Les premiers chrétiens, et notamment saint Paul attendaient la parousie – la fin des temps – comme imminente. Peut-on dire qu’ils se seraient trompés ? En réalité ils savaient bien que la date du dernier jour n’est pas connue.
L’enseignement du Christ et des Apôtres
Le Christ avait été clair, jusqu’aux derniers moments de son passage sur terre : la fixation du moment de la fin des temps appartient au Père seul :
Quant à la date de ce jour, ou à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le Ciel, ni le Fils, personne que le Père[1]Mc 13, 32.
Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme[2]Mt 24, 37-39.
Veillez donc, puisque vous ne savez à quel moment votre Seigneur doit venir. Sachez-le bien, si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi ; car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas[3]Mt 24, 42-44.
Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité[4]Ac 1, 7.
Or les Apôtres n’enseigneront pas autre chose que le maître, ainsi saint Paul écrit aux Thessaloniciens, dont certains étaient persuadés de l’imminence de la fin des temps au point de s’abstenir de tout travail et activité temporelle[5]L’Apôtre les réprimandera par cette parole forte : « si quelqu’un ne veut pas travailler, il ne doit pas manger non plus » (2Th 3, 10). :
Quant aux temps et moments, vous n’avez pas besoin, frères, qu’on vous en écrive. Vous savez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive comme un voleur en pleine nuit. Quand les hommes se diront : Paix et sécurité ! c’est alors que tout d’un coup fondra sur eux la perdition, comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper[6]1Th 5, 1-3.
En ce qui concerne l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et notre réunion avec lui, nous vous prions, frères, de ne pas vous laisser ébranler facilement dans vos sentiments, ni alarmer, soit par quelque esprit, soit par quelque parole ou lettre supposées venir de nous, comme si le jour du Seigneur était imminent[7]2Th 2, 1-2.
Qui peut connaître le moment de la fin du monde ?
Saint Thomas d’Aquin[8]De Potentia, q. 5, a. 6 distingue deux manières de connaître le futur et en particulier le moment où s’arrêtera le mouvement de la terre et du ciel :
– la connaissance naturelle, qui déduit le futur à partir de ses causes, de manière certaine ou conjecturale. Or la cause de la fin du monde ne peut pas lui être intérieure, elle se trouve hors de lui, dans la volonté divine, inaccessible absolument à toute connaissance naturelle. Donc la date du dernier jour ne peut être connue de connaissance naturelle.
– la Révélation correspond quant à elle à ce que Dieu juge bon de nous faire connaître en vue de notre salut ; or il n’a révélé à aucun homme le moment de la fin du monde, sinon au Christ. En effet ce moment est lié à la plénitude du nombre des élus, constituant la pleine réalisation du projet de Dieu par celui qui le réalise dans son intégralité.
Le Christ connaissait-il alors l’instant de la fin du monde ? Ses paroles (voir ci-dessus Mc 13, 32) semblent l’exclure. Et pourtant saint Grégoire le Grand affirme dans sa lettre à Euloge, patriarche d’Alexandrie (août 600) :
Comme nous parlons d’un jour heureux, non pas parce que le jour lui-même est heureux, mais parce qu’il nous rend heureux, de même le Fils tout-puissant dit qu’il ignore le jour que lui- même fait ignorer, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne permet absolument pas qu’on le connaisse.
D’où on dit aussi que seul le Père sait, parce que le Fils, qui lui est consubstantiel, de par sa nature, par laquelle il est au-dessus des anges, a le pouvoir de savoir ce que les anges ignorent. D’où on peut comprendre ceci plus subtilement en disant que le Fils unique incarné, fait pour nous homme parfait, a connu le jour et l’heure du jugement dans la nature humaine et ne l’a pourtant pas connu de par la nature humaine. Ce qu’il a donc connu en elle, il ne l’a pas connu par elle, car c’est par la puissance de sa divinité que le Dieu fait homme a connu le jour et l’heure du jugement… […]
En effet, celui qui confesse que la Sagesse de Dieu elle-même s’est incarnée, comment va-t-il pouvoir dire qu’il y a quelque chose qu’ignore la Sagesse de Dieu ? Il est écrit : “Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui “(Jn 1,1-3). Si c’est ” tout ” c’est sans aucun doute aussi le jour et l’heure du jugement. Qui donc est assez fou pour oser dire que le Verbe du Père a fait ce qu’il ignorait ? Il est écrit encore : “Jésus sachant que le Père avait tout remis entre ses mains” (Jn 13,3). Si c’est ” tout ” c’est manifestement aussi le jour et l’heure du jugement. Qui donc est assez sot pour dire que le Fils a reçu dans ses mains ce qu’il ne connaît pas[9]DS474-476 ?
Jésus, Dieu-homme, n’ignore pas la date du dernier jour, mais il ne la connaît pas en tant qu’homme, et ainsi il peut dire en vérité qu’il appartient au Père seul de déterminer ce moment[10]Mc 13, 32.
De notre côté, l’ignorance du dernier jour est une miséricorde qui nous aide à ne pas nous installer dans ce monde, à nous tenir sur le qui-vive, toujours prêts à paraître devant Dieu.
Heureux ces serviteurs que le maître, à son retour, trouvera veillant ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, il les fera mettre à table, et s’approchera pour les servir[11]Lc 12, 37.
