Du documentaire Corpus Christi diffusé sur Arte depuis 1997[1]Cette émission diffuse les thèses des journalistes Gérard Mordillat et Jérôme Prieur. Jean-Marie Salamito a réagi à leurs ouvrages par une critique bien argumentée : Les chevaliers de … Continue reading à l’émission Secrets d’Histoire sur Jésus (2018), le grand public est habitué à entendre que les Évangiles n’ont aucune crédibilité historique, tout comme la figure de Jésus présentée par l’Église catholique.
Pour Michel Onfray[2]Michel Onfray, Théorie de Jésus. Biographie d’une idée, Paris, Bouquins, 2023., qui diffuse à grande échelle les arguments des « mythistes », Jésus n’est qu’un concept. Le philosophe athée a déjà écrit maintes fois sur ce sujet. Jean-Marie Salamito, professeur d’histoire du christianisme ancien à la Sorbonne, l’a réfuté avec autant de science que de pertinence : « Que vous critiquiez le christianisme ancien ne choquerait en moi ni l’historien ni le citoyen ni même le chrétien, si vous y procédiez avec les armes de la raison, les ressources des sciences et un sens minimal des nuances. Mais que vous le fassiez avec une bibliographie bancale, des sources lues trop vite, des affirmations sans fondement, des généralisations abusives, de grossiers amalgames et une assurance qui confine au dogmatisme, cela déçoit en moi l’historien, attaché à l’exigence d’un travail rigoureux, le citoyen, aspirant à un débat ouvert et éclairé, et le chrétien, partie prenante, à sa petite place, d’une tradition religieuse qui, depuis ses origines, n’a guère négligé l’histoire ni sous-estimé l’intelligence[3]Jean-Marie Salamito, Monsieur Onfray au pays des mythes, Paris, Salvator, 2017, p. 144.».
Croire en Jésus au XXIe siècle
Il est indéniable que nous vivons une époque portée au scepticisme[4]Pensons par exemple à la réaction de Ridley Scott aux critiques contre l’historicité fantaisiste de son film sur Napoléon : selon lui, les historiens n’ayant pas vécu l’époque ne peuvent … Continue reading. On ne croit que ce que l’on voit. Or la figure de Jésus est lointaine, tant dans le temps que dans l’espace. Cependant, « l’Église tient fermement que les quatre Évangiles, dont elle affirme sans hésiter l’historicité, transmettent fidèlement ce que Jésus le Fils de Dieu, durant sa vie parmi les hommes, a réellement fait et enseigné pour leur salut éternel, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel[5]Catéchisme de l’Église Catholique n°126 §1, citant Vatican II, Dei Verbum 19».
Pour appuyer cette conviction, on ne trouvera pas “l’argument-massue” qui pourrait terrasser tout sceptique quant à l’historicité des Évangiles. La certitude en matière historique n’est pas de type mathématique : elle repose sur le nombre et la fiabilité des sources, qui peuvent être contestées quand on traite d’événements très anciens. Les épisodes de la vie de Jésus n’ont guère laissé de traces matérielles, qui permettraient d’affirmer : « contra factum non fit argumentum[6]Contre un fait il n’est point d’arguties. ». Tout ou presque se trouve dans des textes, dont on ne possède d’ailleurs pas les originaux. Quoiqu’il en soit, il serait étonnant que le christianisme n’ait pas de fondateur historique, quand on pense à son impact dans l’histoire de l’humanité. Pour Simon Claude Mimouni, historien spécialisé dans le judaïsme et le christianisme antique, « tous les historiens travaillant en milieu scientifique ou en milieu théologique peuvent tomber d’accord pour estimer que Jésus est issu d’une famille judéenne et qu’il a vécu au début du Ier siècle dans un milieu pieux et marqué par la stricte observance de la Loi de Moïse »[7]Simon Claude Mimouni, « Jésus et l’histoire. À propos des travaux de John P. Meier. Working in Progress », Recherches de Science Religieuse 99/4, 2011, p. 529-550, ici p. 548..
