Nous proposons ici en série les éléments du riche article publié à l’automne dernier par Mgr Kruijen dans Sedes Sapientiae, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Revue.
L’article peut être retrouvé dans son intégralité dans Sedes Sapientiae, revue de formation théologique et spirituelle de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier.
Dans cette série Mgr Kruijen montre que l’Église n’est ni faussement inclusive ni exclusive, puis extrait six propositions prétendant étayer un changement de doctrine de l’Église, auxquelles il répond en détail ici.
Retrouvez ici la première partie de l’article
Retrouvez ici la seconde partie de l’article
Proposition 5 : « On appelle de tous nos vœux une évolution de l’Église. Avec le pape François, le discours de l’Église sur les personnes homosexuelles a évolué. Il a rappelé qu’en tant qu’enfants de Dieu, elles faisaient partie de l’Église. »
Personne n’a contesté l’appartenance des personnes homosexuelles (baptisées) à l’Église. Ensuite, tout dépend de ce que l’on entend par « évolution de l’Église ». S’il est question d’améliorer encore l’accueil empathique des personnes concernées, s’il s’agit de leur proposer une aide plus spécifique et compétente, mais sans rien taire des exigences morales de la vie chrétienne, il n’y a rien à objecter, encore qu’il faille se garder que la bienveillance envers les personnes ne soit pas interprétée comme une approbation de leur comportement. En revanche, si l’on entend par là un changement de la doctrine catholique, ce n’est pas recevable au vu des principes inhérents à cette dernière. (Tandis qu’un enseignement prudentiel peut changer, un changement de doctrine proprement dite, au sens de contenue dans la Révélation, dérivant d’elle ou connexe, serait contradictoire.)
Éléments de théologie du Magistère
Pour le comprendre, il peut être utile de rappeler ici quelques éléments de la théologie du magistère ; ce dernier, en effet, est tantôt minimisé à l’extrême (lorsqu’il dérange), tantôt maximisé comme s’il pouvait s’élever au-dessus de Dieu lui-même (lorsqu’on voudrait qu’il confirme notre position). Or l’Église, pas plus que le pape, ne peut changer substantiellement la doctrine en matière d’homosexualité car cette doctrine est fondée sur la Révélation.
Un développement doctrinal n’est possible que selon une logique organique passant de l’implicite à l’explicite, mais non par contradiction avec la doctrine enseignée précédemment. Ce qui est moralement mauvais ne saurait devenir bon et inversement (cf. Is 5, 20). Dans l’Église, comme l’a rappelé le dernier concile, la norme suprême en matière de foi et de mœurs n’est pas le magistère ecclésiastique (qui est une norme humaine soumise elle-même à la norme divine : norma normata). C’est la Parole de Dieu, c’est-à-dire l’Écriture sainte et la tradition de l’Église qui la communique et l’interprète[1]Rappelons ici que la Parole de Dieu ne se limite pas aux Saintes Écritures. Sur les rapports entre l’Écriture, la Tradition et la Parole de Dieu, il convient de renvoyer à Concile Vatican II, … Continue reading (la norme qui norme les autres normes : norma normans). L’Église ne peut donc pas changer la loi divine, en particulier la loi morale, tant naturelle qu’évangélique. De fait, « ce n’est pas elle qui a créé cette loi, elle ne saurait donc en être l’arbitre ; elle en est seulement la dépositaire et l’interprète, sans pouvoir jamais déclarer licite une chose qui ne l’est pas à cause de son intime et immuable opposition au vrai bien de l’homme[2]Dei Verbum, 21 : « Toujours elle [l’Église] eut et elle a pour règle suprême de sa foi les Écritures, conjointement avec la sainte Tradition, puisque, inspirées par Dieu et consignées une … Continue reading ».
« Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »
Aussi, à supposer même qu’un texte ou une déclaration émanant d’une autorité ecclésiale, fût-elle suprême, fussent en contradiction formelle avec la Parole de Dieu (et donc la Révélation), ils seraient à considérer comme privés de toute valeur. L’Écriture sainte en livre elle-même le motif théologique lorsqu’elle affirme que « nous n’avons aucun pouvoir contre la vérité ; nous n’en avons que pour la vérité » (2 Co 13, 8). Saint Paul s’opposa ainsi ouvertement à Céphas (Ga 2, 11), précisément parce que celui-ci « ne marchait pas droit selon la vérité de l’Évangile » (2, 14). Saint Pierre lui-même partageait d’ailleurs le principe selon lequel une injonction d’une autorité humaine, même légitime, n’oblige pas lorsqu’elle contredit la volonté de Dieu : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Ac 5, 29 ; cf. CEC, no 2242.) Mutatis mutandis, cet axiome s’applique également aux enseignements. Il convient ici de rappeler également que seules les Saintes Écritures jouissent du charisme de l’inspiration divine[3]Sur l’inspiration des Saintes Écritures, voir en particulier Dei Verbum, chap. 3., ce qui n’est pas le cas des textes du magistère.
