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L’Église peut-elle changer de doctrine ?

Au milieu du tourbillon des idées et des opinions, l’enseignement de l’Église est souvent décrié, par certains pour son fixisme ou sa rigidité, par d’autres pour une adaptation excessive à la modernité.
Au-delà des idéologies, la question doit être posée plus profondément : l’Église du Christ peut-elle changer de doctrine ?

Surnaturalité et transmission de la révélation

La question nécessite un premier rappel : la Révélation est en son essence surnaturelle. En effet, elle a pour sujet et objet propre Dieu Trinité se « dévoilant » dans son intimité. L’objet de la foi qui est cette Révélation est donc constitué par la Vérité première, et l’on comprend qu’il est nécessairement unifié, harmonisé et pleinement intelligible (en lui-même).

Si l’objet de la vertu de Foi est la Révélation ou la manifestation de la Vérité même, la condition de son acte est la proposition par l’Église de manière absolument certaine, Eglise qui a reçu mission de son divin fondateur de transmettre fidèlement la Vérité. Reçue de Dieu, la Révélation est appelée opportunément le dépôt de la foi.

Ce dépôt, clos à la mort du dernier apôtre, mais devant être transmis fidèlement par l’Église sans rien y modifier, doit être au fil du temps expliqué et explicité (toujours dans le même sens) par le magistère (dont le sujet est le pape et/ou les évêques unis à lui), assisté de l’Esprit Saint à différents degrés et selon les circonstances. Ces explications et explicitations manifestent en principe toujours plus l’unité de l’objet de foi en sa profonde intelligibilité.

Ainsi, la Vérité divine parfaitement lumineuse en Dieu, et dont la Révélation peut paraître parfois obscure du côté des hommes, se fait de plus en plus compréhensible, restant sauve la transcendance des mystères divins, qui pour l’homme – créature, – demeureront toujours en partie cachés.

La foi, lumière de l’intelligence, normée par le principe de non-contradiction

Notre adhésion de foi à la vérité divine révélée est une adhésion de l’intelligence mue par la volonté, sous la motion (l’influence) de la grâce. L’acte de foi, essentiellement acte de l’intelligence, ne saurait donc se soustraire à sa loi première qu’est le principe de non-contradiction.

Ainsi considéré, l’acte de foi interroge sur l’attitude à adopter lorsque la cohérence de la Révélation, telle que transmise par l’Église, n’apparaît pas ou que – pire encore – il semble y avoir contradiction entre deux propositions du magistère ecclésiastique. En un pareil cas, est-il possible d’assentir à une proposition sans exclure l’autre ? Est-il possible, le cas échéant de choisir sans tomber dans l’arbitraire, telle ou telle proposition ?

Tentons d’exposer le plus clairement possible une ébauche de réponse à ces questions complexes, à l’aune de l’enseignement immuable de l’Église, garant de la Révélation.

Des dogmes contradictoires ?

Nous avons rappelé la surnaturalité de la Révélation. Quant à la notion d’unité, elle prend une signification profonde lorsqu’elle est appliquée à la foi. Outre l’unité fondamentale du donné révélé, qui s’enracine dans son origine divine, elle implique une continuité du magistère à travers le temps, dont le Saint-Esprit est le garant, particulièrement lorsque ce magistère est infaillible.

Ainsi, lorsque deux enseignements magistériels semblent entrer en contradiction sur des points liés à la Foi et à la morale, c’est à une proposition enseignée infailliblement ou en accord avec le magistère antérieur constant que le croyant doit donner son assentiment absolu et irrévocable.

La question se corse lorsque deux propositions contradictoires semblent toutes deux enseignées infailliblement. Dans cette situation inhabituelle, deux options s’ouvrent :

– soit la contradiction n’est qu’apparente et peut être résolue avec une analyse plus profonde : ce qui semblait inconciliable à première vue l’est cependant dans la lumière divine,

– soit l’une des propositions manque des signes textuels clairs indiquant une intention réelle du magistère d’engager son infaillibilité : ce qui semblait enseigné comme tel ne l’est pas en réalité.

