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Quand deux hommes feront un enfant

« Gamétogénèse » : tel est le nom barbare de la dernière prouesse de la science biomédicale en matière de fécondité, qui chamboulera bientôt le domaine de l’assistance à la procréation. Une avancée dont les conséquences, envisagées sans scrupule aucun, font froid dans le dos et montrent l’impossibilité de toute réflexion éthique dans un monde sans Dieu.

Fécondité artificielle : état des lieux

Une revue britannique de premier plan[1]The Economist, 22-28 juillet 2023, peu connue pour son conservatisme en matière morale, publiait il y a quelques mois un dossier « technologique » sur le sujet de la fécondité. L’occasion de faire le point sur les dernières avancées de la biologie et sur leurs implications possibles sur la procréation humaine.

L’éditorial dresse un état des lieux du sujet de la fécondité, un problème prégnant – à différents niveaux, nous le verrons – dans les sociétés contemporaines. Une personne sur six souffrirait d’infertilité (ce qui fait que près d’un tiers des couples seraient potentiellement concernés). Malgré les chiffres impressionnants de la fécondation in vitro (FIV) – 12 millions de « bébés-éprouvettes » depuis 1978, la plupart des traitements, pourtant lourds, contraignants et très coûteux (compter environ 20 000 dollars aux Etats-Unis), échouent. En 2018, plus de 3 millions de « cycles » de fécondation in vitro ont été lancés, pour seulement 770 000 naissances. Malgré les nombreux progrès réalisés depuis 40 ans dans la technique : réduction des grossesses à risque (gémellaires et au-delà), des effets secondaires des traitements hormonaux, les obstacles restent nombreux et mal compris. Les mécanismes sont encore peu maîtrisés côté masculin. Côté féminin de nouveaux problèmes apparaissent, liés notamment au retard graduel de l’âge du premier enfant, alors que la fertilité décline année après année (diminution du stock et de la qualité des ovocytes disponibles). Les auteurs du dossier ajoutent naturellement à cela les obstacles « règlementaires » qui entravent l’accès de certains types de personnes à la procréation assistée (couples de même sexe, transsexuels, personnes célibataires…) ou restreignent les possibilités techniques permises par la fécondation in vitro (notamment la congélation d’ovocytes, qui permet aux femmes – mais seulement là où elle est autorisée – de retarder considérablement le moment de la grossesse).

C’est là qu’intervient une annonce fracassante : la recherche sur les cellules souches pourrait permettre de produire – ex nihilo, ou presque – des gamètes féminines et masculines aptes à être fécondées et à donner naissance à un nouvel être humain. Il s’agit bien là, notent les journalistes, d’une « nouvelle révolution » : la « gamétogénèse. »

Les cellules souches pluripotentes induites : une chance pour éviter la recherche sur l’embryon

L’annonce était passée quasi-inaperçue à l’époque, et avait plutôt été relevée et saluée par les commentateurs les plus conservateurs : en 2006, une équipe du laboratoire de l’université de Kyoto (Japon), est parvenue à « reprogrammer » des cellules d’épiderme de souris, pour les faire revenir à l’état de cellules souches pluripotentes (appelées cellules souches pluripotentes « induites » ou iPS pour « induced pluripotent stemcells »), semblables à celle d’un embryon.

Rappelons que les cellules souches sont des organismes primordiaux, encore indifférenciés, qui ont la capacité de se multiplier et de se spécialiser ensuite. On les divise selon leur potentialité – leur capacité à devenir une cellule plus spécifique ; elles sont dites 1) totipotentes (capables de se spécialiser en n’importe quelle cellule humaine, même en un gamète à l’origine d’un nouvel être), 2) pluripotentes (pouvant composer n’importe quel organe du corps, mais sans aller jusqu’à permettre la naissance d’un nouvel être), ou 3) multipotentes (capables de se différencier dans une branche particulière de l’organisme). Les cellules souches embryonnaires sont pluripotentes, tandis que les cellules souches adultes ne peuvent être que multipotentes, d’où l’enjeu de recherche et de progrès pharmaceutique autour des premières.

L’annonce de l’université japonaise semblait ouvrir une possibilité de recherche thérapeutique à partir des cellules souches pluripotentes – potentiellement utilisables pour mettre en place de nouveaux traitements contre le cancer – sans avoir recours à la destruction d’embryons. Un véritable espoir pour les défenseurs de l’éthique médicale authentique et de la dignité humaine, salué par de nombreuses voix du monde catholique et récompensé par l’attribution au professeur Yamanaka du prix Nobel de médecine en 2012.

