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Assomption, Dormition ?

Icone de la Dormition, par Théophane le Grec (1392)
Deux noms pour une même fête liturgique, témoignent de sensibilités différentes : de la Dormition à l’Assomption, y a-t-il une divergence de foi ? Regard théologique.

Une même fête

Le 15 août, l’Eglise célèbre depuis les premiers siècles en une même fête deux événements  que l’on peut distinguer : la résurrection de la Sainte Vierge, quelques temps après sa mort, et sa translation en corps et en âme au Ciel.

La première étape de cette eschatologie mariale, sa mort, en raison de son caractère transitoire, est parfois appelée dormitio (dormition) ou pausatio (repos). La fête liturgique antique reçut ces différentes appellations.

C’est toutefois le terme d’Assomption qui s’imposa finalement, marquant plus expressément le caractère passif du phénomène : la Sainte Vierge a été élevée au paradis par la puissance divine, par opposition au Christ Jésus, montant au ciel par sa propre puissance au jour de l’Ascension.

Les origines de la fête

L’Ecriture Sainte ne fournit aucune preuve directe de l’Assomption ; les Pères et docteurs citent toutefois certains passages bibliques à l’appui de cette doctrine. Ainsi du Ps 131, 8 : « Monte, Seigneur, vers le lieu de ton repos, toi, et l’arche de ta force ! » (l’arche d’alliance; traditionnellement identifiée à la Sainte Vierge) ou encore du Ps 44, 10 : « Parmi tes bien-aimées sont des filles de roi ; à ta droite, la préférée, sous les ors d’Ophir. » Certains ajoutent à cela la salutation angélique de Lc 1, 28 : « je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, » ou encore la promesse faite à Adam et Eve par le Créateur au lendemain de la chute, le célèbre texte du « Protévangile » (Gn 3, 15) : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. »

Les écrits apocryphes sont plus explicites et ont contribué à alimenté la tradition ancienne au sujet de l’Assomption de Notre-Dame. On peut ainsi citer le Transitus Mariae, qui décrit la mort, l’assomption et l’élévation de Marie au ciel par les anges. Ce texte du IVème siècle, attribué à Jean de Thessalonique, eut une influence considérable sur la tradition orthodoxe. L’Evangile du Pseudo-Matthieu raconte l’histoire de l’Enfance de Jésus et de la Vierge Marie, il contient aussi une narration de sa mort et de son élévation au ciel par les anges. 

L’Assomption, un dogme ?

Les théologiens considèrent parfois que la proclamation par le pape Pie XII  de l’Assomption de Notre-Dame, le 1er novembre 1950, constitue le seul cas certains d’affirmation ex cathedra d’une vérité dogmatique. Dans sa bulle Munificentissimus Deus, le Pontife ouvre son argumentation sur le dogme de l’Immaculée Conception, dont il fait la clé des privilèges de Marie, et notamment de son Assomption. Ceux qui sont sur naturellement régénérés par le baptême triomphent de la mort dans le Christ, mais Pie XII relie les conséquences du péché à la loi universelle de corruption, à laquelle demeurent soumis les corps des justes. Dieu voulut toutefois en exempter la bienheureuse Vierge : ayant vaincu le péché dans son Immaculée Conception, elle ne dut pas atteindre la résurrection de son corps jusqu’à la fin du monde. 

Reprenant ensuite les nombreuses données de la tradition liturgique, théologique et patristique, Pie XII note aussi le lien étroit, souvent relevé par la tradition orientale, entre la maternité virginale de Notre-Dame et son Assomption, citant entre autres saint Jean Damascène.

Il fallait que Celle qui avait conservé sans tache sa virginité dans l’enfantement, conservât son corps sans corruption même après la mort. Il fallait que Celle qui avait porté le Créateur comme enfant dans son sein, demeurât dans les divins tabernacles. Il fallait que l’Epouse que le Père s’était unie habitât le séjour du ciel[1]S. Jean Damascène, Encomium in Dormitionem Dei Genitricis Semperque Virginis Mariae, hom. II, n. 14 ; cf. également ibid., n. 3

Lorsqu’il en vint à la proclamation dogmatique proprement dite, le pape conserva toutefois une formulation volontairement large, permettant d’englober les différentes traditions et opinions théologiques légitimes ayant court au sujet de l’Assomption.

