Après un rapide tour d’horizon de certaines positions traditionalistes refusant implicitement ou explicitement l’obéissance à la hiérarchie de l’Église, nous avons montré qu’elles se ramenaient – en théorie ou en pratique – à une forme de sédévacantisme occulte. D’après cette thèse, seuls certains chrétiens seraient au fait d’un événement énorme : la vacance totale ou formelle du siège de Pierre.
Le sédévacantisme occulte est contraire à la nature de l’Église
Cette thèse du sédévacantisme occulte est contraire à l’indéfectibilité de l’Église, mais aussi à sa visibilité, qui en est une propriété inhérente. Elle est contraire à la nature de l’Église comme société parfaite, affirmée par le magistère en de nombreuses occasions[1]« Bien que composée d’hommes comme la société civile, cette société de l’Église, soit pour la fin qui lui est assignée, soit pour les moyens qui lui servent à l’atteindre, est … Continue reading. L’Église ne peut être gouvernée par le Christ seul indépendamment de la hiérarchie, ou attendre indéfiniment une intervention miraculeuse pour se restaurer : ses pouvoirs de sanctification (sacrements), enseignement (magistère) et gouvernement (juridiction ordinaire) doivent être conservés.
Ainsi, le sédévacantisme occulte et les positions qui s’y ramènent explicitement ou implicitement concluent à la disparition totale de l’Église comme société parfaite et visible : si elle n’est pas l’Église « officielle », elle n’est pas non plus identifiée par ces groupes à leurs propres communautés – plus ou moins restreintes. Il est par ailleurs évident qu’aucune d’entre elles n’a les quatre notes propres de l’Église : unité, sainteté, catholicité, apostolicité, et qu’aucune n’a de cardinal nommé par le vrai pape, ni même d’évêque légitimement ordonné et nommé.
Le siège peut-il être vacant… sans que personne ne soit au courant ?
Le sédévacantisme occulte revient à affirmer qu’un fait majeur et aussi fracassant que la vacance du Siège apostolique est ignoré de la quasi-unanimité des fidèles et de la totalité des évêques actuels. La thèse se distingue ainsi radicalement des hypothèses catholiques traditionnelles postulées par saint Robert Bellarmin ou le cardinal Cajetan (vacance du siège, pape hérétique). Elle n’a rien de comparable au « sédévacantisme public » des catholiques en période de conclave, ou lorsque deux (ou trois !) évêques ont pu revendiquer en même temps le trône de Pierre, comme durant les décennies du Grand Schisme. Dans ces cas, la hiérarchie et les fidèles sont conscients de la vacance possible du siège et cherchent à y remédier.
Le sedevacantisme occulte est donc également contraire à la visibilité de l’Église, enseignée par le magistère constant : « De ce que Nous avons traité et expliqué jusqu’ici dans cette Lettre, Vénérables Frères, il apparaît avec évidence que ceux-là se trouvent dans une grave erreur qui se représentent à leur fantaisie une Église pour ainsi dire cachée et nullement visible[2]Pie XII, Mystici corporis, 1943 ; voir aussi Léon XIII, Satis cognitum, 1896 « Tel est le plan d’après lequel l’Eglise a été constituée, tels sont les principes qui ont présidé à sa … Continue reading. Cette thèse est enfin contraire à l’unité de l’Église, qui implique la pérennité du primat du pape[3]« C’est pourquoi, de même que l’Église pour être une en tant qu’elle est la réunion des fidèles requiert nécessairement l’unité de foi, ainsi pour être une en tant qu’elle est une … Continue reading.
Un antipape peut-il être accepté pacifiquement par toute l’Église ?
Le sédévacantisme occulte et les thèses qui s’y ramènent sont par conséquent également contraires à la doctrine catholique de l’acceptation pacifique de l’Église universelle, comme signe objectif et visible de l’occupation du siège de Pierre par un vrai pape, investi de l’autorité suprême pour toute l’Église. L’acceptation pacifique universelle signifie que lorsque tous les évêques légitimes de l’Église reconnaissent une personne comme pape, c’est le pape légitime : il est impossible que tous les pasteurs de l’Église reconnaissent, unanimement, sans contestations notables, un antipape. Cette doctrine est impliquée par l’enseignement de l’Église, et enseignée par de nombreux théologiens.
L’élection à l’unanimité des cardinaux et leur déclaration s’apparente à une définition donnée par les évêques lors d’un Concile légitimement réuni. De plus, l’acceptation de l’Église est, pour nous, comme une confirmation de cette déclaration[4]Jean de Saint Thomas, Cursus Theologicus, VI, q. 1-7, d. 8)..
Le théologien ajoute même que « l’acceptation de l’Église s’opère soit négativement, lorsque l’élection n’est pas aussitôt combattue ; soit positivement, lorsque l’élection est d’abord acceptée par ceux qui sont présents et progressivement par les autres. » Il ajoute ainsi : « dès que les hommes voient ou apprennent qu’un pape a été élu, et que l’élection n’est pas contestée, ils sont obligés de croire que cet homme est le pape, et de l’accepter. »
Le cardinal Billot abondait dans le même sens, avec des formules qui résonnent avec une acuité particulière face aux thèses du sédévacantisme occulte.
Quoi que vous pensiez encore de la possibilité ou de l’impossibilité de l’hypothèse susmentionnée [d’un Pape tombant dans l’hérésie], on doit au moins tenir fermement, comme absolument inébranlable et hors de tout doute, ceci : l’adhésion de l’Église universelle est toujours à elle seule le signe infaillible de la légitimité de la personne du Pontife, et donc de l’existence de toutes les conditions requises à cette légitimité.
