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Faut-il communier tous les jours ?

La messe, mystère et miracle, sacrifice et sacrement, est le renouvellement non sanglant du sacrifice de Jésus. Elle permet de nous unir à l’offrande suprême qui nous sauve. La liturgie eucharistique de l’Église aboutit à la communion du prêtre, et bien souvent des fidèles qui le désirent. Entre Jansénisme et laxisme, la fréquence de réception du corps du Christ fut longtemps débattue dans l’Église. Que devons-nous en penser, et à quelle fréquence communier ?

Sacrifice et communion

La notion même de sacrifice, depuis l’Ancien Testament, est liée à celle de communion : en offrant à Dieu des biens susceptibles d’être consommés, on les lui voue pour marquer sa domination sur l’ensemble de la Création, mais on les partage également souvent avec lui (c’est du moins le cas dans la majorité des sacrifices de l’ancienne loi, hormis l’holocauste). La communion, c’est à dire la consommation d’une partie de la victime, est ainsi comprise et vécue comme un mode d’union à Dieu à travers l’acte du sacrifice.

La communion fréquente dans l’histoire de l’Église

Outre ces données fondamentales, la pratique de l’Église antique semble avoir été unanime dans le sens d’une réception fréquente – voire quotidienne – de la communion. Saint Paul semble impliquer (notamment dans la première épître aux Corinthiens, à travers les avertissements sévères du chapitre 11) que l’eucharistie ait été reçue à chaque réunion des chrétiens. Au IIe siècle Tertullien parle des mains des croyants qui touchent chaque jour le corps du Seigneur. Saint Cyprien témoigne de cette pratique au IIIe siècle sauf empêchement. Saint Augustin suppose de même le fait de la communion quotidienne.

Toutefois il semble que l’habitude de communier fréquemment ait peu à peu diminué, avec l’affaiblissement de la piété et jusqu’à l’époque moderne. Malgré de nombreux rappels des pasteurs et des saints, il semble que la décrue se soit progressivement accentuée : les synodes du haut Moyen-âge insistent souvent sur la nécessité de la communion pascale, signe que cette pratique minimale n’allait plus de soi à l’époque. Au VIIIe siècle saint Isidore reprend l’enseignement de saint Augustin pour encourager à la réception fréquente du sacrement. Saint Pierre Damien comme saint Grégoire VII lui emboîtent le pas au XIe siècle. Vers la fin du XVe siècle l’abandon de la communion semble avoir été presque général, malgré le renouveau de la piété eucharistique,  et la pratique de plus en plus fréquente de l’adoration.

Les Jansénistes se sont malheureusement sentis investis d’une mission particulière sur cette question, à la suite du grand Arnauld (Antoine Arnauld d’Andilly, qui publie en août 1643 l’ouvrage De la fréquente communion, qui marque les prémices de la controverse). Ils discutent des dispositions nécessaires à la réception quotidienne de la sainte eucharistie, jugeant que très peu de personnes étaient dignes de puiser dans ce sacrement salutaire, jusqu’à exclure quasi totalement certaines catégories (professionnelles par exemple). Leur influence (le « venin » du jansénisme que dénoncera saint Pie X) marqua durablement l’Église, notamment en France.

La réaction de saint Pie X (1905)

C’est ainsi qu’au début du XXe siècle saint Pie X, apôtre de la communion des enfants, se fit aussi celui de la réception fréquente de l’eucharistie. Dans son motu proprio Sacra Tridentina Synodus, le pape revint longuement sur les origines de cette pratique, sa justification et sa nécessité théologique, dans la continuité de l’enseignement magistériel, pour terminer par un ensemble de décisions pratiques à mettre en place dans toute l’Église. Encourageant tous les fidèles à la communion fréquente, et même quotidienne, le pape demande aux pasteurs de rendre le sacrement accessible à ceux qui sont en état de grâce et ont une intention droite (ne pas s’approcher de la sainte table par habitude ou vanité, mais pour satisfaire la volonté de Dieu, lui être uni par la charité, recevoir son aide dans le combat spirituel), de n’empêcher personne qui satisferait à ces conditions de recevoir l’eucharistie, et même d’exhorter les fidèles à la communion quotidienne. Il rappelle ainsi que même s’il est désirable d’être libéré autant que possible du péché véniel, au moins délibéré, il suffit pour pouvoir communier de n’avoir aucune faute mortelle et le propos stable de ne plus pécher à l’avenir. C’est cette « ferme résolution » – dont nous témoignons dans l’acte de contrition, qui conduit, avec le secours de la grâce, à se corriger peu à peu des péchés et des affections désordonnées. Quant à l’effet du sacrement – ex opere operato, c’est à dire à la position même du signe – il est d’autant plus grand que les dispositions de celui qui le reçoit sont propices : le pape insiste donc sur l’importance de la préparation et de l’action de grâce.

