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Une vie (J.R.R. Tolkien 50 ans après : 1973-2023)

La lumière est au centre d’une œuvre profondément symbolique, dont l’auteur n’aimait au contraire pas le feu des projecteurs. J.R.R. Tolkien, un homme discret dont la vie profondément chrétienne explique l’originalité indépassable de l’œuvre.

 

L’Afrique du Sud

John Ronald Reuel Tolkien naît le 3 janvier 1892 en Afrique du Sud. Ses parents sont issus de familles d’artisans de classe moyenne. Son patronyme paternel indique une origine germanique : ses ancêtres seraient arrivés au XVIIIe siècle de Prusse Orientale.

Son père Arthur avait choisi d’aller chercher la fortune et une aisance matérielle supplémentaire en postulant pour un poste à la Bank of Africa de Bloemfontein. Son jeune frère Hillary naît deux ans plus tard. John Ronald conserva de ces années dans l’État d’Orange le souvenir d’un pays plein de lumière, un certain amour pour les arbres et peut-être (après une rencontre impromptue avec une tarentule) une peur des araignées. Sa mère Mabel supporte en revanche mal le climat et reste nostalgique de la verte Angleterre. Elle quitte l’Afrique du Sud peu après la naissance d’Hillary, pour un séjour dans la famille, dont la durée n’est pas déterminée au départ. C’est là qu’elle apprend la dégradation de l’état de santé de son mari, qui meurt rapidement d’une hémorragie causée par un rhumatisme articulaire aigu. La famille ne reviendra jamais en Afrique du Sud, sinon lorsqu’un fils de John Ronald y sera envoyé par la RAF durant la Seconde Guerre. Mabel s’installe avec ses fils, d’abord à la campagne, dans le cocon de Sarehole, mais bientôt dans les faubourgs industriels et paupérisés de Birmingham, à proximité des écoles.

Crise familiale et religieuse

Les parents de John Ronald sont de confession baptiste et méthodiste, mais sa mère se convertit en 1900 au catholicisme, parallèlement à sa sœur Mary, bien que sans concertation. Elle perd alors tout soutien matériel de sa famille : ostracisée et paupérisée, elle vit une véritable descente aux enfers. Elle se donne corps et âme pour offrir à ses enfants la meilleure éducation possible et préserver leur santé. Elle y ruine la sienne et mourra le 14 janvier 1904 à 34 ans d’un diabète de type 1 (que l’on ne sait pas traiter à l’époque, avant la maîtrise des traitements à l’insuline). Humphrey Carpenter dira que le jeune Ronald devient ce jour-là pessimiste, montrant ensuite toujours, malgré son naturel enjoué, une part de nostalgie, de crainte d’une issue malheureuse inéluctable.

Comme tuteur légal de ses enfants, elle avait désigné le père Francis Morgan, de l’Oratoire de Birmingham (la maison dans laquelle saint John Henry Newman avait terminé sa vie quelques années auparavant), qui avait accompagné sa conversion et soutenu sa foi. C’est ce prêtre, qui avait déjà hébergé la petite famille dans la maison de campagne de Fern Cottage, qui formera le catholicisme classique de Tolkien. 

 Ma chère mère fut une martyre. Ce n’est pas à tout le monde que Dieu a ouvert une voie aussi aisée à ses bénédictions comme il l’a fait pour Hilary et moi, nous donnant une mère qui s’est tuée au travail et à la peine pour nous assurer de garder la foi.

Adolescence et romance

Mis en pension avec son frère chez Mrs. Faulkner, une vieille femme qui tient quelques chambres à proximité de son lycée de Birmingham, John Ronald y fait en 1908 la connaissance d’une jeune fille légèrement plus âgée et qui y loge aussi : Edith Mary Bratt. Se fréquentant au quotidien et se retrouvant dans la répulsion que leur inspire la logeuse, les jeunes gens tombent bientôt amoureux. Ronald planifie une excursion romantique vers Sarehole et les lieux heureux de son enfance. Il y est évidemment reconnu par un autochtone. Le P. Morgan, informé, interdit la relation jusqu’à la majorité du garçon, alors fixée à 21 ans. « Trois ans, c’est horrible » écrit Tolkien dans le journal qu’il ouvre alors. Ce sera une période difficile pour lui : il reste d’abord proche d’Edith, puis s’en éloigne dans un esprit d’obéissance entière à son tuteur.

