette vérité : ce Jésus, que vous avez crucifié, il est vraiment ressuscité. Le dire, c’est une chose, le prouver par des miracles en est une autre. Or il y a un témoin gênant qui atteste la puissance surnaturelle du Christ : Lazare. Beaucoup le savait mort, et Jésus l’a ressuscité : s’il en a ressuscité d’autres, pourquoi pas lui-même ? Pour mettre fin au rumeurs, le Sanhédrin décide de s’en débarrasser. Et de toute sa famille: Marie Madeleine, Marthe, leur frère et quelques autres sont ainsi réunis sur un bateau sans gouvernail, et lancés au gré des ballottements de la Méditerranée.
Sans moyen de naviguer, ils devaient logiquement faire naufrage assez vite, et plus personne n’aurait entendu parler d’eux. Ce calcul humain oublie la toute-puissance de Dieu ! Au lieu de sombrer corps et biens, la légende rapporte que le navire pris le large, et emporta ses saints passagers jusqu’à des côtes plus hospitalières : celles du sud de la France ! C’est aux Saintes-Marie-de-la-Mer que débarquent les premiers évangélisateurs ; de là Marthe et Lazare s’attelèrent à l’annonce de la bonne nouvelle. Quant à Marie Madeleine, elle se retira bien vite dans une grotte isolée, la Sainte Baume, où elle vécut des années en prières pour l’Église naissante et en faisant pénitence pour les pécheurs. C’est de là que son âme s’envola vers le Bon Dieu, là que les pèlerins peuvent encore vénérer une partie de ses reliques. Une partie seulement, car à cause des raids maures qui visaient les lieux de pèlerinage, les reliques de la sainte furent un temps emportées à Vézelay, et les deux lieux se partagent désormais la protection de l’apôtre des apôtres.
Enfin, le lieu par excellence où nous pourrons trouver sainte Marie Madeleine, c’est le Ciel ! Que sa conversion nous serve de modèle, que la fidélité de son amour du Christ renforce la nôtre, qu’elle nous aide à aimer à notre tour celui à qui elle a donné sa vie ! Pour finir, voilà le commentaire poétique que donne sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus sur l’agir de sainte Marie-Madeleine, dans son poème Vivre d’Amour.
« Vivre d’Amour, c’est imiter Marie,
Baignant de pleurs, de parfums précieux,
Tes pieds divins qu’elle baise ravie,
Les essuyant avec ses longs cheveux.
Puis se levant, elle brise le vase ;
Ton Doux Visage elle l’embaume à son tour.
Moi, le parfum dont j’embaume Ta Face,
C’est mon Amour ! »