L’instant de la mort fixe notre destinée éternelle conformément à l’orientation de notre vie terrestre. Qu’est-ce que le jugement particulier ? Comment se préparer paisiblement au grand passage à la suite du Christ ?
L’instant de la mort : le jugement particulier
Le Catéchisme enseigne que l’âme reçoit sa rétribution éternelle dès la mort[1]Catéchisme de l’Église Catholique, n°1051. : c’est ce que la théologie appelle le jugement particulier[2]attesté dans la Sainte Écriture :– « Il a été décrété que les hommes meurent une fois, et après cela, le jugement » (He 9, 27) ;– « Aujourd’hui tu seras avec moi en … Continue reading, distingué du jugement général, qui marque la fin de ce monde. Ce jugement est attribué au Christ, dans sa nature humaine (« Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils[3]Jn 5, 22. »), mais on peut imaginer que l’âme s’y discerne en quelque sorte elle-même : un voile se déchire et elle prend conscience de son état profond : le saint, même s’il a connu de grandes angoisses, réalise que son âme est pure ; celui qui est en état de péché, même s’il a vécu dans le confort, se rend compte qu’il est déjà – paradoxalement – en enfer. En effet, l’état de grâce, dès cette terre, c’est – malgré les tribulations – le Ciel commencé ; l’état de péché et de vie de l’âme sans Dieu, c’est l’enfer.
En cet instant, l’âme voit les choses comme elles sont : si sa volonté est mauvaise et fausse définitivement ses perspectives, elle ressent tout en fonction de sa perspective propre, comme lorsqu’habité par le démon de la jalousie ou de l’animosité envers quelqu’un nous voyons tout sous un jour défavorable.
[Citation] Ils se nourrissent de leur orgueil irrité, comme un affamé dans le désert se met à sucer son propre sang. Mais ils sont insatiables aux siècles des siècles et repoussent le pardon. Ils maudissent Dieu qui les appelle[4]Dostoïevski, Les frères Karamazov, Paris, 1949, p. 450..
Maintenant et à l’heure de notre mort…
« Veillez donc, car vous ne savez ni le jour, ni l’heure » (Mt 25, 13) ; « Voici, je viens comme un voleur. Heureux celui qui veille » (Ap 16, 15) : partout l’Écriture nous appelle à la vigilance. Les paraboles qui font référence aux noces sont une image du paradis, puisque l’époux est le Christ : les lampes que les vierges doivent conserver allumées, sont les âmes en état de grâce. Il faut que notre flamme soit vive au moment du retour de l’époux. « Vis aujourd’hui comme si tu devais mourir martyr, ce soir » avait écrit Charles de Foucauld dans sa sacristie de Béni Abbès.
La vigilance à laquelle nous appelle l’Évangile est une vigilance d’épouse, faite non de crainte mais d’amour : « Mon Époux et Seigneur ! l’heure désirée est venue. Il est temps de nous voir, mon Aimé, mon Seigneur » s’écrie sainte Thérèse d’Avila dans les derniers instants. « Plus que cinq heures à vivre! Dans cinq heures, je verrai Jésus ! » écrit Jacques Fesch à quelques heures de son exécution capitale. « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie » dit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus.
La tradition chrétienne a toujours cru que la Vierge, qui se tient debout au pied de la Croix, tient une place toute particulière dans les derniers instants de la vie. C’est ce que nous répétons avec foi dans l’Ave Maria : « Priez pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort ».
Cette protection maternelle de la Vierge est également au cœur du message de Fatima, qui promet à ceux qui pratiqueront la dévotion des premiers samedis[5]Confession et communion cinq premiers samedi du mois, avec la prière du chapelet et quinze minutes « en compagnie » de Notre-Dame à travers la méditation du rosaire, « dans le but de lui … Continue reading de « les assister à l’heure de la mort avec toutes les grâces nécessaires pour le salut de leurs âmes ».