La fiabilité de la recherche sur Jésus
En 1819, Richard Whately, archevêque anglican de Dublin, publiait un pamphlet intitulé : Peut-on prouver l’existence de Napoléon (réédité en 2012). Il s’agissait d’une réponse au philosophe David Hume, qui niait l’historicité des miracles de Jésus. Pour montrer la fausseté de ce rationalisme, Whately poussait le raisonnement jusqu’à l’absurde en l’appliquant à Napoléon (encore vivant). Il voulait montrer qu’en doutant du surnaturel a priori, on pouvait douter de tout. Le livre paru en France en 1835 fit un émule : Jean-Baptiste Pérès, qui publia à son tour : Comme quoi Napoléon n’a jamais existé. C’était une satire contre les rationalistes, et spécialement Charles-Francois Dupuis, qui avait publié en 1795 un ouvrage où il prétendait démontrer que toutes les religions ont une origine commune, le culte du soleil, et que Jésus n’a jamais existé, la Bible n’étant qu’une fable.
Rien de nouveau sous le soleil. Les ennemis de la foi continuent à vouloir démontrer que les Évangiles ne sont qu’un tissu de midrashim[8]Les midrashim (pluriel de midrash) représentent un genre littéraire développé dans la tradition juive des premiers siècles de notre ère sur la base de commentaires de l’Écriture et de … Continue reading : leurs auteurs auraient fabriqué un personnage correspondant parfaitement aux prophéties de l’Ancien Testament. Cet exercice purement littéraire, génialement réalisé, aurait dépassé toute attente en convaincant les générations postérieures, au point qu’elles auraient fini par croire à l’existence passée de ce personnage pourtant fictif…
Mais sur le plan historique, il n’est pas sérieux aujourd’hui de remettre en cause l’historicité de Jésus. Selon Daniel Marguerat, « [l’] examen des sources documentaires a fait toucher du doigt l’ancienneté exceptionnelle et l’abondance des informations dont nous disposons sur lui. La théorie mythiste du Jésus imaginaire est une supercherie intellectuelle[9]Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Paris, Seuil, 2019, p. 347.».
« Pour que l’Écriture fut accomplie » : Jésus et l’Ancien Testament
En réalité, l’étude attentive des midrashim montre plus de différences que de ressemblances avec les Évangiles. Il est clair que Jésus ne correspond pas exactement au Messie déduit de l’Ancien Testament. Il est déroutant, et la plupart des Juifs vont le rejeter. C’est lui qui éclaire ce qui l’a précédé, et non pas l’inverse. Il y a ressemblance avec l’Ancien Testament, certes, mais aussi rupture, et accomplissement transcendant. Jésus n’est pas une construction à partir de l’Ancien Testament, mais ce dernier trouve enfin sa signification profonde à partir de Jésus.
À ce sujet, Saint Thomas d’Aquin a écrit dans son Commentaire de l’Évangile de saint Jean, à propos de Jn 19,30 (« Pour que l’Écriture fût accomplie, (Jésus) dit J’ai soif ») :
Là, il faut savoir que POUR QUE n’est pas causal mais consécutif. En effet, il n’a pas fait cette demande POUR QUE l’Écriture – l’Ancien Testament – fût accomplie, mais c’est parce qu’elles devaient être accomplies par le Christ que ces choses ont été dites. En effet, si nous disions que le Christ a fait ces choses parce que les Écritures les ont annoncées, il s’ensuivrait que le Nouveau Testament existerait à cause de l’Ancien et pour l’accomplir, alors que c’est le contraire. Ainsi donc elles ont été annoncées parce qu’elles devaient être accomplies par le Christ[10]Paris, Cerf, 2006, n°2447..
La méthode scientifique
Il nous faut certainement améliorer notre connaissance du milieu historique de la rédaction des Évangiles. S’il diffère beaucoup du nôtre, il n’y a pas de motif réel d’affirmer que la vérité historique y était massivement bafouée. Une société ne peut pas fonctionner sur des bases faites de mensonges généralisés ou de fraude totale. Comme l’écrit Frédéric Guillaud : « si l’on adoptait le principe hypercritique, il faudrait effacer à peu près tous les livres d’histoire, et renoncer même à vivre en société[11]Frédéric Guillaud, Catholix reloaded, Paris, Cerf, 2015, p. 97.». Dans le même sens, Jérôme Murphy-O’Connor, bibliste et archéologue dominicain, rappelle que « comme tout autre document censé transmettre de l’information sur un événement, les Évangiles doivent être lus avec un esprit ouvert. Rien ne justifie de supposer d’emblée que tout y est fictif, car ce n’est tout simplement pas de cette façon que nous lisons d’autres textes anciens ou modernes. Au contraire, quand nous lisons un document censé dépeindre la réalité, nous créditons l’auteur de l’intention de décrire un événement réel et ne révisons ce jugement que sous la pression d’une évidence contraire montrant que l’événement en question est impossible, guère plausible ou anachronique[12]Jérôme Murphy-O’connor, Jérusalem. Un guide de la cité biblique, antique et médiévale, Paris, Cerf, 2014, p. 91.».