Les dernières années à Edward College sont occupées par le rugby (il en conservera un nez cassé), les amitiés littéraires qui éclosent autour du club de thé « TCBS » réuni par Tolkien autour de la bibliothèque du lycée. Travaillant très irrégulièrement, Ronald échouera à son premier examen d’entrée à Oxford, mais continuera de briller par son érudition et sa connaissance des langues anciennes : il raconte que la découverte du gallois fut pour lui un émerveillement. Lors de la soirée festive annuelle du lycée, au moment du traditionnel débat en langue latine, il n’est pas rare que Tolkien joue sa propre partition en grec, voire simule l’irruption d’un barbare au milieu de l’assemblée pour enchaîner en gothique ou en vieux saxon.

Le soir de ses 21 ans, étudiant en littérature anglaise à Oxford (il a réussi l’examen d’entrée – sans briller – au deuxième essai), Tolkien écrit à Edith et demande sa main. Or la belle s’était fiancée, sans grande conviction, dans la crainte que le jeune homme l’ait oubliée. Elle va rompre pour lui, et se convertir au catholicisme. Ses proches sont furieux : elle épouse un papiste sans aucune fortune, sans travail, en passe d’être envoyé comme soldat sur le front français…

La guerre et le début d’un univers

Après avoir repoussé sa mobilisation pour terminer ses études, Tolkien participe aux combats de la première guerre mondiale, dont il conservera un intérêt pour la stratégie militaire (il est chargé des transmissions entre les différents éléments d’attaque et de soutien), une estime pour le rôle discret des aides de camp (Sam Gamegie au côté de Frodon ?), mais aussi le souvenir d’un monde violent et cruel. Tombé malade après la bataille de la Somme, il sera rapatrié en Grande-Bretagne et ira de camp militaire en hôpital jusqu’à la fin de la guerre sans jamais repartir sur le continent. La guerre est une réelle épreuve pour John Ronald, car elle vient anéantir le « TCBS, » au sein duquel Tolkien avait noué des amitiés étroites : deux de ses quatre membres meurent au front.

Cette époque est celle où débute la construction de son imaginaire, le temps des premières ébauches : son poème sur Earendel, où apparaissent déjà les deux arbres et Valinor.  Dès 1917 (à l’hôpital souvent), il travaille à un ensemble de légendes et d’épopées qu’il veut pouvoir offrir à l’Angleterre, privée de toute mythologie. Il écrit des bribes de poèmes et de récit, à partir des langues qu’il invente par jeu et par passion pour la philologie : le voyage d’Earendel (1914), la Chute de Gondolin, les Enfants de Hurin. Il dira même que les épopées et les personnages de son œuvre sont nés de ces langues. Cet enchevêtrement d’histoires s’autonomise peu à peu pour devenir un monde à part, nourri de vieilles légendes nordiques et germaniques : l’univers de la Terre du Milieu.

Côté universitaire, John Ronald fera une carrière brillante, notamment dans l’étude des langues modernes et anciennes, deviendra un philologue réputé dans le monde entier et un spécialiste des antiques langues nordiques. Après avoir été professeur à Leeds, il obtient une chaire de langues anciennes à Oxford.

De Bilbon au Seigneur des Anneaux

En 1936 paraît son premier conte : Bilbo le Hobbit. Le sérieux professeur oxonien qu’était devenu Tolkien n’avait pas eu l’ambition de se muer en auteur à succès de littérature-jeunesse : c’est un jour où son esprit s’était égaré en corrigeant quelques copies qu’avisant une page laissée blanche par un élève, sans crier gare, il se surprit à écrit ces quelques mots : « Once in a hole, lived a Hobbit »[1]Il était une fois un trou, dans lequel vivait un Hobbit.. Le succès – bien inattendu – de l’œuvre, dépasse toute espérance, et l’éditeur Stanley Unwin (dont le fils Rainer fut l’un des premiers relecteurs de Tolkien et plus tard à son tour éditeur) demande une suite. John Ronald se lance alors dans l’écriture d’une « suite » dont l’ampleur dépassera bientôt toutes ses attentes. L’écriture du Seigneur des Anneaux illustre en effet magnifiquement le statut de la « fantasy » et de son écriture chez Tolkien : il ne s’agit pas pour lui d’un processus délibéré et maîtrisé, mais d’une émergence spontanée et incontrôlable, comme d’un débordement du monde secondaire mythique vivant dans son imagination. Au lieu des quelques mois qu’avait anticipé Unwin, la composition de la « suite » qu’attendaient les lecteurs du Hobbit durera près de quinze ans, pour aboutir à un ouvrage dont le volume parut si exagéré qu’au terme de l’écriture, l’éditeur faillit tout abandonner pour cause de… pénurie de papier (dans les années d’après-guerre – il est vrai que Tolkien exigeait au départ la publication conjointe du Seigneur des Anneaux et du Silmarillion). Le cadre explicatif de l’univers de la Terre du Milieu, que l’auteur voulait fournir à ses lecteurs avec la publication du Silmarillion, ne fut d’abord rendu disponible que par l’ajout d’appendices au troisième tome du Seigneur des Anneaux. Ce n’est qu’après la mort de Tolkien que son fils Christopher, au terme d’un travail titanesque de classement et d’édition des papiers de son père, publiera Le Silmarillion. Le succès rencontré par le Seigneur des Anneaux, que l’éditeur trouvait au départ trop sombre et compliqué, fut inégalé : déclaré « livre du siècle » en 1997, il est le deuxième titre le plus vendu au monde après la Bible.

