Ce qui me frappe quand je considère le monde catholique, c’est qu’à l’intérieur du catholicisme une pensée de type non catholique semble parfois avoir le dessus, et il se peut que cette pensée non catholique à l’intérieur du catholicisme devienne demain la plus forte. Mais elle ne représentera jamais la pensée de l’Église[1]Confidence du pape Paul VI à Jean Guitton lors de leur dernier entretien, le 8 septembre 1977 (cité dans Jean Guitton, Paul VI secret, Paris, Desclée de Brouwer, 1979, p. 168)..
Nous proposons ici en série les éléments du riche article publié à l’automne dernier par Mgr Kruijen dans Sedes Sapientiae, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Revue. Cette première partie introduit la réflexion de Mgr Kruijen sur l’approche « équilibrée mais pas inclusive » de l’Église.
L’article peut être retrouvé dans son intégralité dans Sedes Sapientiae, revue de formation théologique et spirituelle de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier.
Église et homosexualité : une approche équilibrée
Dans le cadre du « synode sur la synodalité », certains catholiques réclament un changement de l’enseignement de l’Église concernant l’homosexualité, ce qui appelle quelques réflexions critiques. Commençons par dire que, dans notre monde, la manière d’aborder le phénomène de l’homosexualité (et, plus largement, de la mouvance dite LGBTQI+) semble osciller entre des extrêmes. S’il existe toujours des pays où les personnes concernées risquent jusqu’à la peine capitale, dans les pays sécularisés, au contraire, le phénomène en question est non seulement largement toléré, mais bien plus, promu publiquement comme un signe de liberté et d’affirmation de soi (il suffit de penser au « mois des fiertés »), voire de progrès moral. De la sorte, de fortes pressions s’exercent aujourd’hui à l’encontre de quiconque ose remettre en question ce discours libertaire (que l’on pense simplement aux pâtissiers traînés devant les tribunaux pour avoir refusé, pour des motifs de conscience, de confectionner des gâteaux « arc-en-ciel » à l’occasion d’unions de personnes de même sexe).
Loin de ces extrêmes, la doctrine authentique de l’Église catholique en matière d’homosexualité promeut une approche équilibrée alliant le respect de la dignité des personnes et la fidélité à son enseignement moral[2](NDLR) Il paraît opportun de reproduire les trois numéros consacrés à ce sujet par le Catéchisme de l’Église catholique :L’homosexualité désigne les relations entre des hommes ou des … Continue reading. Il est d’autant plus déplorable qu’un nombre croissant de membres de la hiérarchie ecclésiastique en vienne à présent à critiquer publiquement cette doctrine, pourtant fondée sur la Révélation.
L’objectif de la présente contribution n’est pas de proposer une étude un tant soit peu complète de l’enseignement de l’Église catholique concernant la thématique sensible et complexe de l’homosexualité[3]Nous nous en tiendrons ici à la question de l’homosexualité ou des actes homosexuels, en laissant délibérément de côté celle du transsexualisme qui soulève d’autres difficultés.. Nous nous limiterons ici pour l’essentiel à extraire quelques propositions, aujourd’hui promues par un nombre croissant de catholiques, en les faisant suivre d’un commentaire critique[4]Concrètement, ces propositions sont tirées d’un entretien publié le 20 janvier 2023 sur … Continue reading. Puis nous proposerons d’élargir notre réflexion dans une ouverture suivie d’une conclusion.
Proposition 1 : « Tout le monde a sa place dans l’Église. »
Contre l’« inclusion » illimitée prônée de nos jours tel un mantra au sein de l’Église, plusieurs remarques s’imposent.
En premier lieu, on relèvera le caractère illusoire de ce slogan, d’autant plus que ses plus fervents promoteurs sont en général prompts à vilipender et à ostraciser ceux qui ne pensent pas comme eux. En réalité, dans tout groupe social, y compris dans l’Église, il existe au moins une catégorie qui n’est pas la bienvenue (que l’on pense, par exemple, aux fidèles attachés à des formes liturgiques traditionnelles[5]Benoît XVI, Lettre aux évêques de l’Église catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, 10 mars 2009 : « Parfois on a … Continue reading). De nos jours, ceux qui se bornent pourtant à maintenir certains éléments de la doctrine catholique concernant, notamment, l’homosexualité ou les conditions pour accéder aux sacrements, se voient ainsi régulièrement taxés de pharisiens rigides qui lancent des pierres contre les autres, si ce n’est d’appartenir à « des franges traditionalistes, voire intégristes ».