L’enseignement de l’Église

Malgré la disparition regrettable de la communion fréquente, saint Pie X ne faisait pas là œuvre de révolutionnaire. Les exhortations du pape se trouvaient au contraire en pleine consonance avec l’enseignement du concile de Trente et la doctrine théologique et spirituelle de saint Thomas d’Aquin.

À quatre siècles de là, le concile avait en effet affirmé : « Le très saint Concile souhaiterait qu’à chaque messe les fidèles qui y assistent ne se contentent pas de communier spirituellement, mais reçoivent encore réellement le sacrement eucharistique »[1]Concile de Trente, Sess. XXIII, c. 6.. Ce sacrement est en effet un puissant « antidote qui nous délivre des fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels »[2]Session XIII, c. 2.

La communion fréquente avait aussi été louée par saint Thomas d’Aquin dans la mesure où elle pouvait augmenter la ferveur sans diminuer le respect : comme la nourriture corporelle, elle doit être reçue souvent, car elle alimente le feu de la charité. C’est ainsi que le docteur de l’Eglise recommandait de communier tous les jours, pourvu que l’on se trouve suffisamment préparé[3]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 80, a. 10.. Entre l’amour et la confiance d’une part, et la crainte respectueuse d’autre part, la première disposition lui semblait toujours préférable.

L’Église par la voix du concile ou du Docteur Angélique, ne fait que conserver et transmettre l’enseignement du Christ, affirmé avec tant de force dans le fameux « discours du pain de vie » (Jn 6), où Jésus déploie une double analogie qui enracine la pratique de la fréquente communion. Il y compare  l’eucharistie en général avec la nourriture corporelle, qui doit être prise chaque jour, pour réparer les pertes constantes d’énergie. Puis il va plus loin, rapprochant le sacrement de la manne (« Ceci est le pain descendu du ciel, ce n’est pas comme la manne que vos pères ont mangée dans le désert, après quoi ils sont morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement » Jn 6, 59) : Jésus fait ainsi comprendre que cette nourriture – comme celle des pères au désert – doit être quotidienne. Dans le Notre Père (Mt 6, 11 ; Lc 11, 3), le Christ nous apprend à demander à Dieu notre nourriture « super-substantielle » ou « quotidienne » : cette demande centrale, la plus essentielle de la prière chrétienne, nous oriente bien vers la réception aussi fréquente que possible de la sainte communion.

En conclusion…

Pourquoi communier souvent ? Parce que le Christ, les saints et l’Église  l’enseignent et nous le recommandent, bien sûr! Parce que nous comprenons que l’eucharistie donne la force de réprimer les passions, purifie des fautes légères, aide à éviter les fautes graves en restant uni à Dieu. Elle est ainsi un véritable gage d’éternité, qui augmente en nous la vie même de la Trinité, que les Trois veulent nous partager. Ne prenons toutefois pas l’exhortation de saint Pie X pour un appel au laxisme : le désir de recevoir aussi souvent que possible la communion doit nous conduire à une sainteté toujours plus grande, à une conformité aussi entière que possible à la vie de Jésus, reçu réellement dans le sacrement. « Ce pain est quotidien, vivez donc de manière à pouvoir le manger chaque jour » écrivait ainsi saint Ignace de Loyola, par lequel nous terminerons :

Tout ce qui n’est pas interdit est permis dans le Seigneur. Vous supposant donc exempte de péchés mortels clairs ou que vous puissiez tenir pour tels, si vous jugez que la communion quotidienne donne à votre âme plus de secours, l’enflamme d’avantage de l’amour de notre créateur et seigneur, si vous avez appris par expérience que ce très saint manger vous sustente, vous calme et vous apaise, qu’il vous conserve et vous augmente, qu’il vous fait mieux marcher dans la voie du plus grand service, louange et gloire de Dieu et que pour tout cela même vous désiriez la communion, n’en doutez pas, il vous est loisible, il vous est meilleur de communier tous les jours[4]Saint Ignace de Loyola, Lettre du 5 novembre 1543..

Références

Références
1 Concile de Trente, Sess. XXIII, c. 6.
2 Session XIII, c. 2
3 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 80, a. 10.
4 Saint Ignace de Loyola, Lettre du 5 novembre 1543.
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