Des conséquences ambivalentes…

Cette avancée majeure se montre aujourd’hui ambivalente en ses conséquences : en 2016 l’université de Kyushu (au Japon toujours) est parvenue à transformer des cellules iPS d’un individu femelle en cellules-œuf qui, une fois fécondée et réimplantées avec succès, donnèrent naissance à de nouveaux êtres vivants (en l’occurrence, une fois encore des souris). En mars 2023, la même prouesse fut répétée, à partir de cellules issues d’un individu mâle (dont le génome avait perdu son chromosome Y). On parvient aussi aujourd’hui, sur le même modèle, à reprogrammer des cellules souches en gamètes masculins (spermatozoïdes).

Ces découvertes ouvrent la porte à la gamétogénèse, une « magie reproductive, » dont les conséquences sont immenses, et pourraient être particulièrement révolutionnaires. D’un individu mâle, on pourrait donc extraire une cellule qui serait finalement « reprogrammée » ou induite à l’état de cellule souche totipotente, soit de cellule germinale, apte à participer à la naissance d’un nouvel être. En un mot, on pourrait produire un œuf ou un ovule à partir d’un mâle. Il n’en faut pas plus pour voir s’ouvrir pour des couples d’hommes, des transsexuels, des célibataires, la possibilité de donner naissance à un enfant par gamétogénèse. Le professeur Henry Greely, de l’université de Stanford (Californie), note par ailleurs que cette technique, palliant la limitation naturelle du nombre d’ovocytes, pourrait permettre la création d’un large panel d’embryons pour répondre à chaque désir d’enfant, et ainsi une sélection importante sur de nombreux critères.

Les sueurs froides ne manquent pas d’arriver lorsque l’on songe un instant à ce nouveau monde – le meilleur de tous – que nous préparent ces expérimentations. Les voix autorisées se veulent rassurantes, tempérées : le développement de ces techniques serait encore à un stade primaire, dans une optique de recherche pure, le passage de la souris à l’humain ne serait pas pour demain, des adaptations thérapeutiques d’ampleur pas envisageables avant plusieurs décennies… Et pourtant le monde de l’argent s’agite déjà, des brevets sont déposés, des entrepreneurs sont sur la brèche, les géants économiques surveillent de près les avancées en la matière, pour ne pas rater l’aubaine, car les enjeux financiers sont de taille.

Regards philosophiques

Quel regard porter sur ces éléments, au-delà du légitime effroi qui nous saisit à la pensée des possibles conséquences sur la médecine, la famille, la filiation et la société en général ?

Il nous semble important d’apporter une première remarque : la science et le progrès, en eux-mêmes sont neutres. Ce sont leurs intentions et leurs applications qui les qualifient, comme il apparaît en particulier avec les conséquences si diverses de la découverte par l’équipe du professeur Yamanaka de la possibilité de reprogrammer des cellules souches à l’état pluripotent induit (cellules iPS).

En un sens, la science est même absolument bonne, en tant que développement par l’homme des capacités que Dieu a mises en son esprit. Pie XII pouvait ainsi affirmer en 1951 : « Plus la vraie science, en effet — quoi qu’on en ait inconsidérément affirmé dans le passé — progresse, et plus elle découvre Dieu, comme s’Il attendait, aux aguets, derrière chaque porte qu’elle ouvre »[2]Pie XII, discours du 22 novembre 1951 à l’Académie Pontificale des Sciences..

Cependant le même pape notait, dans un discours de 1955, que trois attitudes sont possibles face aux avancées de la connaissance humaine : 1) certains – la majorité – en restent aux progrès réalisés dans le domaine technique, et en font le but de toute science ; 2) d’autres apprécient en outre la méthode de la recherche scientifique ; 3) peu nombreux sont cependant ceux qui se consacrent aux questions les plus profondes et essentielles de la connaissance[3]Pie XII, discours du 24 avril 1955 à l’Académie Pontificale des Sciences. Or la science et la philosophie ont hélas été longtemps séparées par une interprétation mécaniste outrageusement dominante. Près d’un demi-siècle plus tard, le pape Jean-Paul II appelait une nouvelle fois à une rencontre harmonieuse de la science et de la foi[4]Jean-Paul II, Encyclique Fides et Ratio, 14 septembre 1998.