On considère aujourd’hui que la méthode scientifique en histoire exige de s’appuyer sur plusieurs sources indépendantes, les plus proches possibles de l’événement (critère d’attestation multiple). C’est ce que nous avons pour l’existence de Jésus, qui est mentionné dans le Nouveau Testament, dans les premiers écrits chrétiens non-bibliques (fin du Ier siècle) et dans les évangiles apocryphes, mais aussi par un historien juif du premier siècle, Flavius Josèphe (l’authenticité au moins partielle du Testimonium flavianum est aujourd’hui majoritairement reconnue[13]Antiquités judaïques, livre 18, §63-64. Cf. le livre de référence sur la question : Serge Bardet, Le Testimonium Flavianum. Examen historique. Considérations historiographiques, Paris, … Continue reading. Jésus a même été brièvement évoqué en dehors du judaïsme, dans des sources romaines antiques (Tacite dans ses Annales, Pline le Jeune dans une lettre à Trajan, Suétone dans sa Vie des douze Césars : ils parlent du Christ, avec des détails qui montrent qu’ils désignent Jésus, qui a bien existé). Personne n’a sérieusement mis en doute l’existence de Jésus avant quelques libertins français du 18e siècle. Soulignons qu’il n’existe aucune autre biographie antique d’un Juif de cette époque, en dehors de l’autobiographie de Flavius Josèphe. Si on appliquait à toute cette période le même soupçon critique que Michel Onfray pour Jésus, on ne pourrait tout simplement rien en dire…
Des comparaisons éclairantes
Comparons avec Alexandre le Grand, qui a vécu de 356 à 323 avant JC. Le récit le plus ancien de sa vie remonte au 1er siècle avant JC, mais les deux sources les plus complètes et utiles sur ce personnage considérable datent du 2e siècle après JC, ce qui fait plus de quatre siècles après les faits… Si on fait confiance à ces documents, pourquoi ne pas faire confiance aux quatre Évangiles, rédigés quelques dizaines d’années après la mort de Jésus ?
Autre exemple : la fin de la vie de Jésus se déroule sous le règne l’empereur Tibère, que l’on connaît par quatre sources. Ce sont Velleius Paterculus, Tacite, Suétone et Dion Cassius. Mais seul le premier est un contemporain, et aucun de ses manuscrits n’est antérieur au 9e siècle… Ainsi, « les textes sur Jésus sont plus complets et généralement plus proches de sa vie que ne le sont les textes sur son contemporain Tibère, le personnage le plus célèbre de l’époque[14]Peter WILLIAMS, Les Évangiles sont-ils fiables ?, Lyon, Editions Clé, 2020, p. 36.».
Et il y a les arguments de bon sens : pourquoi inventer le christianisme ? Pourquoi les apôtres et les premiers chrétiens auraient-ils versé leur sang pour une “figure de papier” ? On ne meurt pas d’épuisement dans une mine de sel ou dévoré par les lions dans un cirque pour une fable, même habilement construite. Pour saint Pierre, « ce n’est pas, en effet, en suivant des fables (en grec : « mythois ») habilement conçues, que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c’est comme ayant vu sa majesté de nos propres yeux » (2 P 1,16).
Cette émission diffuse les thèses des journalistes Gérard Mordillat et Jérôme Prieur. Jean-Marie Salamito a réagi à leurs ouvrages par une critique bien argumentée : Les chevaliers de l’Apocalypse, réponse à MM. Mordillat et Prieur, Paris, Lethielleux – DDB, 2009. Voir aussi : Philippe Rolland, Jésus et les historiens, Paris, Éditions de Paris, 1998. De même, sur un ton plus polémique, l’historien Thierry Murcia : Corpus Christi (Arte) / “Jésus contre Jésus” : Droit de réponse en 101 points, Paris, Osmondes, 2000 (disponible en pdf sur Academia.edu).