En second lieu, il apparaît évident que toute communauté humaine a besoin de critères d’appartenance et de limites (idéologiques ou doctrinales, comportementales, etc.), sans lesquelles elle perd son identité, se fragmente ou se dissout dans l’informe. C’est ainsi que, dès l’ancienne Alliance, il existait une espèce de sentence d’excommunication consistant à « retrancher de son peuple » le coupable d’infractions graves (voir par exemple Ex 31, 14 ; Lv 19, 8).
Le Nouveau Testament, s’il invite – à l’image du Maître – à l’amour du prochain, même gravement pécheur, ne rompt cependant pas radicalement avec cette logique d’une inclusion conditionnelle. Mt 18, 15-17 invite ainsi à considérer « comme le païen et le publicain » le frère qui refuse obstinément de se corriger. Il existe également toute une série de passages invitant à se tenir à l’écart de certaines personnes (notamment parmi les « frères », voir 1 Co 5, 11), par exemple « tout frère qui mène une vie désordonnée », les « débauchés » ou « l’homme hérétique », sans toutefois les considérer comme des ennemis[6]Cf. 1 Co 5, 9-11 ; 15, 33 ; 2 Co 6, 14-17 ; 2 Th 3, 6 et 14-15 ; 2 Tm 3, 5 ; Tt 3, 10 ; 2 Jn 10-11 ; Jude 23. Pour l’Ancien Testament, voir Ps 1, 1.. De la sorte, il serait totalement erroné de confondre la morale évangélique avec un modèle libertaire, selon lequel il serait possible d’être un fidèle chrétien quelle que soit la manière de vivre et de croire.
De fait, Jésus a énoncé des conditions sans lesquelles on ne peut être son disciple, comme de prendre sa croix ou de renoncer à tous ses biens (cf. Mt 10, 38 ; Lc 14, 33). De son côté, Paul avait livré communautairement « à Satan » un croyant incestueux (1 Co 5, 4-5) afin qu’il se convertisse. On relèvera, pour terminer, que ces éléments exclusivistes se retrouvent également sur le plan eschatologique. Jésus affirme ainsi que, lors du jugement, il dira « en face » à « beaucoup » : « Écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité » (Mt 7, 23). Enfin, le dernier livre du canon des Écritures ne s’achève pas sans cette sentence d’exclusion sans appel : « Dehors les chiens et les magiciens, les impudiques et les meurtriers, les idolâtres et quiconque aime ou pratique le mensonge ! » (Ap 22, 15 TOB)
Références[+]
↑1 | Confidence du pape Paul VI à Jean Guitton lors de leur dernier entretien, le 8 septembre 1977 (cité dans Jean Guitton, Paul VI secret, Paris, Desclée de Brouwer, 1979, p. 168). |
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↑2 | (NDLR) Il paraît opportun de reproduire les trois numéros consacrés à ce sujet par le Catéchisme de l’Église catholique :
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↑3 | Nous nous en tiendrons ici à la question de l’homosexualité ou des actes homosexuels, en laissant délibérément de côté celle du transsexualisme qui soulève d’autres difficultés. |
↑4 | Concrètement, ces propositions sont tirées d’un entretien publié le 20 janvier 2023 sur https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/moselle/metz/entretien-eglise-homosexualite-et-transsexualite-un-dioceseouvre-le-dialogue-2697702.html (page consultée le 25 janvier 2023). |
↑5 | Benoît XVI, Lettre aux évêques de l’Église catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, 10 mars 2009 : « Parfois on a l’impression que notre société a besoin d’un groupe au moins auquel ne réserver aucune tolérance ; contre lequel pouvoir tranquillement se lancer avec haine. » |
↑6 | Cf. 1 Co 5, 9-11 ; 15, 33 ; 2 Co 6, 14-17 ; 2 Th 3, 6 et 14-15 ; 2 Tm 3, 5 ; Tt 3, 10 ; 2 Jn 10-11 ; Jude 23. Pour l’Ancien Testament, voir Ps 1, 1. |