L’engagement du magistère, gardien de la foi

Le magistère, en tant que gardien fidèle de la foi, joue un rôle central dans sa transmission et sa conservation Son acte principal consiste en effet à préserver, expliquer et expliciter la Révélation transmise par les apôtres et close à la mort du dernier apôtre. Cette notion est solidement ancrée dans les enseignements du Concile Vatican I, qui souligne à maintes reprises que le rôle de l’Église, assistée par le Saint-Esprit, n’est pas de révéler de nouvelles doctrines, mais plutôt de préserver le dépôt de la foi et de l’exposer fidèlement[1]Concile Vatican I, Constitution Dogmatique Pastor Aeternus : « Le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre, afin qu’ils publient une nouvelle doctrine que le Saint- Esprit … Continue reading.

Énoncé de manière catégorique, le Serment anti-moderniste de Saint Pie X confirme ces principes fondamentaux. Face aux dérives qui affirmaient que l’Église pouvait et devait adapter son enseignement à chaque époque, il rejette catégoriquement l’idée d’une évolution des dogmes, soulignant que leur interprétation ne peut diverger de celle toujours professée par l’Église[2]Saint Pie X, Motu proprio Sacrum Antistitum, 1er septembre 1910, n°4 : « Je reçois sincèrement la doctrine de la foi transmise des apôtres jusqu’à nous toujours dans le même sens et dans la … Continue reading.

L’approche de Pie XI et Pie XII, dans Mortalium animos[3]Pie XI, Mortalium animos, 6 janvier 1928 : « Cet usage extraordinaire du magistère n’introduit aucune nouveauté à la somme des vérités qui sont contenues, au moins implicitement, dans le … Continue reading et Humani generis[4]Pie XII, Humani generis, 12 août 1950 : « l’acte du magistère est donc d’éclairer et de dégager ce qui n’était contenu dans le dépôt de la foi que d’une manière obscure et pour … Continue reading, manifeste comment par un éclairage graduel le magistère met en lumière ce qui était autrefois implicite dans le dépôt de la foi. On rappelle ainsi que l’Église a pour mission de clarifier les vérités existantes et de les présenter de manière toujours plus évidente, l’obscur étant ainsi expliqué par le clair, et non l’inverse[5]Pie XI, Mortalium animos, 6 janvier 1928 : « c’est une méthode tout à fait fausse d’expliquer le clair par l’obscur, puisque, bien plus, c’est l’ordre contraire qui s’impose à … Continue reading.

Ainsi, le magistère a pour mission essentielle de conserver intact le dépôt de la foi, de le transmettre inchangé à chaque époque tout en l’explicitant en un développement homogène. Il ne doit pas être compris comme une instance décisionnaire en matière de foi, à la manière des parlements modernes qui s’arrogent la prérogative de créer le droit, même pour ce qui relève de la loi naturelle.

Aussi, tel un bon pédagogue, le magistère (qui étymologiquement signifie « maître »), répète sans cesse le même contenu, en l’expliquant et l’explicitant progressivement, visant toujours plus efficacement le bien de ses disciples, c’est à dire ici l’adhésion sans cesse plus ferme et lumineuse de l’intelligence des fidèles à l’intégralité de la Révélation.

Les cas de doute…

Ces principes soulèvent la question cruciale des cas où le doute intervient quant à la réception de certains enseignements du magistère récent (par exemple du concile Vatican II et du magistère postérieur) qui font parfois l’objet de débat ou de présentations tendancieuses, marqués bien souvent du biais interprétatif des démocraties modernes, totalement déconnecté du droit divin et naturel.

Tout en refusant évidemment cette « herméneutique de rupture » qui lit les textes récents en y voyant perpétuellement l’expression d’une pensée et d’une volonté révolutionnaires (on reconnaît là l’influence philosophique d’Hegel et Marx), on ne peut pas non plus accepter des formulations magistérielles en elles-mêmes douteuses, équivoques, voire erronées, au titre d’un a priori de continuité dans l’explicitation des dogmes, ou au seul prétexte qu’ils seraient exprimés par la voix de la même hiérarchie enseignante (le pape et les évêques unis à lui) de l’Église, une à travers le temps.

Ce que la doctrine impose, c’est d’écouter avec bienveillance la voix de la hiérarchie ecclésiale, d’embrasser le magistère infaillible et constant, en refusant ce qui s’en éloigne ou semblerait équivoque, voire contradictoire, en s’en tenant simplement à la doctrine clairement explicitée par le magistère antérieur constant ou infaillible, sans trancher les débats de théologiens quant à la possibilité d’interpréter tel ou tel élément du magistère non infaillible récent d’une manière traditionnelle ou au contraire opposée à l’enseignement classique de l’Église.

