Rechercher
Rechercher
Rechercher
Rechercher

Faut-il avoir peur du Purgatoire ?

Écouter l’article:

Un mot qui fait peur, un lieu de souffrances pour ceux dont la pénitence a été insuffisante sur terre, faut-il craindre le Purgatoire ?

« Soyez saints parce que je suis saint »[1]Lv 11, 44 ; 1P 1, 16.

La véritable raison du Purgatoire est la sainteté de Dieu et la beauté du Ciel : y entrer exige une grande pureté d’âme – « heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » (Mt 5, 8).  La pureté de cœur est l’absence de tout mélange d’attrait et d’attachement aux choses inférieures.

Quiconque possède la charité préfère ultimement Dieu à toutes choses – c’est l’état de grâce, mais cette charité connaît des degrés : elle peut demeurer mêlée d’attaches inférieures, l’amour de soi et des créatures étant insuffisamment subordonné et intégré à l’amour de Dieu.

Le Purgatoire écarte ces mélanges qui sont comme un obstacle à la vision béatifique dans ces âmes en état de grâce et les prépare à la joie pleine de la participation à la vie divine.

De quoi sommes-nous purifiés en Purgatoire ?

Les obstacles au plein épanouissement de la charité, transformant la grâce de cette vie en gloire éternelle sont de trois types :

1. Les péchés véniels non regrettés. Le péché véniel – celui qui ne nous détourne pas absolument de Dieu mais nous tourne toujours plus vers ce qui est créé et inférieur plutôt que vers lui – ne peut être remis que par un acte de regret volontaire (qui peut se porter sur un péché en particulier ou sur tous en général). Avant de mourir, il faut que l’âme ait regretté véritablement tous ses péchés véniels, sans quoi elle s’en purifiera au « feu » du Purgatoire[2]Saint Thomas d’Aquin, De malo, q. 7, a. 11..

2. Les suites ou restes du péché. Le péché mortel – qui nous détourne totalement de Dieu – même une fois pardonné, laisse des traces : mauvaises habitudes, inclinations désordonnées… si la culpabilité est entièrement remise par l’absolution sacramentelle (la confession), les restes de cette « aversion » à l’égard de Dieu demeurent s’ils ne sont pas éradiqués par la pénitence et le travail de la vertu. La pratique invétérée de la médisance, par exemple, même lorsque le médisant se confesse, demeure, sous la forme d’une certaine propension à dire du mal d’autrui, qui s’enracine dans des dispositions psychiques et affaiblit sa volonté. C’est l’objet du combat spirituel que d’éliminer progressivement ces inclinations au mal qui prennent la forme d’un attachement aux créatures. Celles qui pourraient demeurer à l’instant de la mort – incompatibles avec la béatitude éternelle seraient également l’objet de la purification du Purgatoire.

3. La peine temporelle. Tout péché est une offense à Dieu, méritant une peine infinie en raison de la dignité de l’offensé – remise par l’absolution, mais aussi un désordre dans l’univers créé, méritant une peine finie correspondant à la nécessité de réparer le mal ainsi introduit dans la Création. Cette obligation à la peine est un mal, qui ne peut donc coexister avec la béatitude éternelle. Celui qui n’a pu acquitter totalement cette peine en cette vie doit la compléter après la mort au Purgatoire[3]Saint Thomas d’Aquin, Commentaire du IVe livre des Sentences, dist. 21, q. 1, a. 1, qla. 1..

La peine du Purgatoire

Pour saint Thomas d’Aquin la peine – temporelle – du Purgatoire consiste en un retard ou délai de la vision béatifique. Elle se rapproche analogiquement de la peine du « dam » que subissent en Enfer les âmes éternellement privées de la vision béatifique[4]Voir saint Thomas d’Aquin, Commentaire du IVe livre des Sentences, dist. 21, q. 1, a. 1, qla. 3 et les nuances de R. Garrigou-Lagrange, L’éternelle vie, p. 158 qui parle d’une « peine du dam … Continue reading.

