« Ainsi donc, frères, nous sommes redevables non à la chair pour vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez » écrit saint Paul aux Romains. »
Saint Paul dualiste ?
À travers ces quelques mots, saint Paul semble opposer la chair et l’esprit, ou le corps et l’âme. Mais le vrai sens est plus subtil. Dans la Bible, on ne trouve pas cette opposition, qui existait en revanche chez les philosophies dualistes de l’Antiquité. Il y avait chez les païens la conviction d’une opposition entre un Dieu bon, créateur de l’esprit, et un Dieu mauvais, créateur de la matière. De là, on concluait à un dualisme dans l’homme : l’opposition entre un élément bon, l’âme, et un élément mauvais, le corps. Le corps était perçu comme la prison de l’âme (le « tombeau de l’âme » selon Socrate dans le Gorgias de Platon, avec un jeu de mots en grec entre le corps : sôma et le tombeau : sêma). L’âme devait se libérer de cet exil par la purification.
On a retrouvé ensuite cette opposition dans les courants rigoristes du christianisme, puis au Moyen Age chez les Cathares, dans les Temps modernes chez les Protestants puritains, ou encore, d’une certaine manière, chez les Jansénistes. Ce rigorisme hostile au corps est une menace constante dans l’histoire de l’Église.
C’est pourquoi les philosophes modernes reprochent souvent au christianisme d’avoir répandu cette opposition culpabilisante, et donc d’être le contraire d’un humanisme. Plus précisément c’est saint Paul qu’on accuse, en disant qu’il a modifié le message de Jésus, au point que le vrai fondateur du christianisme ne serait pas Jésus, mais saint Paul. Cette idée n’est pas nouvelle : on la trouve au début du 20e siècle dans le protestantisme libéral. Déjà Nietzsche voyait en Paul « le premier chrétien, l’inventeur de la christianité ! Avant lui, il n’y avait que quelques sectaires juifs. » Plus récemment, l’écrivain Emmanuel Carrère a opposé le christianisme de saint Paul, une théologie développée, au message simple et empathique du Jésus présenté par saint Luc.
Cette vision est en réalité le fruit d’une lecture très partiale. Comment dissocier Jésus de Paul, alors que ce dernier s’écrie : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »
Certes la parole et les écrits de saint Paul sont riches d’un enseignement aussi original qu’influent sur le christianisme naissant. Mais l’apôtre se soucie de sa communion avec le reste de l’Église, et surtout avec Jérusalem. Comme l’a souligné le P. Renaud Silly, « les controverses de Paul avec l’Église de Jérusalem ont porté sur la circoncision ou le degré minimal d’observance de la Loi, sur le mode de l’apostolat aux païens, mais jamais sur l’identité du Christ ou le dogme – preuve qu’il n’existait pas de litige sur ce point. »
Saint Paul enseigne-t-il le mépris du corps ?
« Ainsi donc, frères, nous sommes redevables non à la chair pour vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez » écrit saint Paul aux Romains[1]Rm 8,12-13. »
Saint Paul dualiste ?
À travers ces quelques mots, saint Paul semble opposer la chair et l’esprit, ou le corps et l’âme. Mais le vrai sens est plus subtil. Dans la Bible, on ne trouve pas cette opposition, qui existait en revanche chez les philosophies dualistes de l’Antiquité. Il y avait chez les païens la conviction d’une opposition entre un Dieu bon, créateur de l’esprit, et un Dieu mauvais, créateur de la matière. De là, on concluait à un dualisme dans l’homme : l’opposition entre un élément bon, l’âme, et un élément mauvais, le corps. Le corps était perçu comme la prison de l’âme (le « tombeau de l’âme » selon Socrate dans le Gorgias de Platon, avec un jeu de mots en grec entre le corps : sôma et le tombeau : sêma). L’âme devait se libérer de cet exil par la purification.
On a retrouvé ensuite cette opposition dans les courants rigoristes du christianisme, puis au Moyen Age chez les Cathares, dans les Temps modernes chez les Protestants puritains, ou encore, d’une certaine manière, chez les Jansénistes. Ce rigorisme hostile au corps est une menace constante dans l’histoire de l’Église.
C’est pourquoi les philosophes modernes reprochent souvent au christianisme d’avoir répandu cette opposition culpabilisante, et donc d’être le contraire d’un humanisme. Plus précisément c’est saint Paul qu’on accuse, en disant qu’il a modifié le message de Jésus, au point que le vrai fondateur du christianisme ne serait pas Jésus, mais saint Paul. Cette idée n’est pas nouvelle : on la trouve au début du 20e siècle dans le protestantisme libéral. Déjà Nietzsche voyait en Paul « le premier chrétien, l’inventeur de la christianité ! Avant lui, il n’y avait que quelques sectaires juifs[2]Aurore, 1881, 1,6. » Plus récemment, l’écrivain Emmanuel Carrère[3]Le Royaume, 2014 a opposé le christianisme de saint Paul, une théologie développée, au message simple et empathique du Jésus présenté par saint Luc.