Quant aux expressions romaines qui ne relèvent pas du magistère (par exemple si elles n’ont pas pour objet la foi ou la morale : sciences sociales, politique…) ou du magistère infaillible, ces enseignements pourraient contenir des enseignements erronés ou susceptibles d’être interprétés en contradiction avec le donné révélé. Il va de soi que tout ce qui vient de Rome n’est pas par le fait même garanti par l’assistance infaillible du Saint-Esprit[6]On pourra trouver une présentation plus détaillée de la notion des degrés divers d’autorité du magistère dans l’excellent résumé de l’abbé Bernard Lucien..

Plutôt qu’un choix entre rupture et continuité, c’est donc une ligne de crête profondément catholique et donc traditionnelle qu’il faut choisir au milieu des remous du monde actuel et des crises qui traversent l’Église. Cette ligne n’est rien d’autre que la fidélité simple et constante à la doctrine catholique, c’est-à-dire enracinée authentiquement dans le dépôt révélé, transmise comme telle, au long des siècles par le magistère infaillible ou constant de l’Église.

Références

Références
1 Concile Vatican I, Constitution Dogmatique Pastor Aeternus : « Le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre, afin qu’ils publient une nouvelle doctrine que le Saint- Esprit leur révélerait, mais afin qu’ils gardent saintement et exposent fidèlement le dépôt de la foi, c’est-à-dire la révélation transmise par les apôtres, avec l’assistance du Saint-Esprit. »

Constitution dogmatique Dei Filius : « La doctrine de foi que Dieu a révélée n’a pas été proposée comme une découverte philosophique à faire progresser par la réflexion de l’homme, mais comme un dépôt divin confié à l’Épouse du Christ pour qu’elle le garde fidèlement et le présente infailliblement. » […]

C’est pourquoi « le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que notre Mère la sainte Église a présenté une fois pour toutes et jamais il n’est loisible de s’en écarter sous le prétexte ou au nom d’une compréhension plus poussée.

“Que croissent et progressent largement et intensément, pour chacun comme pour tous, pour un seul homme comme pour toute l’Église, selon le degré propre à chaque âge et à chaque temps, l’intelligence, la science, la sagesse, mais exclusivement dans leur ordre, dans la même croyance, dans le même sens et dans la même pensée” (Saint Vincent de Lérins). » […] Et donc « si quelqu’un dit qu’il est possible que les dogmes proposés par l’Église se voient donner parfois, par suite du progrès de la science, un sens différent de celui que l’Église a compris et comprend encore, qu’il soit anathème. »

2 Saint Pie X, Motu proprio Sacrum Antistitum, 1er septembre 1910, n°4 : « Je reçois sincèrement la doctrine de la foi transmise des apôtres jusqu’à nous toujours dans le même sens et dans la même interprétation par les pères orthodoxes ; pour cette raison, je rejette absolument l’invention hérétique de l’évolution des dogmes, qui passeraient d’un sens à l’autre, différent de celui que l’Église a d’abord professé. »
3 Pie XI, Mortalium animos, 6 janvier 1928 : « Cet usage extraordinaire du magistère n’introduit aucune nouveauté à la somme des vérités qui sont contenues, au moins implicitement, dans le dépôt de la révélation confié par Dieu à l’Église; mais ou bien il rend manifeste ce qui jusque-là pouvait peut-être paraître obscur à plusieurs, ou bien il prescrit de regarder comme de foi ce que, auparavant, certains mettaient en discussion. »
4 Pie XII, Humani generis, 12 août 1950 : « l’acte du magistère est donc d’éclairer et de dégager ce qui n’était contenu dans le dépôt de la foi que d’une manière obscure et pour ainsi dire implicite »
5 Pie XI, Mortalium animos, 6 janvier 1928 : « c’est une méthode tout à fait fausse d’expliquer le clair par l’obscur, puisque, bien plus, c’est l’ordre contraire qui s’impose à tous. »
6 On pourra trouver une présentation plus détaillée de la notion des degrés divers d’autorité du magistère dans l’excellent résumé de l’abbé Bernard Lucien.
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