Pour sainte Catherine de Gènes[5]Traité du Purgatoire, c. 2 : « Chaque jour s’accroît ce contentement par l’action de Dieu en ces âmes, action qui va croissant comme va se consumant ce qui empêche cette action divine. Cet … Continue reading, la souffrance que cause la privation de Dieu est d’autant plus vive que le désir de Dieu augmente à mesure que l’âme est purifiée. L’âme est ainsi rendue de plus en plus apte à recevoir la vision et accroît sa joie comme aussi – paradoxalement et en parallèle – sa souffrance[6]Les expressions de sainte Thérèse d’Avila permettent aussi de saisir un peu de la paradoxale souffrance du Purgatoire : « Étant absente de son souverain Bien, comment pourrait-elle désirer de … Continue reading.

Saint Thomas enseigne qu’à cette peine de retard de la vision s’ajoute une peine du sens : infligée par le « feu » du Purgatoire. Il s’agit pour lui d’une réalité analogue à celle de la peine sensible de l’Enfer, mais son effet est différent : il est un fruit de la miséricorde divine, qui consume dans les élus les restes du péché. Il correspond aux peines temporelles et aux séquelles concrètes du péché – réalités positives qui demandent l’application d’une peine positive. Pour la plupart des théologiens récents cependant cette dimension sensible de la peine n’est pas distincte réellement de la peine du délai : le « feu » serait alors la réalité matérielle du Purgatoire comme lieu d’attente, instrument de la purification par le retard de la vision béatifiante. 

Le Purgatoire : lieu de joie ?

Les expressions paradoxales des mystiques décrivent le Purgatoire comme un lieu de souffrance, mais aussi de joie[7]Sainte Catherine de Gènes (1447-1510), Traité du Purgatoire, c. 2 : « Je ne crois pas qu’il puisse se trouver un contentement comparable à celui d’une âme du Purgatoire, à l’exception de … Continue reading. Comment l’expliquer ?

– L’âme qui a comparu au jugement particulier est absolument certaine de sa destinée éternelle et donc de son salut : une âme du Purgatoire sait qu’elle va voir Dieu et que les souffrances purificatrices qu’elle endure sont justes et bonnes pour elles. L’âme du Purgatoire ne peut plus pécher, elle est habitée déjà par une immense joie, fondée dans une espérance assurée et une charité inamissible.

– Mais cette joie profonde coexiste avec une intense souffrance : l’âme est privée par sa faute de la vision béatifique qu’elle pourrait et devrait avoir. Sa souffrance est d’autant plus intense que tous les biens créés – consolations sensibles et terrestres – lui sont radicalement enlevés : Dieu est son seul bien, et elle en est éloignée.

 

« Santo subito »[8]« être saint tout de suite », « au galop, en Paradis »[9]dernières paroles de Madame Louis de France, fille de Louis XV : Le but de la vie chrétienne

Faut-il alors craindre le Purgatoire ? Est-il nécessaire de prier pour la délivrance des âmes qui y attendent l’entrée dans la béatitude ?

Le but de la vie chrétienne est unique : être saint, le plus tôt possible. Le Purgatoire est un obstacle – même temporaire – à la sainteté, qui ne peut aucunement être vu comme un bien. Il doit donc être craint, à plusieurs titres.

– En tant que lieu de souffrance et de peine, le Purgatoire ne peut être désiré mais doit être fui à tout prix : il est un mal objectif puisqu’il est une privation – même temporaire – du bien infini qu’est Dieu. Le Purgatoire est ainsi l’objet d’une crainte initiale que l’on peut qualifier de « servile » : la peur de la peine.

– En tant que lieu de privation de l’amour de Dieu, le Purgatoire doit surtout être craint d’une crainte amoureuse, filiale, celle de l’enfant qui ne désire rien plus que d’être uni à son Père et de faire sa volonté en tout : or la volonté de Dieu est que tout homme soit sauvé, s’il était possible sans avoir besoin de la purification du Purgatoire.

Comment dès lors éviter le Purgatoire ? L’Église donne des moyens efficaces pour que soit évité – pour nous et pour les autres – le retard du Purgatoire.

– Dès maintenant il nous faut lutter pour diminuer en nous et faire disparaître les restes de nos péchés, ces inclinations désordonnées enracinées par nos mauvaises habitudes : c’est tout l’objet du combat spirituel et de la pratique des vertus (agere contra : « agir contre » les habitudes mauvaises par la répétition d’actes bons).

– Dès ici-bas il nous faut également réparer par notre pénitence les désordres nombreux causés par nos péchés dans le domaine créé : les pratiques de l’Église (jeûnes, abstinence, prière, appels à la mortification) ont pour but de nous y encourager.

