Quels seront notre corps, nos actions, notre vie, notre monde, après la fin du monde ? La question ne manque pas de nous traverser l’esprit lorsque nous méditons sur nos fins dernières. Que dit l’Église au sujet du monde d’après ?
J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir[1]Symbole de Nicée Constantinople.
La résurrection des corps, pourquoi, pour qui ?
Pourquoi les corps devraient-ils ressusciter ? Les Apôtres manifestent le lien étroit entre la résurrection du Christ et la nôtre.
Nous proclamons que le Christ est ressuscité d’entre les morts ; alors, comment certains d’entre vous peuvent-ils affirmer qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité[2]1Co 15, 12-13.
Le Seigneur Jésus Christ transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire, avec cette force qu’il a de pouvoir même se soumettre toutes choses[3]Ph 3, 20.
En effet, la convenance de la résurrection des corps se tire de la double fonction de l’âme humaine : elle est à la fois une substance incorporelle, le principe de nos activités spirituelles (connaissance et amour), et forme du corps, principe d’animation de la matière. Ainsi l’âme, incorruptible et immatérielle par nature est faite pour être unie à un corps matériel : il n’est pas naturel pour elle d’exercer son activité de connaissance et d’amour sans le corps.
On peut ainsi donner avec saint Thomas d’Aquin trois raisons pour la réunification finale de l’âme et du corps, dans la résurrection de la chair.
– l’union de l’âme au corps étant naturelle, l’état de séparation du fait de la mort est une violence pour la personne, or ce qui est violent ou contre la nature des choses ne peut durer toujours[4]Somme contre les Gentils, IV, 79.
– l’homme a un désir naturel de bonheur, or l’âme séparée du corps est dans un état d’imperfection dans la ligne de sa nature, et son désir de bonheur ne peut être pleinement comblé hors de l’union au corps[5]Somme contre les Gentils, IV, 79 ; NB : il ne s’agit pas de dire que la vision bienheureuse de l’âme sauvée, dès après la mort, ne comble pas pleinement son désir de béatitude, mais de … Continue reading.
– puisque c’est dans l’état d’union de l’âme et du corps que nous faisons le bien et le mal, la justice divine exige que le corps soit associé à la récompense finale ou au châtiment de l’âme, ce qui n’est possible que par la résurrection du corps (et donc du même corps).
La résurrection des corps : C’est pour qui ?
Qui est concerné par la résurrection des corps ? La Révélation manifeste clairement que seront concernés tant les justes que les impies.
Mais, lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. Et tu seras heureux de ce qu’ils ne peuvent pas te rendre la pareille ; car elle te sera rendue à la résurrection des justes[6]Lc 14, 13-14.
Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi; car il est avantageux pour toi qu’un seul de tes membres périsse, et que ton corps entier ne soit pas jeté dans la géhenne[7]Mt 5, 29.
Elle vient, l’heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix [du Fils de l’homme] et sortiront : ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement[8]Jn 5, 28.
Ressusciter avec quel corps ?
Jésus enseigne le fait de la résurrection des morts en raison de la puissance et de la fidélité de Dieu, ainsi que sa modalité mystérieuse :
Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux[9]Mc 12, 25.
Malgré les théories gnostiques ou orientales et la doctrine toujours plus répandue de la réincarnation, il faut soutenir que les âmes retrouveront à la fin des temps le même corps qu’elles ont animé durant leur vie terrestre.
Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi[10]Lc 24, 39.
Il faut, en effet, que cet être corruptible revête l’incorruptibilité, que cet être mortel revête l’immortalité. Quand donc cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors s’accomplira la parole qui est écrite : La mort a été engloutie dans la victoire[11]1Co 15, 53.
Notre-Seigneur viendra à la fin des temps juger les vivants et les morts et rendre à chacun selon ses œuvres, aussi bien aux réprouvés qu’aux élus. Tous ressusciteront avec leur propre corps qu’ils ont maintenant, pour recevoir, selon ce qu’ils auront mérité en faisant le bien ou en faisant le mal, les uns un châtiment sans fin avec le diable, les autres une gloire éternelle avec le Christ[12]Concile de Latran IV (1215), DS801.
Il s’agit bien d’une identité numérique, et non seulement spécifique : non pas un corps autre mais en tout point identique, mais le même corps strictement. Ce que le magistère affirme sans ambigüité, la Tradition le confirme par la dévotion traditionnelle aux reliques, exprimant une continuité numérique entre le corps historique et le corps ressuscité[13]Concile de Trente, Décret sur les reliques, 1563 (DS1822) : « Les fidèles doivent aussi vénérer les saints corps des martyrs et des autres saints qui vivent avec le Christ, eux [= les corps] … Continue reading.
