Mystique, saint, apôtre, confesseur : Padre Pio, ordonné prêtre le 10 août 1910, présente un visage de sainteté aux multiples facettes. Parfois présenté comme un prophète, il est souvent invoqué aujourd’hui pour prédire les maux de notre temps. Plus que ce que Padre Pio a dit, compte ce qu’il a vécu avec le Christ et avec ces frères. C’est cette biographie spirituelle qu’ont voulu écrire deux frères capucins de la province de France : frère Pio Murat et frère Eric Bidot.
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La vocation capucine
Lorsque le jeune Francesco Forgione, de Pietrelcina, entre chez les capucins, l’ordre vient de connaître une période de réforme et de modernisation durant les 24 ans du généralat de Bernard d’Andermatt. Les frères sont revenus sous sa houlette à une quête plus profonde de la conformité au Christ crucifié, par la contemplation de la croix, à l’amour de Dame Pauvreté (le père général refusa toujours qu’un lavabo et un radiateur soient installés dans sa cellule), à l’abandon à Dieu, à l’attention aux pauvres, à la promotion de la spiritualité franciscaine auprès des laïcs (via le Tiers-ordre).
Francesco Forgione gardait un souvenir spécial du jour de sa confirmation, comme une expérience d’appel, qui fait naître en lui une vocation : il veut devenir « moine avec la barbe, » à l’image des missionnaires capucins fréquentés dans son village. Entré au noviciat à 15 ans (1903) il s’y distingue par son amour du silence et son don des larmes : ses frères remarquent de larges flaques devant sa place au chœur. À 23 ans seulement (10 août 1910) il devient prêtre : son ordination est anticipée en raison de sa santé fragile.
[Citation] Jésus, mon souffle et ma vie, aujourd’hui en tremblant je t’élève dans un mystère d’amour. Qu’avec toi je sois, dans le monde, Voie, Vérité et Vie et, pour toi, prêtre saint, victime parfaite[1]Mots écrits à l’occasion de sa première messe, cf. Padre Pio, p. 40.
Épreuves et configuration au crucifié
Les années 1910-1918 sont une période d’épreuve, avec de nombreuses agressions démoniaques, des tentations contre la pureté, la foi et l’imagination, des maladies inexplicables, un long retour à la maison, l’appel sous les drapeaux et la vie de caserne. Ses directeurs spirituels se trouvèrent rapidement démunis pour l’orienter et l’accompagner, bien que le jeune frère se soit attaché à leurs conseils comme à une bouée, dans une obéissance fidèle. Satan fit tout pour le pousser à bout, allant jusqu’à prendre les traits de son confesseur. « Ne rien craindre, sinon d’offenser Dieu » : telle sera toujours l’attitude de Padre Pio. Il tient par la grâce, parfois manifestée par des consolations exceptionnelles, soutenu par une oraison de recueillement souvent faite sans effort. Au milieu des épreuves, il est aussi soutenu par le compagnonnage quotidien de son ange gardien.
Le 18 avril 1912 Padre Pio connaît la grâce de la fusion de son cœur avec celui du Christ, « comme une goutte d’eau dans la mer, » par une blessure d’amour à l’action de grâces. Le 7 août 1918 c’est la transverbération, une blessure physique au niveau du cœur, mais surtout une blessure d’amour vive et ardente, qui prépare la réception des stigmates. Ces dernières marquent le début d’une existence nouvelle, sous le signe de la contradiction, voire de la persécution : le 20 septembre 1918, pendant l’action de grâces, Padre Pio reçoit comme en une « crucifixion » ces marques corporelles à propos desquelles il parlera de « confusion, » « humiliation, » « supplice. » Reçues à l’action de grâces, ces stigmates rendent visible ce que le Padre vivait à la messe : l’union profonde au sacrifice et à l’obéissance de Jésus. Il comprend ainsi que son corps est donné au Seigneur pour s’y manifester, et que ces marques infamantes sont les signes d’une communion d’amour au Christ crucifié et d’une offrande totale pour le salut de ses frères.
Racheter le monde avec le Christ
Cette union au Christ par la souffrance et l’amour se poursuit au long de sa vie, à travers de longues périodes de nuit et de contradiction, qui aideront le capucin à comprendre que la souffrance acceptée et offerte par amour est un chemin de configuration au Christ, pour le salut du monde. « Corredimere, » participer à racheter le monde en étant uni et inclus dans le sacrifice de Jésus : c’est ainsi que Padre Pio définissait lui-même sa vocation. Ce n’était pas que des mots pour le saint, qui se montra toujours particulièrement attentif aux souffrances d’autrui, tout en étant lui-même profondément immergé dans ce mystère. À l’intérieur, il vivait à chaque instant l’abandon et la déréliction du Christ en sa Passion, à l’extérieur il impressionnait ses visiteurs et ses frères par sa joie, sa bonne humeur, sa sérénité, son sens de l’humour. Humble et affable en communauté, il savait se montrer enjoué lors des récréations, partager sa portion de nourriture avec les jeunes frères affamés, raconter des histoires drôles…
Les controverses se multiplièrent autour du stigmatisé à partir de 1923, remontant jusqu’au Vatican et conduisant le Saint Office à prendre à son encontre certaines mesures restrictives : isolement, interdiction des célébrations publiques, des confessions, de la correspondance. Le célèbre père Agostino Gemelli, médecin et ami personnel de Pie XI se déplaça pour examiner le jeune prêtre et l’étonnant phénomène. Son rapport extrêmement négatif fut le point de départ de nouvelles vexations, vécues par le Padre Pio dans l’obéissance à l’Église, malgré de nombreuses injustices. Cette soumission libre fut un creuset de purification et un chemin d’assimilation au Christ pour le religieux, car cette obéissance, profondément surnaturelle, était un véritable acte de foi.