L’Eglise traverse une période de turbulences : abus et scandales médiatiques, rumeurs, confusion doctrinale… Le rôle d’un évêque est de répondre à la soif des chrétiens désorientés, estime Mgr Marc Aillet qui publie Le temps des saints. Conscient de la dimension prophétique de sa mission, il choisit de prendre la plume dans l’esprit d’une humilité qui se met au service de la vérité.
Parole d’évêque
L’évêque de Bayonne, Lescar et Oloron veut donner à l’Eglise une parole d’autorité. Ce mot souvent – mal – compris au sens de domination, recouvre à l’origine l’intention de faire grandir, d’appeler à un renouvellement qui n’est pas tant innovation qu’enracinement, un retour à la source des saints et des prophètes. Mgr Aillet offre ainsi un ouvrage de pasteur, nourri d’une méditation en profondeur de la parole divine, toujours présente en soubassement à sa réflexion. Le temps des saints est aussi l’expression d’un théologien qui excelle à exposer et faire contempler les mystères de la foi. On retrouve ainsi chez Mgr Aillet de manière assumée l’héritage pastoral et doctrinal de Benoît XVI, comme sa prédilection amoureuse pour l’Ecriture Sainte.
Nous proposons ici un rapide aperçu des thèmes développés dans l’ouvrage, sur lesquels nous reviendrons plus en détail dans les prochaines semaines.
Réformer l’Eglise ?
Peut-on parler de crise, de réforme de l’Eglise ? Le regard porté par la modernité sur l’Eglise tombe à faux : on plaque sur une réalité qui est humaine et divine un regard entièrement profane. On appelle ainsi de manière répétée, de l’intérieur comme de l’extérieur, à une réforme de l’institution, dans le sens d’une démocratisation, d’une féminisation… Mgr Aillet invite à contempler l’Eglise comme mystère et œuvre de Dieu, dont la finalité n’est pas d’abord terrestre mais céleste, passage obligé du retour à Dieu et unique instrument et « sacrement » du salut. Ainsi considérée la société des fidèles ne peut être réduite à une réalité de notre temps mais doit sans cesse être remise dans la perspective de sa destinée éternelle, dans un monde atteint par une véritable manie du changement perpétuel. Puisqu’elle ne peut être réformée hors de sa propre tradition, reçue de Dieu : la véritable réforme à laquelle appelle l’évêque est donc spirituelle – un « temps des saints » pour l’Eglise.
Des prêtres qui soient des saints
« Sainte, mais pas sans pécheurs[1]La formule est empruntée au Cardinal Charles Journet. » : l’Eglise est un mystère de bon grain qui grandit au milieu d’un champ infesté d’ivraie. La crise de l’Eglise est aussi une crise du clergé, qui touche en particulier le sacerdoce dans son identité. Qu’est-ce qu’un prêtre ? Mgr Aillet rappelle les fondements du sacrement de l’ordre et du sacerdoce ministériel, par lequel certains hommes sont appelés à suivre le Christ jusqu’à devenir un « autre lui » : alter Christus[2]« autre prêtre » ou encore ipse Christus[3]« le Christ lui-même », agissant in persona Christi capitis[4]« dans la personne du Christ prêtre. Le prêtre n’est ni un animateur de communauté, ni un distributeur de sacrement, il est mis à part, mais pas séparé[5]Mgr Aillet illustre ce juste positionnement du prêtre par son expérience au sein du Chemin Néocatéchuménal. : sa vocation s’enracine dans le sacerdoce de Jésus, marqué par sa dimension proprement sacrificielle. Le sacrement de l’ordre opère dans l’âme du ministre un changement ontologique qui adapte l’homme à une mission qui le dépasse infiniment. La crise du sacerdoce et des vocations ne trouvera donc pas sa solution dans un alignement sur les exigences d’un monde à la dérive : célibat optionnel, ordination de femmes… Au contraire, l’évêque observe que les jeunes vocations ont soif de sacré, de prière, de vie fraternelle, à l’école des grands saints qui ont fait l’Eglise.
Pas d’Eglise sans laïcs
Le pasteur n’oublie pas les brebis de son troupeau : Mgr Aillet y insiste en particulier sur la nécessité de la formation des laïcs, grande oubliée à l’heure où l’on a voulu tout miser sur l’engagement ou la mission en négligeant le primat de la vie intérieure, de l’intelligence et du cœur. Or les chrétiens sont avant tout invités à vivre leur vie de baptisés dans le monde. Il est indispensable pour cela que la foi des fidèles soit réenracinée dans l’enseignement du Christ et de l’Eglise. L’évêque distingue ainsi deux niveaux inséparables de cette formation chrétienne : le kérygme – première annonce fondamentale, nécessaire à tous et à adapter à chacun, et la didachè – approfondissement par l’enseignement. Il détaille les modalités de l’un et de l’autre, de la première annonce par l’évangélisation de rues à la formation théologique des laïcs, en passant par le « pré-catéchisme » des tout-petits. Cette formation passe en particulier et d’abord par la liturgie, thème sur lequel l’évêque revient aussi, notamment pour souligner que l’enjeu de la prière publique de l’Eglise est celui de la communion et de l’unité, ce qui explique qu’elle l’objet de tant d’attaques de la part du « diviseur. »
Dialoguer en vérité
Dans la dernière partie de l’ouvrage, Mgr Aillet revient sur les conditions du dialogue entre l’Eglise et le monde. L’Eglise est en effet pour le monde – pour sa conversion – mais pas du monde, et ne doit pas se modeler sur lui. Dans un contexte d’éloignement sans cesse croissant de la loi naturelle, au point que sont aujourd’hui sapées les « vérités du commencement, » l’Eglise ne doit pas cesser de rappeler les principes intangibles, « non-négociables, » de la nature et du droit divin, qui ne sont pas confinés dans la sphère privée. Bioéthique et anthropologie, morale naturelle, dialogue avec les Etats, écologie… La mission d’évangélisation de l’Eglise, prophétique et donc en butte à la contradiction, ne peut passer par une dilution dans les idéologies du temps, rappelle l’évêque, mais seulement par un enracinement renouvelé dans ce qui fait sa richesse profonde et la rattache à Dieu : l’harmonie de l’intelligence avec l’être des choses, en laquelle réside la vérité[6]pour saint Thomas d’Aquin, la vérité est « Adaequatio rei et intellectus » : adéquation du réel et de l’intelligence ; cf. Somme Théologique, Ia Pars, q. 16, a. 1.. En ces temps qui semblent parfois être les derniers, les chrétiens ne peuvent donc être ces « chiens muets » que dénonçait saint Grégoire le Grand : Mgr Aillet lance dans Le temps des saints un vibrant appel à une revitalisation du catholicisme – revitalisation qui ne peut trouver sa source et son origine que dans le Christ Jésus.
Références[+]
↑1 | La formule est empruntée au Cardinal Charles Journet. |
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↑2 | « autre prêtre » |
↑3 | « le Christ lui-même » |
↑4 | « dans la personne du Christ prêtre |
↑5 | Mgr Aillet illustre ce juste positionnement du prêtre par son expérience au sein du Chemin Néocatéchuménal. |
↑6 | pour saint Thomas d’Aquin, la vérité est « Adaequatio rei et intellectus » : adéquation du réel et de l’intelligence ; cf. Somme Théologique, Ia Pars, q. 16, a. 1. |