Qui était le curé de Lourdes au moment des apparitions ? Après avoir présenté la figure et la formation de l’abbé Marie-Dominique Peyramale, nous le suivons avec Yves Chiron lorsqu’il est confronté, dans son cœur de prêtre et son rôle de pasteur, à l’improbable irruption du surnaturel dans sa petite paroisse endormie.
« Immaculada Concepciou »
Le 25 mars, fête de l’Annonciation, le curé reçut une nouvelle visite de Bernadette, inopinée et inattendue : « Que soy era Immaculada Concepciou » annonça la jeune fille, à la grande surprise du prêtre. Il la congédia d’un ton bourru, mais était bouleversé, et adressa aussitôt un rapport à Monseigneur Laurence, attirant son attention sur la « particularité » de la formule, que la petite n’aurait pu inventer.
Les solennités pascales qui suivirent furent pour le curé de Lourdes l’occasion de constater le regain visible de pratique religieuse dans sa paroisse, ainsi que l’afflux de visiteurs. À partir du mois de mai, il dut faire face aux mesures restrictives mises en place par l’autorité civile autour de la grotte, s’attachant à éviter les contraintes les plus sévères. Il s’arrangea dans le même temps pour éloigner Bernadette en la faisant envoyer chez des cousins. L’abbé Peyramale devait en effet naviguer à vue, ménager la piété de plus en plus enflammée de ses paroissiens et des nombreux pèlerins, qui lancèrent bientôt des processions improvisées vers Massabielle, et la susceptibilité croissante de l’administration, qui menaça bientôt de faire interner la voyante.
Après cinq mois de préparation, début juin, l’abbé prêcha la retraite préparatoire à la première communion de la fête-Dieu, à laquelle Bernadette participait : il nota sa bonne tenue et son recueillement, dont il témoignera auprès de Monseigneur Laurence.
Le tournant du mois de juillet : les curistes entrent en scène, formation de la commission
Le mois de juillet fut marqué par une dernière apparition, le jour de la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, mais aussi par une rapide expansion de la renommée de Lourdes, à la faveur du séjour dans la région de nombreux curistes distingués. Plusieurs évêques, ainsi que le célèbre journaliste Louis Veuillot, se rendirent à Lourdes, rencontrèrent l’abbé Peyramale et interrogèrent même Bernadette. Ceux-ci durent influer sur la décision de Monseigneur Laurence, qui sortit enfin de son silence. Le 28 juillet, il publia une ordonnance prudente et annonçait l’institution d’une commission d’enquête portant sur les guérisons, les visions de Bernadette, les demandes manifestées par elle, et la source de Massabielle. Le curé de Lourdes fut associé de près à ces travaux et chargé en particulier de suivre le dossier des guérisons miraculeuses.
Continuant de veiller au bien-être corporel et spirituel des Soubirous, l’abbé Peyramale fit confier Bernadette aux sœurs de l’hospice, un moyen de la protéger des sollicitations croissantes et de lui donner l’occasion enfin d’approfondir son instruction.
Le mandement épiscopal, la reconnaissance officielle et les premiers chantiers
Le 18 janvier 1862, Monseigneur Laurence publia un mandement proclamant l’authenticité des apparitions, mentionnant plusieurs preuves, autorisant dans le diocèse le culte de Notre-Dame de Lourdes et décidant la construction d’un sanctuaire. Le curé se mua ainsi en bâtisseur, trait qui sera celui des dernières années de sa vie. Opérations foncières en vue d’acheter les terrains, évaluation des différents projets architecturaux, organisation de souscriptions nationales et collecte de fonds, supervision des travaux, l’abbé Peyramale fut présent à toutes les étapes du projet. Il s’y distingua par son ambition sans cesse croissante et son dynamisme. Durant les près de dix ans que dura construction du premier édifice, le curé fut la cheville ouvrière de son évêque, travaillant avec lui dans la pleine confiance établie depuis plusieurs décennies déjà. Les relations avec les architectes et entrepreneurs furent difficiles, le chantier connut plusieurs incidents, qui furent autant d’épreuves pour ce prêtre qui avait fait de cette œuvre de Marie celle de sa vie. L’énergie dépensée sans compter par l’abbé dans les débuts du projet ne fut sans doute pas pour rien dans l’inquiétante alerte que connut sa santé au printemps 1864. Il put toutefois assister, début avril, au déballage de l’imposante statue en marbre de Carrare commandée au célèbre sculpteur Fabisch sur la base des descriptions de Bernadette. Là encore, l’abbé avait été impliqué de près dans le projet, et dût être déçu par la réaction contrastée de la voyante : « Oui c’est bien cela » dit-elle d’abord, puis rapidement et avec un accent de dépit : « Non, ce n’est pas cela » ; « on ne peut pas faire comme c’était. »
Curé de Lourdes à l’époque des premiers pèlerinages – premières épreuves
L’abbé Peyramale continua d’accompagner spirituellement la jeune fille, dans les années de discernement de sa vocation religieuse. Il sut l’orienter entre les différentes formes de vie qui auraient pu l’attirer : le carmel de Bagnères de Bigorre (établi peu auparavant par Hermann Cohen), les Bernardines d’Anglet (récemment fondées par le bienheureux Louis-Edouard Cestac)… et finalement la guider vers le noviciat des Sœurs de la Charité de Nevers, celles-là même qui tenaient l’hospice de Lourdes, où la voyante pourrait être accueillie sans dot.