Nous proclamons, déclarons et définissons que c’est un dogme divinement révélé que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste[2]Pie XII, Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950, n°44.

En ne prenant pas de position tranchée concernant la mort de la Vierge Marie, ni quant à la temporalité de son assomption au ciel, le pape englobe toutes les expressions de la foi multiséculaire au sujet de la fin de la vie de Notre-Dame. 

Assomption et dormition : la position des Orientaux

Le mystère en question est fêté par la tradition orientale sous le vocable de “Dormition” de Notre-Dame, une distinction de mots que certains durcissent jusqu’à en faire l’expression d’une divergence théologique de fond. La proclamation de l'”Assomption” serait ainsi le signe d’une “incompréhension” catholique, une tendance – consciente ou non – à diviniser Marie qui oublierait sa condition fondamentale de créature. Il s’en trouve ainsi parmi les théologiens orthodoxes pour opposer la vision catholique, exprimée par les apothéoses mariales de l’art occidental, à celle des icônes orientales où figurent à la fois le corps de la Vierge, veillé par les disciples et parfois élevé par les anges, et son âme, figurée par un enfant, portée dans ses bras en paradis par son divin Fils. 

La divergence est peut-être plus profonde encore, révélatrice de l’ambiguïté des positions orientales séparées : dans l’Assomption c’est la possibilité même pour le Souverain Pontife de proclamer un dogme qui fait sursauter les orthodoxes. Pour eux, cette éventualité est inenvisageable hors du cadre de réunion d’un concile oecuménique (entendu en leur sens). C’est pourquoi ils refusent tant la définition solennelle de l’Assomption que celle de l’Immaculée Conception, qui l’a précédée et préparée. Pour certains d’entre eux d’ailleurs, le privilège de Marie, préservée du péché originel dès son premier instant, devrait être ramené à une position inférieure : Marie a effectivement évité tout péché, non en vertu d’une exemption préventive des conséquences de la faute d’Adam, mais par une grâce spéciale tout au long de sa vie. 

La vision catholique : ligne de crête et source de contemplation

Comme souvent, la position juste, celle de l’Eglise, se trouve dans un équilibre entre deux excès. La critique orthodoxe pourrait ainsi être comprise comme une réaction à certaines exagérations de théologiens des XVIIème et XVIIIème siècle, allant jusque’à nier la mort de la Vierge Marie, en raison de sa préservation du péché originel[3]auteurs cités par le franciscain Macedo en 1660 dans son De clavibus Petri.. La conception catholique tient au contraire à la fois la condition créée de la Vierge Marie, humble servante du Seigneur, mystérieusement choisie comme associée à son dessein d’amour, et sa dignité éminente de mère de Dieu, source et racine de ses privilèges d’Immaculée Conception – en vertu et par anticipation des mérites de son Fils – et d’Assomption. 

Au-delà des débats théologiques, la contemplation de ce mystère, comme tous ceux de la vie de Marie, nous ramène au visage du Christ et à son plan de salut sur nous. Comme nous y exhorte saint François de Sales, dans l’un de ses magnifiques sermons pour la fête de l’Assomption, méditons la mort d’amour de Notre-Dame, en y voyant le reflet de celle de son divin Fils offert pour nous.

Or, puisqu’il est certain que le Fils est mort d’amour et que la Mère est morte de la mort du Fils, il ne faut pas douter que la Mère ne soit morte d’amour. […] ayant soutenu miraculeusement mille et mille assauts d’amour, elle fut emportée et pris par un dernier et général assaut ; et l’amour qui en fut le vainqueur, emmenant cette belle âme comme sa prisonnière, laissa dans le corps sacré la pâle et froide mort. 

Références

Références
1 S. Jean Damascène, Encomium in Dormitionem Dei Genitricis Semperque Virginis Mariae, hom. II, n. 14 ; cf. également ibid., n. 3
2 Pie XII, Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950, n°44
3 auteurs cités par le franciscain Macedo en 1660 dans son De clavibus Petri.
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