On découvre ainsi les ressorts d’une saine préparation à la mort, qui fait partie de la vie : espérer tranquillement, vivre dans l’attente de la rencontre définitive, se remettre entre les mains de Marie. Comme elle le disait à Pellevoisin : « calme, courage, confiance. »
Dieu appelle jusqu’au dernier instant : deux témoignages
Ajoutons à ces considérations spéculatives deux témoignages que rapporte le beau livre du père Joël Guibert[6]Joël Guibert, Contempler l’au-delà.
« Parmi les fioretti du saint Curé d’Ars, on raconte ce fait étonnant. Une dame avait perdu son mari, assez éloigné de Dieu et qui avait mis fin à ses jours volontairement.
Inconsolable, convaincue de la damnation éternelle de son époux, elle fut amenée par hasard à Ars et chercha à rencontrer le saint curé pour l’interroger sur son malheureux défunt. Elle réussit à approcher le saint pasteur et, avant même qu’elle n’ait pu lui dire un mot, celui-ci lui murmura à l’oreille : « Il est sauvé… Oui, il est sauvé. » La pauvre femme fit un geste de la tête qui voulait dire :
« Oh ! ce n’est pas possible. » Alors, d’un ton affirmatif, notre saint insista : « Je vous dis qu’il est sauvé, qu’il est en purgatoire et qu’il faut prier pour lui… Entre le parapet du pont et l’eau, il a eu le temps de faire un acte de repentir. C’est la très Sainte Vierge qui a obtenu sa grâce. Rappelez-vous le mois de Marie élevé dans votre chambre. Votre époux irréligieux ne s’y est point opposé ; il s’est même parfois uni à votre prière… Cela lui a mérité un suprême pardon. »
Et plus proche de nous cet extrait d’une lettre trouvée sur le corps d’un soldat américain tué au combat en débarquant en Afrique du Nord à la fin de 1942 :
« Écoute, mon Dieu! Jamais encore je ne t’ai parlé. Mais maintenant je désire te dire : comment vas-tu ? Écoute, mon Dieu, ils m’ont dit que tu n’existais pas. Et, comme un sot, je l’ai cru. L’autre soir, du fond d’un trou d’obus, j’ai vu ton Ciel… Du coup, j’ai vu qu’ils m’avaient dit un mensonge. Si j’avais pris le temps de regarder les choses que tu as faites, j’aurais bien vu que ces gens refusaient d’appeler un chat un chat. Je me demande, Dieu, si tu consentirais à me serrer la main… Et pourtant, je sens que tu vas comprendre. Curieux qu’il m’ait fallu venir à cette infernale place avant d’avoir le temps de voir ta face. Je t’aime terriblement, voilà ce que je veux que tu saches. Il va y avoir maintenant un horrible combat. Qui sait, il se peut que j’arrive chez toi ce soir même. Nous n’avons pas été camarades jusqu’ici et je me demande, mon Dieu, si tu m’attendras à la porte. Tiens, voilà que je pleure ! Moi, verser des larmes ! Ah! si je t’avais connu plus tôt… Allons, il faut que je parte! C’est drôle, depuis que je t’ai rencontré, je n’ai plus peur de mourir. Au revoir. »
Références[+]
↑1 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°1051. |
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↑2 | attesté dans la Sainte Écriture : – « Il a été décrété que les hommes meurent une fois, et après cela, le jugement » (He 9, 27) ; – « Aujourd’hui tu seras avec moi en paradis » (Lc 23, 43) ; – « Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive selon le bien ou le mal qu’il aura fait, étant dans son corps » (2Co 5, 10). |
↑3 | Jn 5, 22. |
↑4 | Dostoïevski, Les frères Karamazov, Paris, 1949, p. 450. |
↑5 | Confession et communion cinq premiers samedi du mois, avec la prière du chapelet et quinze minutes « en compagnie » de Notre-Dame à travers la méditation du rosaire, « dans le but de lui faire amende honorable. » |
↑6 | Joël Guibert, Contempler l’au-delà |