Parler de la liturgie traditionnelle, et même simplement y penser, nous ramène presqu’automatiquement au chant grégorien qui fait corps avec elle.
Inséparable chant liturgique
Pourquoi ? Parce que notre liturgie est faite pour être chantée. Et chantée… en grégorien, puisque ce chant est le seul que l’on trouve dans les livres liturgiques officiels.
Le Père Paul Doncoeur, aumônier militaire pendant la Grande Guerre et apôtre du scoutisme affirmait très justement : « la liturgie est créée solennelle, et les pièces de l’office divin ne peuvent être pleinement comprises que dans le contexte mélodique qui les accompagne de droit. »
Ce contexte mélodique, c’est encore une fois le chant grégorien : ce chant qui n’est pas un chant que l’on écoute ou que l’on accomplit au cours d’une action liturgique, mais qui est véritablement « l’action liturgique chantée ».
C’est une chose d’entendre des chants ou des cantiques pendant la messe – si beaux soient-ils, c’en est une autre de « chanter la messe » ; c’est-à-dire de chanter les pièces même du propre de la messe (Introït, Graduel, Alleluia, Offertoire, Communion) ou encore le Kyriale (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus). Sans parler de l’épître et de l’évangile, dont l’Église nous donne aussi la mélodie grégorienne.
L’interprétation des textes par la mélodie
Dom Jean Claire, disciple de Dom Gajard (célèbre maitre de Chœur de l’abbaye Solesmes pendant57 ans) disait de son illustre maitre :
Lorsque nous étions au noviciat, nous avions remarqué quand nous lui servions la messe, qu’après avoir lu l’Introït, le Graduel, l’Offertoire, la Communion – toutes les pièces de chant, en somme -, il marquait une pause, non prévue par les rubriques, et s’absorbait en méditation. Un jour, l’un de nous s’enhardit à lui demander pourquoi il s’arrêtait ainsi, et il obtint cette réponse : Pour ces pièces de chant, le missel ne donne que le texte, susceptible de bien des interprétations. Ce qui m’intéresse, moi, c’est de connaître l’interprétation de l’Église, et je crois qu’elle est très clairement exprimée par la mélodie dont ce texte est revêtu dans le Graduel. Alors, je m’arrête pour y penser un peu. Le grégorien, voyez-vous, c’est le commentaire officiel, donné authentiquement par l’Église elle-même, des textes liturgiques.
Et Dom Gajard de surenchérir :
Ceux qui font volontairement abstraction de la mélodie, considérée comme un luxe inutile, pour s’en tenir au texte seul, se privent d’un grand secours. Car c’est elle qui précise le véritable sens, la portée et comme le climat de la prière de l’Église.
Pourquoi le chant grégorien
Mais pourquoi spécialement ce chant grégorien, qui semble compliqué, hors d’atteinte de nos contemporains ? Parce que ce chant, qui remonte aux premiers siècles de l’Église et qui a été codifié par saint Grégoire le Grand au VIe siècle, est « le chant propre de l’Église ».
C’est ce qu’affirme le concile Vatican II :
L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine. C’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales par ailleurs, doit occuper la première place. Les autres genres de musique sacrée, mais surtout la polyphonie, ne sont nullement exclus de la célébration des offices divins, pourvu qu’ils s’accordent avec l’esprit de l’action liturgique[1]Constitution dogmatique Sacrosanctum Concilium, n°116.
Remarquons que l’Église n’a jamais voulu dans le domaine des arts, de l’architecture, de la sculpture, de la peinture reconnaitre telle ou telle école comme son bien propre. Et pourtant, elle règle le domaine de la musique ou du chant en canonisant (c’est-à-dire au sens propre du mot en donnant comme règle, comme canon) le chant grégorien ; écoutons le Pape Pie XII nous dire : « la musique sacrée doit être sainte. C’est par cette sainteté qu’excelle surtout le chant grégorien »[2]Pie XII, Musicae sacrae disciplina, 25 décembre 1955.. « Il contribue au plus haut point à augmenter la foi et la piété des assistants[3]Pie XII, Mediator Dei, 20 novembre 1947..»
Le chant grégorien d’après saint Pie X
Concluons avec le pape saint Pie X, qui affirmait dans une des premiers textes de son Pontificat[4]Pie X, Tra le sollecitudini, 22 novembre 1903., et allait jusqu’à donner – à partir du grégorien – une règle d’évaluation de toute musique à caractère liturgique :
- — La musique sacrée, en tant que partie intégrante de la liturgie solennelle, participe à sa fin générale : la gloire de Dieu, la sanctification et l’édification des fidèles. Elle concourt à accroître la dignité et l’éclat des cérémonies ecclésiastiques ; et de même que son rôle principal est de revêtir de mélodies appropriées le texte liturgique proposé à l’intelligence des fidèles, sa fin propre est d’ajouter une efficacité plus grande au texte lui-même, et, par ce moyen, d’exciter plus facilement les fidèles à la dévotion et de les mieux disposer à recueillir les fruits de grâces que procure la célébration des Saints Mystères.
- — La musique sacrée doit donc posséder au plus haut point les qualités propres à la liturgie : la sainteté, l’excellence des formes d’où naît spontanément son autre caractère :
[…]
- — Ces qualités, le chant grégorien les possède au suprême degré ; pour cette raison, il est le chant propre de l’Église romaine, le seul chant dont elle a hérité des anciens Pères, celui que dans le cours des siècles elle a gardé avec un soin jaloux dans ses livres liturgiques, qu’elle présente directement comme sien aux fidèles, qu’elle prescrit exclusivement dans certaines parties de la liturgie, et dont de récentes études ont si heureusement rétabli l’intégrité et la pureté.
Pour ces motifs, le chant grégorien a toujours été considéré comme le plus parfait modèle de la musique sacrée, car on peut établir à bon droit la règle générale suivante : Une composition musicale ecclésiastique est d’autant plus sacrée et liturgique que, par l’allure, par l’inspiration et par le goût, elle se rapproche davantage de la mélodie grégorienne, et elle est d’autant moins digne de l’Église qu’elle s’écarte davantage de ce suprême modèle.
Références[+]