– L’extrême onction, dernier des sacrements, a pour raison d’être et effet principal d’ôter (totalement ou partiellement, selon les dispositions de celui qui le reçoit) les restes du péché et d’en diminuer la force pour éviter qu’ils puissent nous nuire dans l’agonie[10]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Supplément, q. 30, a. 1, ad 2..

– Les indulgences (partielles ou plénières) obtenues pour soi (notamment l’indulgence accordée par l’Église par la bénédiction apostolique in articulo mortis) ou pour les âmes défuntes participent également de la remise de cette peine temporelle demeurant après l’absolution du péché.

Pour aller plus loin…

L’histoire de l’Église et des saints rapporte à de nombreuses reprises un phénomène qui sort de l’ordinaire : des âmes du purgatoire seraient apparues – par permission divine, à des vivants, pour demander leurs prières et parfois les éclairer. Les Éditions de l’Homme Nouveau publient dernièrement un Manuscrit du Purgatoire, relation des entretiens d’une religieuse augustine du XIXe siècle avec les âmes de consœurs décédées. La réédition du Manuscrit est précédée d’un long avant-propos théologique du chanoine François Valadier, qui expose en toute clarté, à partir des œuvres du cardinal Journet, la doctrine catholique ferme du Purgatoire.

Références

Références
1 Lv 11, 44 ; 1P 1, 16.
2 Saint Thomas d’Aquin, De malo, q. 7, a. 11.
3 Saint Thomas d’Aquin, Commentaire du IVe livre des Sentences, dist. 21, q. 1, a. 1, qla. 1.
4 Voir saint Thomas d’Aquin, Commentaire du IVe livre des Sentences, dist. 21, q. 1, a. 1, qla. 3 et les nuances de R. Garrigou-Lagrange, L’éternelle vie, p. 158 qui parle d’une « peine du dam temporaire et improprement dite. »
5 Traité du Purgatoire, c. 2 : « Chaque jour s’accroît ce contentement par l’action de Dieu en ces âmes, action qui va croissant comme va se consumant ce qui empêche cette action divine. Cet empêchement, c’est la rouille du péché. Le feu consume progressivement cette rouille et ainsi l’âme se découvre de plus en plus à l’influx divin. »
6 Les expressions de sainte Thérèse d’Avila permettent aussi de saisir un peu de la paradoxale souffrance du Purgatoire : « Étant absente de son souverain Bien, comment pourrait-elle désirer de vivre? Elle se sent dans une solitude si extraordinaire, que ni toutes les créatures d’ici-bas, ni même tous les habitants du Ciel ne lui pourraient être de quelque compagnie, si Celui qu’elle aime n’y était pas. Loin de trouver quelque allégement en ce monde, tout au contraire la tourmente. Elle est comme une personne suspendue en l’air qui ne peut poser le pied sur la terre, ni s’élever vers le ciel. Elle brûle d’une soif qui la consume, et elle ne peut boire à la source désirée. Rien dans ce monde ne saurait calmer les ardeurs de cette soif ; d’ailleurs l’âme ne veut l’étancher qu’avec l’eau dont Notre-Seigneur parla à la Samaritaine, et cette eau lui est refusée. Ô mon adorable Maître, à quelle extrémité vous réduisez vos amants ! Que c’est peu néanmoins en comparaison de ce que vous leur donnez ensuite ! N’est-il pas juste que les grandes faveurs coûtent beaucoup ? Et l’âme pourrait-elle jamais acheter trop cher une grâce où elle se purifie pour entrer dans la septième demeure, comme on se purifie dans le purgatoire pour entrer au Ciel ? Qu’est-ce que sa souffrance auprès d’une telle faveur, sinon une goutte d’eau en comparaison de l’Océan ? » (Sainte Thérèse d’Avila, Le Château intérieur, VI, 11).
7 Sainte Catherine de Gènes (1447-1510), Traité du Purgatoire, c. 2 : « Je ne crois pas qu’il puisse se trouver un contentement comparable à celui d’une âme du Purgatoire, à l’exception de celui des saints en Paradis. »
8 « être saint tout de suite »
9 dernières paroles de Madame Louis de France, fille de Louis XV
10 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Supplément, q. 30, a. 1, ad 2.
Retour en haut

Abonnez-vous à notre newsletter,
et soyez informés des derniers articles parus.