On connaît Lourdes et Bernadette, on visite la grotte et les basiliques du sanctuaire, mais on omet souvent de gravir les rues escarpées du bourg, et de monter jusqu’à l’église paroissiale, lieu du baptême de la sainte et œuvre de son curé, le prêtre que la Providence associa de si près aux apparitions. Yves Chiron rend justice à cette belle figure sacerdotale en publiant une biographie de l’abbé Marie-Dominique Peyramale.
Enfance bigourdane et vocation
Né en 1811 à Momères, au sud de Tarbes, fils et frère de médecin, Marie-Dominique Peyramale se distingua dès l’enfance par sa grande charité (son biographe et ami, Henri Lasserre, raconte que le jeune garçon échangea un jour de grand froid ses habits avec les haillons d’un malheureux de son âge). Momères n’avait pas d’école, mais Marie-Dominique apprend à lire avec sa mère, à écrire avec son père, et entama l’étude du latin avec son curé. Pour aller plus loin, il fallut pourtant s’exiler : en 1823, le jeune bigourdan fut envoyé au petit séminaire de Saint-Pé de Bigorre, à quelques kilomètres de Lourdes, établissement fondé quelques mois plus tôt par l’abbé Bertrand-Sévère Laurence, jeune prêtre promis à un grand avenir. Sans être parmi les meilleurs, Peyramale se montra bon élève. Il fut surtout imprégné par l’atmosphère de piété profonde et équilibrée, et affirma plus tard qu’il avait senti dès son entrée à Saint-Pé les signes d’une vocation sacerdotale. Marie-Dominique quitta cependant le petit-séminaire en classe de troisième, pour étudier deux ans au Collège Royal de Tarbes. Il revint à Saint-Pé en 1827 pour la classe de rhétorique.
À la rentrée de 1828, il effectua sa rentrée au grand séminaire de Tarbes. Malgré une interruption au moment de la révolution de 1830, Marie-Dominique y suivit un cursus ordinaire, au cours duquel il eut la joie de retrouver – cette fois comme supérieur du grand séminaire – le guide de ses premiers élans spirituels, l’abbé Laurence. Ce dernier eut semble-t-il une influence très bénéfique sur la maison, qui passa sous son impulsion de conceptions théologiques pastorales parfois étriquées et encore influencées par le jansénisme à un esprit plus large et plus romain. Le 13 juin 1835, le jeune abbé Peyramale fut ordonné prêtre par Mgr Double.
Un jeune prêtre de campagne et de ville
Sa première nomination fut pour Vic-en-Bigorre, dans le nord du diocèse, où il sera troisième vicaire de 1835 à 1839. On raconte que son premier sermon, sur la béatitude des pauvres, fut à l’image de la grande charité qu’il déploya dans la paroisse : argent, souliers, plus tard les chevaux… tout ce que lui donnait son père pour soutenir son ministère finissait chez l’un ou l’autre nécessiteux.
En 1839 l’abbé Peyramale fut rappelé à Tarbes pour y occuper un poste de vicaire dans une des paroisses du centre-ville. En 1843 il était nommé desservant, c’est à dire curé, d’Aubarède, paroisse rurale que Marie-Dominique marqua profondément, obtenant des hommes du village – qui avaient coutume d’aller prendre un rafraîchissement au milieu de la messe dominicale – qu’ils restent dans l’église durant le sermon, luttant pied à pied contre les mauvaises habitudes de travail brisant le repos du jour du Seigneur.
En 1845 un nouvel évêque est nommé à Tarbes, qui n’est autre que Monseigneur Laurence, l’ancien supérieur de séminaire de l’abbé Peyramale. Le lien entre les deux hommes existe déjà et s’approfondira par la suite, il sera un élément essentiel de l’histoire de Lourdes.
En 1851 l’abbé est transféré à Tarbes comme aumônier de l’hôpital militaire et civil, accueillant quelques 200 malades et résidents, et dont le fonctionnement était assuré par les Filles de la Charité. Il y fut un pasteur apprécié, au point que les soldats tentèrent de s’opposer à sa rapide mutation, quelques trois ans plus tard.
Curé-doyen de Lourdes
En novembre 1854, Monseigneur Laurence approcha en effet l’abbé Peyramale pour lui proposer de le nommer curé de Lourdes : après s’être fait prier, il accepta, et fut officiellement nommé le 6 décembre. Il s’agissait d’une promotion, puisque Lourdes était un bourg important (4000 habitants), ville de passage sur la route des cures, et que la charge comportait aussi celle de doyen (responsable des 14 curés du canton).
