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Qu’écrivait Jésus sur le sable ?

Le Dr Brant Pitre, brillant exégète catholique américain, nous fait l’amitié de permettre la traduction et reproduction par Claves de son analyse du célèbre – mais combien difficile – évangile de la femme adultère. 

Alors les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère, et l’ayant fait avancer, ils dirent à Jésus : ” Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or Moïse, dans la Loi, nous a ordonné de lapider de telles personnes. Vous donc, que dites-vous ? C’était pour l’éprouver qu’ils l’interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l’accuser[1]Jn 8, 3-6

Remarquez que Jésus leur répond en écrivant dans la poussière. Drôle de réponse, non ? Et pourtant Jean est formel : Jésus répond en se penchant pour écrire avec son doigt sur le sol. Et Jean nous dit ceci – un détail que l’on manque souvent : que Jésus le fit deux fois. Il insiste donc clairement sur ce geste, sur lequel il attire notre attention. Tout cela reste bien étrange. Que fait Jésus à écrire sur le sol ?

Plusieurs hypothèses

Comme on peut l’imaginer, au long des siècles, les commentateurs se sont arraché les cheveux pour s’efforcer de deviner ce qu’a fait Jésus. Pourquoi écrit-il sur le sol ? Et vous avez probablement entendu bien des prédicateurs ou des homélies émettant des hypothèses. Par exemple sur le fait que Jésus aurait écrit dans la poussière les péchés des scribes et des pharisiens : et quand ceux-ci virent leurs fautes inscrites sur le sable, ils furent en quelque sorte amenés au remords, et s’en allèrent honteux. Voilà une hypothèse répandue.

D’autres diront qu’il ignorait simplement les scribes et les pharisiens, en dessinant sur le sol. C’est une autre possibilité.

Si vous considérez l’histoire de l’interprétation, il y a trois grandes pistes.

Premièrement, certaines personnes disent qu’il s’agit seulement d’un signe d’indifférence. Autrement dit, Jésus ignore les scribes et les pharisiens : première possibilité.

Une autre serait qu’il écrive les péchés des accusateurs dans la poussière. Cette interprétation remonte à saint Jérôme. En effectuant quelques recherches j’ai découvert cette hypothèse dans le livre écrit par Jérôme contre Pélage, où il imagine ce qui aurait pu se passer.

Un écho dans l’Ancien Testament ?

Mais l’explication la plus répandue, qui ne se trouve pas seulement chez saint Ambroise mais aussi chez saint Augustin lui-même, et encore chez de nombreux auteurs catholiques récents, est que Jésus fait ici un signe qui accomplit une prophétie. Si l’on se reporte au livre de Jérémie, chapitre 17, on trouve un passage de l’Ancien Testament qui parle effectivement de poussière, et présente un certain nombre de parallèles frappants avec notre évangile de Jean. Au chapitre 17, versets 1 et 13, de Jérémie, on entend ces mots : « le péché de Juda est écrit avec un stylet de fer » (verset 1), puis le verset principal (verset 13) : « Espoir d’Israël, Seigneur, tous ceux qui t’abandonnent seront honteux, ceux qui se détournent de toi seront inscrits sur la terre, car ils ont abandonné le Seigneur, la source des eaux vives. »

Arrêtons-nous ici : dans son contexte originel, ce que Jérémie décrit ici, c’est que les noms de ceux qui oublient le Dieu d’Israël, qui l’ont abandonné, seront écrits dans la poussière comme un signe de condamnation et de jugement, prononcé sur eux parce qu’ils se sont détournés du Seigneur, la source des eaux vives.