Les pèlerinages s’organisèrent peu à peu de manière officielle, rassemblant des foules croissantes. En 1864 ce furent d’abord les paroisses voisines, puis des groupes venus de toute la France. Face à l’afflux des pèlerins et alors que le chantier avançait l’évêque eut conscience que l’équipe de l’abbé Peyramale ne pourrait bientôt suffire pour accueillir les nombreux fidèles. Il fit appel à la Société des Prêtres de Notre-Dame de Garaison, fondée en 1848 dans le diocèse et déjà en charge de plusieurs sanctuaires locaux. Leur installation à Lourdes eut lieu en 1866, quelques jours avant l’inauguration et la bénédiction de la crypte. Une nouvelle période commençait pour l’abbé Peyramale, celle de l’effacement, car les nouveaux chapelains étaient désormais officiellement en charge du sanctuaire et de sa pastorale. Cette nouvelle donne ne fut pas sans épreuves pour le curé de Lourdes : lui qui avait suivi de si près les événements, depuis les origines, et y avait été impliqué dans toute sa personne, se retrouvait désormais parfois en porte-à-faux avec les nouveaux responsables de la grotte. Ce fut le cas notamment en raison de son amitié profonde avec l’écrivain Henri Lasserre, l’un des premiers miraculés de Lourdes et auteur d’un imposant ouvrage récapitulatif sur les apparitions (Notre-Dame de Lourdes, 1867). La publication du travail de son ami entra malheureusement en collision avec celle de la Petite Histoire de Notre-Dame de Lourdes, fruit des recherches de deux des premiers chapelains du sanctuaire, les pères Sempé et Dubé. Les auteurs se reprochèrent mutuellement et publiquement de nombreuses inexactitudes, des défauts portant sur le fond comme sur la forme, engendrant une polémique déplorable au cœur de laquelle l’abbé Peyramale se trouva mêlé malgré lui, prenant parti avec toute la vigueur de son tempérament pour l’ouvrage de son ami, en dépit du soutien apporté par son évêque aux Pères de Garaison. Si les relations demeurèrent difficiles avec les chapelains de la grotte, le curé eut en revanche l’occasion de créer de belles amitiés avec plusieurs prêtres de passage à l’occasion de grands pèlerinages, notamment le vénérable Emmanuel d’Alzon, fondateur des Assomptionnistes, à l’initiative en 1872 du « Pèlerinage national » du mois d’août, ou encore le vénérable Marie-Antoine de Lavaur, capucin de Toulouse.
La dernière croix de l’abbé
Le dernier projet de l’abbé Peyramale fut sa dernière épreuve, et non la moindre. Il avait eu dès son arrivée à Lourdes l’idée de rebâtir et d’agrandir la vieille église paroissiale saint Pierre, déjà presque millénaire. Lorsqu’en 1871 fut achevée la chapelle demandée par la Dame au-dessus de la grotte, le curé-bâtisseur put revenir à son premier projet, qui fut aussi sa grande croix. Le plan qu’il commanda à un architecte parisien, après avoir obtenu le soutien de son évêque et de la municipalité, était ambitieux : un édifice en forme de croix latine, long de 58 mètres, flanqué de deux nefs latérales, orné de colonnes de marbre et recouvrant une vaste crypte. Après le vote définitif du conseil municipal, en 1874, l’abbé put lancer son premier appel aux dons. La première pierre fut bénie la même année par Monseigneur Jourdan, nouvel évêque de Tarbes. Le projet fut soutenu notamment par les Assomptionnistes, par Monseigneur Dupanloup, mais il sembla à Peyramale qu’il ne concernait pas les chapelains de la grotte, qui entreprirent dans le même temps de faire tracer un axe de circulation directe reliant la gare au sanctuaire sans passer par le bourg, évitant donc la nouvelle église paroissiale. Les finances s’épuisèrent rapidement et les dons ne suivirent pas le rythme de la construction, qui aurait dû être terminée pour la Noël 1876 : à cette date, moins de la moitié des dépenses engagées avaient été payées à l’entrepreneur, qui interrompit la construction. L’abbé Peyramale continuait toutefois de dépenser son énergie au service de sa paroisse et de son église, dont il faisait visiter aux pèlerins qui voulaient bien faire le détour par la colline de Lourdes. Sa santé qui semblait encore solide se dégrada subitement au mois de septembre 1877, minée en profondeur par les épreuves et les luttes. Au matin du 8 septembre il fut confessé et extrémisé par son fidèle vicaire, l’abbé Pomian, et s’éteint en ce samedi, fête de la Nativité de Notre-Dame : un vrai jour pour qu’un fils de Marie rejoigne sa mère du ciel. Par dérogation exceptionnelle du Président de la République, le curé de Lourdes put être enterré dans la crypte de son église inachevée. Ce n’est que vingt ans plus tard, grâce aux efforts de son successeur et au soutien de Monseigneur Billère, évêque depuis 1882, de son ami Lasserre et de la municipalité, que l’entrepreneur put remettre la main au chantier. L’église du Sacré-Cœur fut inaugurée le 8 septembre 1903, vingt-sixième anniversaire de la mort de l’abbé Peyramale, qui repose encore dans sa crypte, sous une pierre qui porte deux versets évocateurs : « Seigneur j’ai aimé la beauté de votre maison – Le zèle de votre maison m’a dévoré » (Ps 25).