Malgré son abord rude, l’abbé Peyramale sut se faire aimer de ses nouveaux paroissiens ; là encore sa charité devint proverbiale : il appelait les pauvres de Lourdes « ma clientèle, » et ceux-ci ne manquaient pas de faire appel à lui pour obtenir du secours financier ou matériel. On apprendra en 1864 lorsqu’il tombera gravement malade et se trouvera sans le sou qu’il payait le loyer de 35 foyers nécessiteux.
Le choc des apparitions
Arrivé depuis seulement trois ans à Lourdes, l’abbé Peyramale fut confronté au surnaturel : le samedi 13 février, deux jours après la première apparition, il fut informé par son vicaire l’abbé Jean-Baptiste Pomian d’un premier échange avec Bernadette ; « il faut attendre » aurait répondu le curé, qui aurait cependant été pris d’une profonde émotion. La rumeur se répandit durant la semaine suivante et Bernadette fut de plus en plus entourée, notamment par de pieuses paroissiennes. L’affaire devint publique lorsque le canard local, le Lavedan, une semaine après les premières manifestations, s’empara des faits en les présentant sur un ton sarcastique. L’abbé Pène, un autre vicaire, entreprit à son tour d’interroger discrètement la jeune fille, et dut rendre compte de sa conversation au doyen. Malgré sa prudence, l’abbé Peyramale prenait ses renseignements et suivait les développements des faits, encourageant par exemple un paroissien de confiance, Jean-Baptiste Estrade, à descendre à Massabielle pour observer les événements. Le curé lui-même ne descendait pas à la grotte, et avait interdit à ses subordonnés de s’y rendre, bien que les foules soient de plus en plus nombreuses autour de la jeune bigourdane (jusqu’à 8000 personnes le 4 mars).
La première rencontre avec Bernadette
Le mardi 2 mars, la Dame chargea pour la première fois Bernadette d’un message à destination des autorités ecclésiastiques : « Allez dire aux prêtres qu’on vienne ici en procession et qu’on y fasse bâtir une chapelle. » La voyante se rendit chez l’abbé Pomian, qui la connaissait le mieux, mais qui l’orienta vers le curé. Intimidée, Bernadette se fit accompagner de deux tantes : les trois compagnes avaient été devancées par la foule et la rumeur, dont l’insistance avait déjà irrité le tempétueux abbé. Le premier échange avec la jeune fille fut houleux, la rencontre tourna court. Le coup de sang du curé fut toutefois tempéré par des échanges avec ses confrères : un chanoine de Tarbes fit même savoir que l’évêque s’intéressait aux faits. Le soir même, Bernadette revint, malgré sa crainte, car elle avait omis la seconde partie du message de la Dame (concernant la chapelle) : plus calme, entouré de ses vicaires, l’abbé Peyramale la chargea de demander à l’impétrante son nom, puis de le lui rapporter. Le curé était resté impassible et prudent, mais sa charité était touchée par l’honnêteté de la jeune fille : dans la nuit, il fit déposer devant le « cachot » des Soubirous du bois et du pain. Si le lendemain, en visite à Tarbes, Peyramale semblait déjà bien plus enthousiaste dans les comptes-rendus qu’il fit à ses confrères, il demeurait réservé dans ses contacts avec les autorités, soucieux de ne pas donner l’impression d’approuver les événements avant le jugement de l’évêque. Le 4 mars, dernier jour de la quinzaine d’apparitions promise par la Dame, Bernadette rendit à nouveau visite à l’abbé, mais sans pouvoir lui donner le nom de sa mystérieuse interlocutrice.
Le mois de mars fut marqué par une certaine accalmie, au cours de laquelle Bernadette reprit l’étude du catéchisme et la préparation de la première communion. Le curé était de son côté attentif aux premiers phénomènes extraordinaires survenant autour de la grotte et de la source miraculeuse : il se rendit en particulier au chevet d’un jeune infirme que la voyante était allée visiter plusieurs fois. Il prit par ailleurs le temps de rendre compte à son évêque des développements en cours. Prudent et réservé, parfois surpris par son tempérament emporté, Peyramale gardait toutefois une grande bonté de cœur : au fond de lui-même, il ne demandait qu’à se laisser toucher. La Dame le savait, et attendait son heure…