Si le progrès scientifique est neutre en lui-même, ce sont les intentions qui président à ses découvertes et ses applications qui en qualifient la moralité. Le progrès technique, lorsqu’il est considéré dans l’ordre des choses, est à soutenir et encourager. Pie XII le notait en particulier en 1957 au sujet des innovations dans le domaine de l’audiovisuel : « Les merveilleux progrès techniques dont se glorifie notre époque sont assurément les fruits du génie et du travail de l’homme, mais ils sont d’abord des dons de Dieu, notre Créateur, de qui dérive toute œuvre bonne ; “non seulement en effet Il a suscité la créature, mais Il la protège encore et la soutient ». Quelques-unes de ces inventions servent à multiplier les forces et les ressources physiques de l’homme, d’autres à améliorer ses conditions de vie »[5]Pie XII, Miranda Prorsus, 8 septembre 1957..

Malheureusement, dans un monde blessé par le péché originel, le progrès et son utilisation par l’homme sont souvent source de crainte et de désordre. Dans son radiomessage de Noël 1956[6]Pie XII, Radiomessage du 23 décembre 1956, « La maîtrise de l’homme sur l’univers, » traduction du Nouvelliste Valaisan le pape notait l’angoisse de l’homme moderne face à cette ambivalence du progrès : « une fois passé le premier moment d’exultation, les hommes d’aujourd’hui, devant l’accroissement inattendu de leurs connaissances et les conséquences qui en découlent, devant cette invitation inouïe dans le microcosme et le macrocosme, tourmentés d’une certaine anxiété, se demandent s’ils conserveront leur maîtrise du monde ou s’ils tomberont victimes de leur progrès. »

Confirmant ces intuitions de Pie XII, tout le paradoxe de notre société apparaît aujourd’hui au travers de ces fulgurances de la recherche biomédicale : les questions éthiques sont naturellement abordées, mais dans un sens qui les disqualifie déjà en partie. Apparaît ainsi en pleine lumière le vice de naissance de la réflexion bioéthique moderne, l’inanité d’une morale sans Dieu. Pie XII le disait dès 1956 : « L’homme commence à craindre le monde qu’il croit avoir désormais en main : il le craint plus que jamais et surtout là où Dieu ne vit pas vraiment dans les esprit et dans les cœurs »[7]Pie XII, Radiomessage de Noël 1956..

Les journalistes de The Economist ne manquent pas de relever, presque avec poésie, l’incroyable complexité des processus qui disposent à l’apparition de la vie humaine, l’incapacité de la science la plus avancée à appréhender dans son ensemble le phénomène de la procréation : « Scientists have an astonishingly poor grasp of how a new life comes about »[8]Les scientifiques ont une perception incroyablement pauvre de la manière dont une nouvelle vie apparaît..

Mais loin de s’y appuyer pour prendre conscience de la beauté de ces instants où l’on touche du doigt le divin, à travers l’incroyable mission de collaboration – de « procréation » – confiée par le Créateur au foyer humain, l’homme contemporain n’y voit qu’une limite momentanée et insupportable à sa volonté d’autonomie totale et de puissance. Incapable de supprimer la mort, l’homme moderne tente par tous les moyens de maîtriser la vie. Le but est clairement défini, sans scrupule aucun : la gamétogénèse est cette nouvelle révolution, « empowering women – and men – to have the babies they want, when they want them »[9]permettant aux femmes – et aux hommes – d’avoir les bébés qu’ils veulent, quand ils les veulent..

 

Références

Références
1 The Economist, 22-28 juillet 2023
2 Pie XII, discours du 22 novembre 1951 à l’Académie Pontificale des Sciences.
3 Pie XII, discours du 24 avril 1955 à l’Académie Pontificale des Sciences
4 Jean-Paul II, Encyclique Fides et Ratio, 14 septembre 1998
5 Pie XII, Miranda Prorsus, 8 septembre 1957.
6 Pie XII, Radiomessage du 23 décembre 1956, « La maîtrise de l’homme sur l’univers, » traduction du Nouvelliste Valaisan
7 Pie XII, Radiomessage de Noël 1956.
8 Les scientifiques ont une perception incroyablement pauvre de la manière dont une nouvelle vie apparaît.
9 permettant aux femmes – et aux hommes – d’avoir les bébés qu’ils veulent, quand ils les veulent.
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