Le siège peut-il dès lors être vacant alors que toute l’Église admet ouvertement un homme comme pontife ?
Dieu peut permettre que, parfois, une vacance au Siège apostolique se prolonge pendant longtemps. Il peut aussi permettre qu’un doute surgisse sur la légitimité de telle ou telle élection. Il ne peut cependant permettre que toute l’Église admette comme pontife celui qui ne l’est pas vraiment et légitimement. […] Par conséquent, à partir du moment où le Pape est accepté par l’Église et uni à elle comme la tête l’est au corps, il n’est plus permis de douter d’un éventuel vice d’élection ou d’une éventuelle absence de toute condition nécessaire pour la légitimité. Car l’adhésion de l’Église susmentionnée guérit à la racine toute faute dans l’élection et prouve infailliblement l’existence de toutes les conditions requises[5]Billot, Louis, De Ecclesia Christi, tome (I &) II, Quaestio XIV, Thèse XXIX, §3.
Plus récemment, le cardinal Journet résumait la thèse, dans sa somme d’ecclésiologie.
L’acceptation pacifique de l’Église universelle s’unissant actuellement à tel élu comme au chef auquel elle se soumet, est un acte où l’Église engage sa destinée. C’est donc un acte de soi infaillible, et il est immédiatement connaissable comme tel. (Conséquemment et médiatement, il apparaîtra que toutes les conditions pré requises à la validité de l’élection ont été réalisées.) […]
L’acceptation de l’Église s’opère soit négativement, lorsque l’élection n’est pas aussitôt combattue ; soit positivement, lorsque l’élection est d’abord acceptée par ceux qui sont présents et progressivement par les autres[6]Journet, Charles, L’Église du Verbe Incarné, II, pp. 977-978..
Conclusion : le sédévacantisme occulte, pratique ou théorique une position contraire à la Révélation
Or les faits sont là : malgré l’existence du traditionalisme sédéprivatiste ou sédévacantiste, depuis les années 1960, comme des autres groupuscules sédévacantistes qui avaient existé auparavant (car le fait n’est pas nouveau… du tout, voire les « Petites Églises », les vieux catholiques, l’union d’Utrecht…), il est un fait que tous les évêques du monde ont accepté Jean XXIII, Paul VI et leurs successeurs comme pape légitimement élus, qu’aucun n’a émis de contestation lors de leur élection, qui représente un fait dogmatique certain et infaillible, contraignant pour la foi des fidèles.
Qu’il soit implicite ou explicite, assumé ou pratiqué, le sédévacantisme occulte est donc contraire à la foi en l’indéfectibilité de l’Église, en son unité, en sa pérennité, en sa visibilité. Malgré tous les argumentaires développés par ses tenants, il est grevé par un irréparable manque de réalisme, d’esprit de nuance et d’analogie, et de confiance en la promesse du Christ.
Le sedevacantisme occulte, théorique ou pratique, conduit donc en fait à un véritable ecclesiovacantisme : ce n’est pas seulement le siège de Pierre qui serait vacant depuis plus de 50 ans, mais c’est l’Eglise catholique qui aurait cessé d’être ce qu’elle était essentiellement depuis sa fondation !
Références[+]
↑1 | « Bien que composée d’hommes comme la société civile, cette société de l’Église, soit pour la fin qui lui est assignée, soit pour les moyens qui lui servent à l’atteindre, est surnaturelle et spirituelle. Elle se distingue donc et diffère de la société civile. En outre, et ceci est de la plus grande importance, elle constitue une société juridiquement parfaite dans son genre, parce que, de l’expresse volonté et par la grâce de son Fondateur, elle possède en soi et par elle-même toutes les ressources qui sont nécessaires à son existence et à son action. » Léon XIII, Immortale Dei, 1885 |
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↑2 | Pie XII, Mystici corporis, 1943 ; voir aussi Léon XIII, Satis cognitum, 1896 « Tel est le plan d’après lequel l’Eglise a été constituée, tels sont les principes qui ont présidé à sa naissance. Si nous regardons en elle le but dernier qu’elle poursuit, et les causes immédiates par lesquelles elle produit la sainteté dans les âmes, assurément l’Église est spirituelle ; mais si nous considérons les membres dont elle se compose, et les moyens mêmes par lesquels les dons spirituels arrivent jusqu’à nous, l’Église est extérieure et nécessairement visible. (…) Jésus-Christ a ordonné aux Apôtres et aux successeurs perpétuels des Apôtres d’instruire et de gouverner les peuples : Il a ordonné aux peuples de recevoir leur doctrine et de se soumettre docilement à leur autorité. Mais ces relations mutuelles de droits et de devoirs dans la société chrétienne, non seulement n’auraient pas pu durer, mais n’auraient même pas pu s’établir sans l’intermédiaire des sens, interprètes et messagers des choses. (…) Il s’ensuit que ceux-là sont dans une grande et pernicieuse erreur, qui, façonnant l’Église au gré de leur fantaisie, se l’imaginent comme cachée et nullement visible. » |
↑3 | « C’est pourquoi, de même que l’Église pour être une en tant qu’elle est la réunion des fidèles requiert nécessairement l’unité de foi, ainsi pour être une en tant qu’elle est une société divinement constituée, elle requiert de droit divin l’unité de gouvernement, laquelle produit et comprend l’unité de communion. » Léon XIII, Satis Cognitum, 1896 |
↑4 | Jean de Saint Thomas, Cursus Theologicus, VI, q. 1-7, d. 8). |
↑5 | Billot, Louis, De Ecclesia Christi, tome (I &) II, Quaestio XIV, Thèse XXIX, §3. |
↑6 | Journet, Charles, L’Église du Verbe Incarné, II, pp. 977-978. |