La juste étendue du Magistère et de l’infaillibilité
Pour les catholiques qui, de nos jours, seraient tentés de nouveau par l’absolutisme papal, il n’est peut-être pas inutile de fournir quelques éléments importants concernant l’étendue et la juste compréhension de l’autorité pontificale. Dans sa définition de l’infaillibilité pontificale (en réalité, il s’agit de l’infaillibilité dont est pourvue l’Église et dont le pape jouit personnellement dans certains de ses actes définitoires[4]Cf. concile Vatican I, 4e session, 18 juillet 1870, Constitution dogmatique Pastor æternus, chap. 4 (Denzinger-Hünermann [ci-après DH), n° 3074).), le concile Vatican I n’avait pas manqué de préciser les limites de cette prérogative en matière doctrinale :
Le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître sous sa révélation une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la Révélation transmise par les apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi[5]Concile Vatican I, Constitution dogmatique Pastor æternus, chap. 4 (DH, n° 3070)..
Le rôle du magistère, notamment pontifical, n’est donc pas de produire la vérité, mais de garder, de transmettre et d’expliciter les vérités révélées aux générations successives. Autrement dit, les doctrines professées par l’Église ne sont pas vraies parce que le pape les énonce, mais c’est parce qu’elles sont vraies que le pape a pour mission de les garder saintement et de les exposer fidèlement. Son autorité ne saurait s’exercer de manière arbitraire, sachant qu’il est lié aux grandes décisions de l’Église à travers les siècles :
L’autorité d’enseigner, dans l’Église, comporte un engagement au service de l’obéissance à la foi. Le pape n’est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté font loi. […] Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais se soumettre constamment, ainsi que l’Église, à l’obéissance envers la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives d’adaptation et d’appauvrissement, ainsi que face à tout opportunisme. […] Le pape est conscient d’être, dans ses grandes décisions, lié à la grande communauté de foi de tous les temps, aux interprétations faisant autorité qui sont apparues le long du chemin du pèlerinage de l’Église. Ainsi son pouvoir ne se trouve pas « au-dessus », mais il est au service de la Parole de Dieu, et c’est sur lui que repose la responsabilité de faire en sorte que cette Parole continue à rester présente dans sa grandeur et à retentir dans sa pureté, de façon à ce qu’elle ne soit pas rendue vaine par les changements continuels des modes[6]Benoît XVI, Homélie lors de la prise de possession de la Cathedra romana, 7 mai 2005..
Ajoutons à ce propos ce passage éclairant d’un document officiel spécifique sur la nature du ministère pétrinien :
Le pontife romain est soumis – comme tous les fidèles – à la Parole de Dieu, à la foi catholique, et il est le garant de l’obéissance de l’Église ; et, en ce sens, il est servus servorum. Il ne décide pas selon son bon plaisir, mais il exprime la volonté du Seigneur qui parle à l’homme dans l’Écriture vécue et interprétée par la Tradition. En d’autres termes, l’episkopè du primat a des limites qui viennent de la loi divine et de la constitution divine inviolable de l’Église, telle qu’elle est contenue dans la Révélation[7]Congrégation pour la doctrine de la foi, Considérations sur la primauté du successeur de Pierre dans le mystère de l’Église, 31 octobre 1998, n° 7..
Lisez aussi notre article : Les degrés d’autorité du magistère
Références[+]
↑1 | Rappelons ici que la Parole de Dieu ne se limite pas aux Saintes Écritures. Sur les rapports entre l’Écriture, la Tradition et la Parole de Dieu, il convient de renvoyer à Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, 9 [abrégé : Dei Verbum] : « La sainte Tradition et la Sainte Écriture sont donc reliées et communiquent étroitement entre elles. Car toutes deux, jaillissant de la même source divine, ne forment pour ainsi dire qu’un tout et tendent à une même fin. En effet, la Sainte Écriture est la Parole de Dieu en tant que, sous l’inspiration de l’Esprit divin, elle est consignée par écrit ; quant à la sainte Tradition, elle porte la Parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur et par l’Esprit Saint aux apôtres, et la transmet intégralement à leurs successeurs, pour que, illuminés par l’Esprit de vérité, en la prêchant, ils la gardent, l’exposent et la répandent avec fidélité : il en résulte que l’Église ne tire pas de la seule Écriture sainte sa certitude sur tous les points de la Révélation. C’est pourquoi l’une et l’autre doivent être reçues et vénérées avec un égal sentiment d’amour et de respect. » |
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↑2 | Dei Verbum, 21 : « Toujours elle [l’Église] eut et elle a pour règle suprême de sa foi les Écritures, conjointement avec la sainte Tradition, puisque, inspirées par Dieu et consignées une fois pour toutes par écrit, elles communiquent immuablement la Parole de Dieu lui-même et font résonner dans les paroles des prophètes et des apôtres la voix de l’Esprit Saint. » Ibid., 10 : « Ce magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais il est à son service, n’enseignant que ce qui a été transmis. » |
↑3 | Sur l’inspiration des Saintes Écritures, voir en particulier Dei Verbum, chap. 3. |
↑4 | Cf. concile Vatican I, 4e session, 18 juillet 1870, Constitution dogmatique Pastor æternus, chap. 4 (Denzinger-Hünermann [ci-après DH), n° 3074). |
↑5 | Concile Vatican I, Constitution dogmatique Pastor æternus, chap. 4 (DH, n° 3070). |
↑6 | Benoît XVI, Homélie lors de la prise de possession de la Cathedra romana, 7 mai 2005. |
↑7 | Congrégation pour la doctrine de la foi, Considérations sur la primauté du successeur de Pierre dans le mystère de l’Église, 31 octobre 1998, n° 7. |