Benoît XVI, alias Joseph Ratzinger, l’un des papes les plus érudits et énigmatiques de l’histoire récente de l’Église catholique, a vu le jour lors d’une nuit de Vendredi Saint en 1927. Une date qui pourrait avoir été présage de l’empreinte qui allait marquer la vie de cet homme. La colossale biographie récemment publiée par Peter Seewald découvre les détails fascinants de la vie de Benoît XVI, de son enfance humble à ses huit années de mission à la tête l’Église.
Peter Seewald
Écrivain et journaliste allemand né le 14 juillet 1954 à Bottrop, en Allemagne, Peter Seewald a fait carrière en tant qu’indépendant et a écrit pour divers médias, se spécialisant dans les entretiens approfondis et les biographies. Il est devenu célèbre pour sa collaboration avec le pape émérite Benoît XVI, anciennement Joseph Ratzinger et a écrit des livres basés sur ces conversations, contribuant ainsi à mieux comprendre et faire connaître la pensée et la personnalité du pape : Lumière du Monde et Dernières Conversations. Il offre avec Benoît XVI, Une vie, une monumentale biographie du pape allemand.
Acte I : De la Bavière à l’Allemagne
Le jeune Joseph Ratzinger est né dans une famille modeste, le troisième enfant de Josef et Maria. Ses parents, originaires de régions différentes, se sont rencontrés grâce à une annonce, un destin qui a semblé éclairer le chemin de leur fils. Bien que le mariage de ses parents ait failli être annulé en raison de doutes sur sa légitimité, la famille était profondément chrétienne. Son père était gendarme, un homme sévère mais aimant, doté d’une profonde piété et dévotion mariale. Un oncle prêtre et une tante religieuse entouraient encore les enfants Ratzinger, créant un environnement familial fortement ancré dans la foi.
L’éducation religieuse et intellectuelle de Joseph a été influencée par ses parents, en particulier par son père, qui avait une ambition saine pour ses enfants malgré leurs modestes moyens. La famille a connu quelques déménagements en raison des affectations professionnelles paternelle, ce qui a contribué à l’éveil de la foi et de l’intelligence de Joseph.
La montée du nazisme a cependant bientôt jeté une ombre sur leur vie. Le père de Joseph, inquiet des événements, a demandé un poste moins exposé pour protéger sa famille. Ils se sont finalement installés dans une ferme isolée à Hufschlag, près de Traunstein. Joseph a commencé à approfondir son amour pour la musique, en particulier pour Mozart, sous l’influence de son grand frère Georg. L’approche de la guerre cause du souci aux deux frères qui ont commencé à étudier dans un institut religieux : n’ayant pas adhéré volontairement à la Hitlerjugend (l’adhésion deviendra ensuite obligatoire), leur scolarité n’est plus financée par l’État. Joseph et Georg se consolent de l’arrivée du conflit en faisant contre mauvaise fortune bon cœur : le déménagement de l’école dans une maison de religieuses évite au cadet les pénibles séances de sport, par manque d’installations, quant au mélomane, il peut enfin s’offrir – car le public se fait rare – des places pour le festival de musique classique de Salzbourg ! Il y emmène naturellement Joseph : leur passion commune pour la musique a été un baume pour leur esprit en ces temps troublés.
La guerre ne les épargne pas ; Georg est mobilisé, puis Joseph, qui sert dans l’assistance antiaérienne à Munich, près de Dachau. Plus tard versé dans la Wehrmacht, mais réformé en raison d’une infection mal soignée, il peut par chance rentrer chez lui rapidement après avoir été fait prisonnier, contrairement à de nombreux autres.
Retournant en 1946 au séminaire de Freising, Joseph trouve difficile l’adaptation au nouvel environnement, en raison de sa nature timide. Cependant, ses qualités intellectuelles ont rapidement attiré l’attention, et il est envoyé étudier à l’université de Munich. Peter Seewald insiste fortement sur ces années de formation intellectuelle et spirituelle particulièrement marquantes dans le parcours de futur théologien et pape, ainsi que sur les influences qui s’exercèrent sur lui à cette époque. Il est ordonné prêtre en 1951 après avoir soutenu sa thèse sur l’Église peuple de Dieu chez saint Augustin. Il a ensuite enseigné au séminaire et obtenu son habilitation sous la direction de Gottlieb Söhngen, enseignant de réputation progressiste, bien que sa nomination ait suscité l’opposition de Michael Schmaus, de réputation plus classique.
Jeune professeur, Joseph Ratzinger gravit rapidement les échelons universitaires et ecclésiastiques : en quelques années seulement il passe des bancs à la chaire de l’université de Munich, puis est appelé à Bonn, Münster et enfin Ratisbonne. Il entre bientôt en contact avec plusieurs théologiens de sa génération réputés progressistes, tels Rahner et Küng. Il se distingue par son ouverture œcuménique en soutenant notamment la cause d’étudiants non catholiques.
Acte II : De l’Allemagne à Rome
Son rôle au Concile Vatican II marque un premier tournant majeur dans la vie de Ratzinger. Envoyé comme théologien expert (« peritus ») aux côtés du cardinal Rings, archevêque de Cologne, il a contribué de manière significative à la dynamique du concile en encourageant des révisions complètes de certains schémas et en s’opposant au style conservateur de la Curie. Selon Seewald, sa conférence de 1961 aurait même été une source d’inspiration pour le pape Jean XXIII, que l’on retrouverait dans l’allocution d’ouverture du concile.
Après les temps du concile, la biographie met en lumière les moments clés d’une carrière universitaire bien remplie, montrant les grands projets qui animent le jeune théologien ainsi que les débats intellectuels dans lesquels il se retrouve engagé, en particulier ceux qui l’opposent dans l’espace public à une étoile montante de l’espace germanophone : Hans Küng, qui enseigne à Tübingen. De ces époques d’enseignement et de réflexion, durant lesquelles le théologien collabore activement à la vie intellectuelle de son temps, émerge la question de la continuité de sa pensée et de ses opinions. Peter Seewald s’emploie à trouver une continuité théologique dans toute la vie de l’homme, malgré ses prises de position parfois discutables sur des questions comme le statut et la vie des prêtres ouvriers ou l’accession des divorcés remariés à la sainte communion. En lisant la biographie on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la cohérence de cette présentation : si Benoît XVI présente une physionomie d’âme profondément unifiée tout au long de sa vie, laissant la grâce développer en lui les grandes qualités humaines et spirituelles reçues de sa naissance et de son éducation, on peut se demander dans quelle mesure il n’aurait pu légitimement évoluer dans ses opinions théologiques. Un tel ajustement n’est pas nécessairement un signe de faiblesse, au contraire, mais peut être un témoignage de docilité au Saint-Esprit, et il n’est pas jusqu’au grand saint Augustin – tant vénéré par le défunt pape – qui ne se soit à plusieurs reprises rétracté publiquement de certaines prises de positions. En particulier sur le sujet de la communion des divorcés remariés, comment expliquer que Benoît XVI ait tenu – alors pontife régnant – à ce que soient modifiés certains textes avant leur parution dans l’édition de ses œuvres complètes ?
Successeur des apôtres
Appelé à sa grande surprise sur le siège archiépiscopal de Munich en 1977, Joseph Ratzinger qui se voyait terminer une carrière ordinaire d’études à Ratisbonne, auprès de son frère et de sa sœur, accepte malgré sa répugnance la mission confiée par le pape Paul VI. Il est créé cardinal la même année lors du dernier consistoire du pontificat.