Une vie rangée

L’existence ordinaire de Tolkien ne brillait pas par son extravagance, au point que le biographe prend le parti de résumer la partie centrale de sa vie, autour de son enseignement à Oxford et de la rédaction de son œuvre majeure, en récapitulant le programme habituel de ses journées. On y retrouve l’homme que l’on côtoie dans ses lettres : un véritable britannique, à la fois flegmatique et sensible, dont les aventures quotidiennes tournent en grande partie autour de la tenue du jardin et de la mécanique du vélo (Tolkien, dégoûté par la circulation automobile et ses effets désastreux sur le paysage, ne conduira plus après la Seconde Guerre).

La famille s’était rapidement agrandie : John en 1917, qui deviendra prêtre, Michael en 1920, qui deviendra professeur d’anglais, Christopher, né en 1924, sera le collaborateur et le continuateur de l’œuvre de son père (c’est lui qui éditera Le Silmarillion) et Priscilla, née en 1929, qui tapa à la machine une partie des chapitres du Seigneur des Anneaux.

Parmi les traits saillants d’une vie rangée, il faut citer les amitiés de Tolkien, homme qui eut toujours à cœur de chercher des semblables avec qui nouer une véritable proximité d’esprit. Après le « TCBS » ce furent les « Inklings, » un groupe informel réuni à Oxford notamment autour de John Ronald et de C.S. Lewis, qui devra à son ami son retour au christianisme. La compagnie se réunit souvent le soir chez Lewis pour des soirées amicales et littéraires, où l’un ou l’autre lit au public une partie de sa production récente, récoltant critiques, conseils et encouragements.

La fin de carrière et la retraite de Tolkien l’éloigneront pour un temps d’Oxford, une ville et une vie qui n’avaient jamais comblé les aspirations plus modestes d’Édith. Par égard pour elle, Tolkien emménagera à Bournemouth, sur la côte du Dorsetshire, où elle terminera ses jours en 1972. Reparti pour Oxford, il s’éteindra le 2 septembre 1973 à Bournemouth, où il était venu rendre une visite amicale.

Un catholique

Malgré les épreuves de sa vie, Tolkien demeura toujours un fervent catholique. La foi qu’il tenait de sa mère et de son tuteur fut capitale dans sa vie, et un élément central de ce qu’il voulu transmettre à ses enfants. Levé de bon matin, il commençait ses journées par l’assistance à la messe, à laquelle il était souvent accompagné de ses fils. Certaines des lettres qu’il échange avec ses fils relèvent de la direction spirituelle. Il put montrer parfois un visage intransigeant, insistant pour la conversion de sa fiancée, marquant plus tard de manière ostensible son attachement à la messe en latin (son petit-fils témoigne qu’il continuera après le passage au vernaculaire à répondre en latin), mais sut transmettre aux siens (et à nombre de ses lecteurs) un esprit profondément catholique. Sa discrétion ne permet pas de dresser un aperçu complet de sa vie spirituelle, dont on peut cependant voir émerger quelques traits.

  1. La Bible : Tolkien participa au travail de traduction anglaise de la Bible de Jérusalem (parue en 1966), travaillant au livre de Jonas, des Juges, de Job (certains relèveront un parallèle entre l’expression « ombre(s) de la mort » chez Job et dans le Seigneur des Anneaux, associée à l’œuvre de Sauron et opposée à l’espérance qui sourd au cœur des hommes).
  2. L’eucharistie :

 De l’obscurité de ma pauvre vie, si remplie de frustrations, je place devant toi l’unique grande chose à aimer ici-bas : le Saint-Sacrement. J’en suis tombé amoureux dès le début et par la miséricorde de Dieu n’ai jamais renoncé à cet amour[2]Lettre 43 à son fils Michael, alors au front, 1941.

Références

Références
1 Il était une fois un trou, dans lequel vivait un Hobbit.
2 Lettre 43 à son fils Michael, alors au front, 1941.
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