La source des eaux vives

À la lumière de cette prophétie, si l’on revient au Nouveau Testament, on trouve justement Jésus, au chapitre 8 de saint Jean, qui écrit sur le sol et déclare : « que celui qui est sans péché jette la première pierre. » Or au chapitre 7, à quoi Jésus s’était-il identifié ? À la source des eaux vives, justement. Il vient de dire que de son cœur couleraient des fleuves d’eau vive. Donc puisqu’on relie cette image du péché écrit dans la poussière et de la source des eaux vives rejetée par les chefs de Juda et les bergers d’Israël, certains auteurs ont émis l’hypothèse que Jésus serait en train de réaliser un signe de jugement à l’encontre des chefs de Jérusalem, les scribes et les pharisiens qui l’ont rejeté, lui la source des eaux vives, de sorte que leur péché soit inscrit sur le sol en signe de leur condamnation. C’est un rébus, une prophétie qui place les scribes et Pharisiens dans le rôle des mauvais bergers d’Israël, contre lesquels Jérémie avait prophétisé dans l’Ancien Testament.

Quand ils virent l’accomplissement de ce signe, à la lumière de la prophétie, ils furent confondus. Et Jean dit que tous, en commençant par les plus âgés, s’en allèrent, laissant Jésus et la femme seuls. Voilà la troisième interprétation : un signe prophétique comme ceux que Jésus accomplit continuellement dans les Évangiles. C’est celle qui me semble la plus juste, et c’est celle de saint Augustin.

Jésus et la loi de Moïse : enfreindre ou accomplir ?

Quoiqu’il en soit, ce qui importe pour nous, c’est que Jésus évite le piège : ils ne parviennent pas à le contraindre, soit à laisser la femme s’en aller, soit à permettre de la lapider, ce qui l’aurait mis en difficulté vis à vis de l’autorité romaine.

Voilà donc un autre aspect que je voudrais souligner, comme un à-côté. Certains de mes étudiants, quand je parle de cela, me rétorquent que Jésus enfreint la loi. Si la norme de Deutéronome, chapitre 22, enjoint de la lapider, n’enfreint-il pas la loi en ne s’y pliant pas ? Notons que dans le livre du Deutéronome, chapitre 17, verset 6, il est aussi dit que personne ne peut être mis à mort sur le fondement d’un seul témoignage : il en faut deux ou trois au moins (Dt 17, 6). Or ce qui se passe en Jean 8, c’est que tous les témoins quittent les lieux : et ainsi quand Jésus se relève, après avoir écrit sur le sol, que dit-il à la femme ? « Est-ce que personne ne t’a condamnée ? » Il n’y a plus personne, personne n’a témoigné contre elle. Ce qui reste, c’est lui, et la femme : lui et elle. Elle répond : « personne, Seigneur. » Et Jésus dit : « moi non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus. »

De la femme adultère au procès du Sanhédrin

Je me projette un peu ici, mais je pense que c’est primordial. En tout cas, Jésus crée une situation dans laquelle il n’y a pas deux témoins pour attester contre elle, ce qui serait requis par la loi pour que quelqu’un soit mis à mort. Donc même ainsi, en évitant le piège, il demeure fidèle à la loi de Moïse. Autrement dit, il violerait la loi s’il prenait une pierre et la lapidait avec seulement une personne. Ce serait enfreindre la loi : il faut deux témoins publics pour attester. Si l’on veut un parallèle, souvenons-nous du procès devant le sanhédrin : ils essaient de trouver deux témoignages sur le fait que Jésus aurait dit vouloir détruire le temple, car ils ne peuvent le condamner à mort sans au moins deux personnes prêtes à attester publiquement d’un crime. Et c’est ce qui ne se passe pas ici pour cette femme. Il peut donc lui dire : « moi non plus, je ne te condamne pas ». Et ces derniers mots, si importants : « Va et ne pèche plus. » Il l’appelle au repentir, à changer de vie, à se détourner de sa vie d’adultère, à ne plus commettre ce péché. Une belle, magnifique histoire de miséricorde divine, qui débouche sur cet appel à abandonner notre vie de péché.

Retrouvez sur le même sujet notre article : Qu’a écrit Jésus sur le sol ?

Références

Références
1 Jn 8, 3-6
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