Pensons par exemple à la réaction de Ridley Scott aux critiques contre l’historicité fantaisiste de son film sur Napoléon : selon lui, les historiens n’ayant pas vécu l’époque ne peuvent rien en dire… À ce niveau, le métier d’historien disparaît.
Simon Claude Mimouni, « Jésus et l’histoire. À propos des travaux de John P. Meier. Working in Progress », Recherches de Science Religieuse 99/4, 2011, p. 529-550, ici p. 548.
Les midrashim (pluriel de midrash) représentent un genre littéraire développé dans la tradition juive des premiers siècles de notre ère sur la base de commentaires de l’Écriture et de références croisées entre différents passages.
Jésus est-il un personnage historique ? (1/3)
Du documentaire Corpus Christi diffusé sur Arte depuis 1997[1]Cette émission diffuse les thèses des journalistes Gérard Mordillat et Jérôme Prieur. Jean-Marie Salamito a réagi à leurs ouvrages par une critique bien argumentée : Les chevaliers de … Continue reading à l’émission Secrets d’Histoire sur Jésus (2018), le grand public est habitué à entendre que les Évangiles n’ont aucune crédibilité historique, tout comme la figure de Jésus présentée par l’Église catholique.
Retrouvez ici le second et le troisième article de la série.
Jésus est-il un concept ?
Pour Michel Onfray[2]Michel Onfray, Théorie de Jésus. Biographie d’une idée, Paris, Bouquins, 2023., qui diffuse à grande échelle les arguments des « mythistes », Jésus n’est qu’un concept. Le philosophe athée a déjà écrit maintes fois sur ce sujet. Jean-Marie Salamito, professeur d’histoire du christianisme ancien à la Sorbonne, l’a réfuté avec autant de science que de pertinence : « Que vous critiquiez le christianisme ancien ne choquerait en moi ni l’historien ni le citoyen ni même le chrétien, si vous y procédiez avec les armes de la raison, les ressources des sciences et un sens minimal des nuances. Mais que vous le fassiez avec une bibliographie bancale, des sources lues trop vite, des affirmations sans fondement, des généralisations abusives, de grossiers amalgames et une assurance qui confine au dogmatisme, cela déçoit en moi l’historien, attaché à l’exigence d’un travail rigoureux, le citoyen, aspirant à un débat ouvert et éclairé, et le chrétien, partie prenante, à sa petite place, d’une tradition religieuse qui, depuis ses origines, n’a guère négligé l’histoire ni sous-estimé l’intelligence[3]Jean-Marie Salamito, Monsieur Onfray au pays des mythes, Paris, Salvator, 2017, p. 144.».
Croire en Jésus au XXIe siècle
Il est indéniable que nous vivons une époque portée au scepticisme[4]Pensons par exemple à la réaction de Ridley Scott aux critiques contre l’historicité fantaisiste de son film sur Napoléon : selon lui, les historiens n’ayant pas vécu l’époque ne peuvent … Continue reading. On ne croit que ce que l’on voit. Or la figure de Jésus est lointaine, tant dans le temps que dans l’espace. Cependant, « l’Église tient fermement que les quatre Évangiles, dont elle affirme sans hésiter l’historicité, transmettent fidèlement ce que Jésus le Fils de Dieu, durant sa vie parmi les hommes, a réellement fait et enseigné pour leur salut éternel, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel[5]Catéchisme de l’Église Catholique n°126 §1, citant Vatican II, Dei Verbum 19».