Cette vision est en réalité le fruit d’une lecture très partiale. Comment dissocier Jésus de Paul, alors que ce dernier s’écrie : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi[4]Ga 2, 20. »
Certes la parole et les écrits de saint Paul sont riches d’un enseignement aussi original qu’influent sur le christianisme naissant. Mais l’apôtre se soucie de sa communion avec le reste de l’Église, et surtout avec Jérusalem. Comme l’a souligné le P. Renaud Silly, « les controverses de Paul avec l’Église de Jérusalem ont porté sur la circoncision ou le degré minimal d’observance de la Loi, sur le mode de l’apostolat aux païens, mais jamais sur l’identité du Christ ou le dogme – preuve qu’il n’existait pas de litige sur ce point[5]Le Figaro Hors Série, novembre 2019, p. 58. »
Corps et âme dans le christianisme
Mais revenons à la question du corps et de l’âme : la vision négative de leur rapport peut encore nous influencer, parce que nous savons bien que notre âme a du mal à commander à notre corps. Suite au péché originel, l’âme parlemente avec le corps plus qu’elle ne lui commande. Il est vrai que le corps est difficile à maîtriser, il ne faut pourtant pas le voir comme l’ennemi de l’âme. Plutôt que la philosophie de Platon, le christianisme a adopté sur ce point celle d’Aristote, qui enseigne l’hylémorphisme : l’âme est la forme du corps.
Cela signifie que l’union de l’âme et du corps est naturelle et très forte. Notre âme est faite pour notre corps, et notre corps pour notre âme. C’est l’union des deux qui fait notre personne. Notre personne, ce n’est pas notre âme seulement, qui devrait se libérer de la prison du corps. Notre personne, c’est l’union de notre âme et de notre corps, que l’on peut distinguer, mais pas dissocier, car la personne humaine n’est ni ange ni bête. L’âme et le corps sont si profondément unis, que nous sommes notre âme et nous sommes notre corps.
Le corps n’est pas ce que l’on a, mais ce que l’on est
Ainsi le corps n’est pas quelque chose que l’on a, mais quelque chose que l’on est. Ce n’est pas une prison, c’est un don de Dieu[6]lire à ce sujet l’intervention lumineuse du Cardinal Ladaria au Congrès Humanae Vitae, le 16 mai 2023. Comme le souligne le Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi : « L’anthropologie … Continue reading
Saint Paul nous enseigne que le corps a une grande dignité, car il est la maison de Dieu, « le Temple de l’Esprit Saint[7]1 Co 6, 19. » Cela entraîne que nous devons avoir un grand respect pour notre corps, et donc que nous ne pouvons pas en faire n’importe quoi, comme l’enseigne la théologie du corps, à laquelle saint Jean-Paul II a tant contribué. En raison de l’union profonde du corps et de l’âme, le mauvais usage du corps est dégradant pour toute notre personne.
Chair et esprit, corps et âme
L’opposition que fait saint Paul entre la chair et l’esprit n’est donc pas l’opposition entre le corps et l’âme. C’est l’opposition entre une vision charnelle de toute notre personne, corps et âme, et une vision spirituelle de toute notre personne, corps et âme.
Dans le premier cas (la vie selon la chair), l’âme est charnelle, matérialiste, hédoniste : elle se fait l’esclave des pulsions instinctives, dans l’égoïsme et l’orgueil. Elle se perd, comme dit saint Paul : « si vous vivez selon la chair, vous mourrez[8]Rm 8, 13. » Saint Paul a connu ce combat : « je vois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison, et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? [9]Rm 7, 23-24. »
Dans le second cas (la vie selon l’esprit), le corps devient spirituel. L’âme respecte son corps, et pour son bien elle prend le contrôle des pulsions. Le corps n’obéit plus aux pulsions, mais à la raison et à la foi, c’est-à-dire à l’esprit, et même, nous dit saint Paul, à l’Esprit de Dieu, ce qui fait que l’on devient enfant de Dieu[10]cf. Rm 8, 14. Ce corps spiritualisé sera sauvé, par la résurrection de la chair. Il deviendra le corps glorieux. À notre mort, notre âme sera séparée de notre corps, ce qui est une grande douleur. Mais à la fin de ce monde, elle le retrouvera pour l’éternité. Saint Paul ajoute avec audace : « Le corps n’est pas pour la débauche, il est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps[11]1 Co 6, 13. » L’Apôtre ne rejette pas le corps, puisqu’il va jusqu’à dire aux chrétiens : « vous êtes le corps du Christ, et vous êtes ses membres[12]1 Co 12, 27. »
Ainsi le corps, don de Dieu, est en soi beau et grand. Ce n’est pas une chose, c’est notre personne. Il peut servir à notre malheur si nous sommes dominés par la chair, mais il est fait pour notre bonheur. À cause de sa grande dignité, il faut le discipliner. Saint Paul écrit encore : « que chacun de vous sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et respect, sans se laisser emporter par la passion, comme font les païens, qui ne connaissent pas Dieu[13]1 Th 4, 4-5. »
Références[+]