Ressusciter avec le même corps ? Cela ne veut pourtant pas dire que l’on retrouvera exactement les mêmes composés matériels : ce serait oublier que la matière ne cesse jamais de se renouveler (nos cellules sont remplacées en permanence – notre corps se renouvellerait intégralement tous les sept ans). Pour saint Thomas d’Aquin, le principe de l’identité du corps est sa « forme, » c’est à dire ce qui lui donne d’être ce qu’il est. Or la forme du corps n’est autre que l’âme[14]Somme contre les Gentils, IV, 81, qui contient toute l’information – physique et métaphysique – nécessaire à la reconstitution du corps. Saint Thomas nuance cependant en affirmant que ce n’est pas n’importe quelle matière que l’âme reprendra après la résurrection, en raison du lien de telle matière avec l’âme qui l’informe. Ainsi l’identité individuelle du corps ressuscité résulte d’abord de l’identité individuelle de l’âme, qui se configure un corps propre à partir d’une matière fournie par Dieu, et de l’identité d’un certain nombre d’éléments matériels ayant appartenu à l’être vivant. C’est ce dernier aspect qui fonde le culte des reliques.
À quoi ressembleront les corps glorieux ?
La réponse est au premier abord très simple : les corps glorieux seront semblables à celui du Christ au matin de Pâques ! Ainsi le corps ressuscité sera intègre, rassemblant chacune de ses parties constitutives. Le corps des bienheureux sera ressuscité sans aucun défaut de la nature humaine, les hommes seront ramenés à la pleine jeunesse[15]Supplementum, q. 81, a. 1. Les hommes conserveront leurs caractéristiques propres, notamment le sexe biologique, constitutif de la perfection de l’espèce. La glorification n’est pas une transformation du corps en esprit : le corps glorieux est un corps réel, de même que le monde matériel sera transfiguré, et non pas résorbé en un monde purement spirituel.
La théologie a identifié avec saint Thomas d’Aquin[16]Supplément q. 82 quatre propriétés du corps glorieux :
– impassibilité : le corps ne sera pas susceptible d’être dénaturé par un élément extérieur ; sa matière demeurera parfaitement disponible et soumise à sa forme propre. L’impassibilité est ainsi une pleine possession et maîtrise de soi-même.
– subtilité : il s’agit pour saint Thomas d’Aquin d’un certain type de domination de la forme sur la matière, d’une certaine légèreté du corps, qui reste cependant palpable, qui ne peut coexister avec un autre corps dans le même lieu.
– agilité : le corps domine l’âme sur le plan de l’agir, comme le moteur sur le mobile ; il ne s’agit pas seulement d’une soumission parfaite du corps à la volonté, mais aussi de certaines propriétés concernant les déplacements, la beauté des corps glorieux.
– clarté : saint Thomas décrit[17]Supplementum, q. 82. une vraie lumière, qui peut être perçue par l’œil naturel, comme un rejaillissement sensible de la gloire de l’âme sur le corps (semblable à celui de la transfiguration), proportionnel au mérite du bienheureux.
Les corps des damnés ressusciteront avec l’intégrité de leur nature, mais ce sera pour leur malheur : privés de la vision béatifique, ils se sont aussi privés du perfectionnement surnaturel du corps par la gloire. Leur nature conserve ses limites naturelles, la peine de l’âme rejaillissent sur leur corps.
Références[+]
↑1 | Symbole de Nicée Constantinople |
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↑2 | 1Co 15, 12-13 |
↑3 | Ph 3, 20 |
↑4 | Somme contre les Gentils, IV, 79 |
↑5 | Somme contre les Gentils, IV, 79 ; NB : il ne s’agit pas de dire que la vision bienheureuse de l’âme sauvée, dès après la mort, ne comble pas pleinement son désir de béatitude, mais de distinguer son désir naturel, dans la ligne de la restauration de l’intégrité de sa nature, qui aura une répercussion sur la perfection de l’opération même de l’âme bienheureuse. |
↑6 | Lc 14, 13-14 |
↑7 | Mt 5, 29 |
↑8 | Jn 5, 28 |
↑9 | Mc 12, 25 |
↑10 | Lc 24, 39 |
↑11 | 1Co 15, 53 |
↑12 | Concile de Latran IV (1215), DS801 |
↑13 | Concile de Trente, Décret sur les reliques, 1563 (DS1822) : « Les fidèles doivent aussi vénérer les saints corps des martyrs et des autres saints qui vivent avec le Christ, eux [= les corps] qui ont été des membres vivants du Christ et le Temple du Saint-Esprit (1 Co 3, 16 ; 6, 15 ; 6, 19 ; 2 Co 6, 16) et qui seront ressuscités et glorifiés par lui pour la vie éternelle ; par eux Dieu accorde de nombreux bienfaits aux hommes. Aussi, ceux qui affirment qu’on ne doit ni honneur ni vénération aux reliques des saints, ou bien que c’est inutilement que les fidèles les honorent ainsi que les autres souvenirs sacrés, et qu’il est vain de visiter les lieux de leur martyre pour obtenir leur soutien, tous ceux-là doivent être totalement condamnés, comme l’Église les a déjà condamnés autrefois et les condamne encore aujourd’hui. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. theol., IIIa, q. 25, a. 5. » |
↑14 | Somme contre les Gentils, IV, 81 |
↑15 | Supplementum, q. 81, a. 1 |
↑16 | Supplément q. 82 |
↑17 | Supplementum, q. 82. |