Pour appuyer cette conviction, on ne trouvera pas “l’argument-massue” qui pourrait terrasser tout sceptique quant à l’historicité des Évangiles. La certitude en matière historique n’est pas de type mathématique : elle repose sur le nombre et la fiabilité des sources, qui peuvent être contestées quand on traite d’événements très anciens. Les épisodes de la vie de Jésus n’ont guère laissé de traces matérielles, qui permettraient d’affirmer : « contra factum non fit argumentum[6]Contre un fait il n’est point d’arguties. ». Tout ou presque se trouve dans des textes, dont on ne possède d’ailleurs pas les originaux. Quoiqu’il en soit, il serait étonnant que le christianisme n’ait pas de fondateur historique, quand on pense à son impact dans l’histoire de l’humanité. Pour Simon Claude Mimouni, historien spécialisé dans le judaïsme et le christianisme antique, « tous les historiens travaillant en milieu scientifique ou en milieu théologique peuvent tomber d’accord pour estimer que Jésus est issu d’une famille judéenne et qu’il a vécu au début du Ier siècle dans un milieu pieux et marqué par la stricte observance de la Loi de Moïse »[7]Simon Claude Mimouni, « Jésus et l’histoire. À propos des travaux de John P. Meier. Working in Progress », Recherches de Science Religieuse 99/4, 2011, p. 529-550, ici p. 548..
La fiabilité de la recherche sur Jésus
En 1819, Richard Whately, archevêque anglican de Dublin, publiait un pamphlet intitulé : Peut-on prouver l’existence de Napoléon (réédité en 2012). Il s’agissait d’une réponse au philosophe David Hume, qui niait l’historicité des miracles de Jésus. Pour montrer la fausseté de ce rationalisme, Whately poussait le raisonnement jusqu’à l’absurde en l’appliquant à Napoléon (encore vivant). Il voulait montrer qu’en doutant du surnaturel a priori, on pouvait douter de tout. Le livre paru en France en 1835 fit un émule : Jean-Baptiste Pérès, qui publia à son tour : Comme quoi Napoléon n’a jamais existé. C’était une satire contre les rationalistes, et spécialement Charles-Francois Dupuis, qui avait publié en 1795 un ouvrage où il prétendait démontrer que toutes les religions ont une origine commune, le culte du soleil, et que Jésus n’a jamais existé, la Bible n’étant qu’une fable.
Rien de nouveau sous le soleil. Les ennemis de la foi continuent à vouloir démontrer que les Évangiles ne sont qu’un tissu de midrashim[8]Les midrashim (pluriel de midrash) représentent un genre littéraire développé dans la tradition juive des premiers siècles de notre ère sur la base de commentaires de l’Écriture et de … Continue reading : leurs auteurs auraient fabriqué un personnage correspondant parfaitement aux prophéties de l’Ancien Testament. Cet exercice purement littéraire, génialement réalisé, aurait dépassé toute attente en convaincant les générations postérieures, au point qu’elles auraient fini par croire à l’existence passée de ce personnage pourtant fictif…
Mais sur le plan historique, il n’est pas sérieux aujourd’hui de remettre en cause l’historicité de Jésus. Selon Daniel Marguerat, « [l’] examen des sources documentaires a fait toucher du doigt l’ancienneté exceptionnelle et l’abondance des informations dont nous disposons sur lui. La théorie mythiste du Jésus imaginaire est une supercherie intellectuelle[9]Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Paris, Seuil, 2019, p. 347.».
« Pour que l’Écriture fut accomplie » : Jésus et l’Ancien Testament
En réalité, l’étude attentive des midrashim montre plus de différences que de ressemblances avec les Évangiles. Il est clair que Jésus ne correspond pas exactement au Messie déduit de l’Ancien Testament. Il est déroutant, et la plupart des Juifs vont le rejeter. C’est lui qui éclaire ce qui l’a précédé, et non pas l’inverse. Il y a ressemblance avec l’Ancien Testament, certes, mais aussi rupture, et accomplissement transcendant. Jésus n’est pas une construction à partir de l’Ancien Testament, mais ce dernier trouve enfin sa signification profonde à partir de Jésus.