Les signes de l’approche de la parousie
Certains signes, annoncés par le Seigneur[12]On entend notamment cette annonce dans l’évangile du dernier dimanche après la Pentecôte : Mt 24, 25-35. précèdent cependant la fin des temps et en constituent une annonce. On peut leur attribuer au moins deux fonctions :
– ces signes – malgré leur aspect terrifiant – constituent un acte de miséricorde, avertissant les hommes de se convertir et de se préparer au jugement.
– ils inspireront un respect et une soumission au Christ-juge, en particulier pour ceux qui accompagneront immédiatement son avènement.
Quels seront ces signes ? Saint Thomas d’Aquin fait preuve d’une grande prudence sur la question, remarquant que l’annonce faite par le Christ recouvre également les annonces de la destruction de Jérusalem et de l’avènement continuel du Christ visitant et éprouvant son Église. Ainsi, selon lui, aucun n’est caractéristique du dernier avènement du Christ. Le docteur reconnaît[13]Supplementum, q. 73, a. 1 que saint Jérôme énumère quinze signes eschatologiques : élévation puis retrait des mers, rassemblement des monstres marins, des oiseaux du ciel, torrents de feu dans le ciel, tremblements de terre et fracturation des roches, assèchement des plantes, réduction des montagnes, ouverture des tombeaux… tirés pour certains des annales juives et des écrits apocalyptiques du Ier siècle, et dont il juge que certains sont peu vraisemblables.
La théologie classique retiendra quant à elle cinq signes principaux :
– prédication de l’Évangile à toute les nations (Mc 13, 10) ;
– réintégration d’Israël (Rm 11) ;
– la grande apostasie, épreuve finale de la foi et imposture religieuse (2Th 2, 3 ; cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n°675) ;
– manifestation de l’Antichrist, sommet de l’imposture religieuse sous forme d’un pseudo-messianisme (1Th 5, 2-3 ; 2Th 2, 4-12 ; 1Jn 2, 18.22 ; 2 Jn 7 ; cf. Catéchisme de l’Église Catholique n°675) ;
– phénomènes cosmiques, ultime ébranlement de ce monde qui passe (2P 3, 12-13 ; cf. Catéchisme de l’Église Catholique n°677).
Pourquoi un délai avant la fin du monde ?
La victoire définitive sur la mort ayant été remportée par le Christ, pourquoi Dieu laisse-t-il le mal proliférer et poursuivre son œuvre dévastatrice, repoussant depuis près de deux millénaires l’instant de la fin ? On avance deux raisons principales :
– compléter le nombre des élus et achever la plénitude du corps mystique du Christ. C’est l’image de la moisson, qui doit croître jusqu’à maturité pour que l’on puisse en faire la récolte. La plénitude en question est autant quantitative : atteindre le nombre déterminé des élus, fixé par Dieu de toute éternité[14]Somme Théologique, Ia Pars, q. 23, a. 7 ; De Potentia, q. 5, a. 5. que qualitative : proclamer l’Évangile à toutes les nations, réintégrer Israël et parvenir ainsi à une pleine « catholicité » (universalité) de l’Église.
Nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ[15]Ep 4, 12-13.
Je vis sous l’autel [c’est-à-dire associées au sacrifice rédempteur de Jésus-Christ] les âmes de ceux qui furent égorgés pour la Parole de Dieu et le témoignage qu’ils avaient rendu. Ils crièrent d’une voix puissante : ‘Jusques à quand, Maître saint et vrai, tarderas-tu à faire justice, à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre ?’ Alors on leur donna à chacun une robe blanche [ils sont déjà dans le monde divin] en leur disant de patienter encore un peu, le temps que fussent au complet leurs compagnons de service et leurs frères qui doivent être mis à mort comme eux[16]Ap 6, 9-11.
– manifester la « patience » de Dieu en vue de la conversion des âmes. Cette patience est à comprendre dans le cadre des relations mystérieuses de la Providence divine et de notre liberté : Dieu cause notre conversion par la grâce, sans contrainte pour notre liberté ; puisqu’il sait (en tant que cause), qu’untel se convertira par la suite, il permet le mal présent en vue de ce bien supérieur à venir. Et ainsi la réponse libre des hommes aux sollicitations divines joue un rôle dans la détermination de la date de la parousie, qui demeure cependant causée par Dieu (cause première transcendante) et donc connue par lui de toute éternité.
Références[+]
↑1 | Mc 13, 32 |
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↑2 | Mt 24, 37-39 |
↑3 | Mt 24, 42-44 |
↑4 | Ac 1, 7 |
↑5 | L’Apôtre les réprimandera par cette parole forte : « si quelqu’un ne veut pas travailler, il ne doit pas manger non plus » (2Th 3, 10). |
↑6 | 1Th 5, 1-3 |
↑7 | 2Th 2, 1-2 |
↑8 | De Potentia, q. 5, a. 6 |
↑9 | DS474-476 |
↑10 | Mc 13, 32 |
↑11 | Lc 12, 37 |
↑12 | On entend notamment cette annonce dans l’évangile du dernier dimanche après la Pentecôte : Mt 24, 25-35. |
↑13 | Supplementum, q. 73, a. 1 |
↑14 | Somme Théologique, Ia Pars, q. 23, a. 7 ; De Potentia, q. 5, a. 5. |
↑15 | Ep 4, 12-13 |
↑16 | Ap 6, 9-11 |