À ce sujet, Saint Thomas d’Aquin a écrit dans son Commentaire de l’Évangile de saint Jean, à propos de Jn 19,30 (« Pour que l’Écriture fût accomplie, (Jésus) dit J’ai soif ») :
La méthode scientifique
Il nous faut certainement améliorer notre connaissance du milieu historique de la rédaction des Évangiles. S’il diffère beaucoup du nôtre, il n’y a pas de motif réel d’affirmer que la vérité historique y était massivement bafouée. Une société ne peut pas fonctionner sur des bases faites de mensonges généralisés ou de fraude totale. Comme l’écrit Frédéric Guillaud : « si l’on adoptait le principe hypercritique, il faudrait effacer à peu près tous les livres d’histoire, et renoncer même à vivre en société[11]Frédéric Guillaud, Catholix reloaded, Paris, Cerf, 2015, p. 97.». Dans le même sens, Jérôme Murphy-O’Connor, bibliste et archéologue dominicain, rappelle que « comme tout autre document censé transmettre de l’information sur un événement, les Évangiles doivent être lus avec un esprit ouvert. Rien ne justifie de supposer d’emblée que tout y est fictif, car ce n’est tout simplement pas de cette façon que nous lisons d’autres textes anciens ou modernes. Au contraire, quand nous lisons un document censé dépeindre la réalité, nous créditons l’auteur de l’intention de décrire un événement réel et ne révisons ce jugement que sous la pression d’une évidence contraire montrant que l’événement en question est impossible, guère plausible ou anachronique[12]Jérôme Murphy-O’connor, Jérusalem. Un guide de la cité biblique, antique et médiévale, Paris, Cerf, 2014, p. 91.».
On considère aujourd’hui que la méthode scientifique en histoire exige de s’appuyer sur plusieurs sources indépendantes, les plus proches possibles de l’événement (critère d’attestation multiple). C’est ce que nous avons pour l’existence de Jésus, qui est mentionné dans le Nouveau Testament, dans les premiers écrits chrétiens non-bibliques (fin du Ier siècle) et dans les évangiles apocryphes, mais aussi par un historien juif du premier siècle, Flavius Josèphe (l’authenticité au moins partielle du Testimonium flavianum est aujourd’hui majoritairement reconnue[13]Antiquités judaïques, livre 18, §63-64. Cf. le livre de référence sur la question : Serge Bardet, Le Testimonium Flavianum. Examen historique. Considérations historiographiques, Paris, … Continue reading. Jésus a même été brièvement évoqué en dehors du judaïsme, dans des sources romaines antiques (Tacite dans ses Annales, Pline le Jeune dans une lettre à Trajan, Suétone dans sa Vie des douze Césars : ils parlent du Christ, avec des détails qui montrent qu’ils désignent Jésus, qui a bien existé). Personne n’a sérieusement mis en doute l’existence de Jésus avant quelques libertins français du 18e siècle. Soulignons qu’il n’existe aucune autre biographie antique d’un Juif de cette époque, en dehors de l’autobiographie de Flavius Josèphe. Si on appliquait à toute cette période le même soupçon critique que Michel Onfray pour Jésus, on ne pourrait tout simplement rien en dire…
Des comparaisons éclairantes
Comparons avec Alexandre le Grand, qui a vécu de 356 à 323 avant JC. Le récit le plus ancien de sa vie remonte au 1er siècle avant JC, mais les deux sources les plus complètes et utiles sur ce personnage considérable datent du 2e siècle après JC, ce qui fait plus de quatre siècles après les faits… Si on fait confiance à ces documents, pourquoi ne pas faire confiance aux quatre Évangiles, rédigés quelques dizaines d’années après la mort de Jésus ?
Autre exemple : la fin de la vie de Jésus se déroule sous le règne l’empereur Tibère, que l’on connaît par quatre sources. Ce sont Velleius Paterculus, Tacite, Suétone et Dion Cassius. Mais seul le premier est un contemporain, et aucun de ses manuscrits n’est antérieur au 9e siècle… Ainsi, « les textes sur Jésus sont plus complets et généralement plus proches de sa vie que ne le sont les textes sur son contemporain Tibère, le personnage le plus célèbre de l’époque[14]Peter WILLIAMS, Les Évangiles sont-ils fiables ?, Lyon, Editions Clé, 2020, p. 36.».
Et il y a les arguments de bon sens : pourquoi inventer le christianisme ? Pourquoi les apôtres et les premiers chrétiens auraient-ils versé leur sang pour une “figure de papier” ? On ne meurt pas d’épuisement dans une mine de sel ou dévoré par les lions dans un cirque pour une fable, même habilement construite. Pour saint Pierre, « ce n’est pas, en effet, en suivant des fables (en grec : « mythois ») habilement conçues, que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c’est comme ayant vu sa majesté de nos propres yeux » (2 P 1,16).
Références[+]