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Jésus a-t-il appris à lire ?

Jan Van Eyck - Madonne et l'enfant lisant
 Le Christ Jésus est la seconde personne de la sainte Trinité assumant une nature humaine complète, avec son intelligence et sa volonté. L’affirmation du dogme ne va pas sans poser des questions profondes au regard de certains épisodes de la vie du Christ :
– Quelle fut l’intelligence de Jésus : Avait-il la « science infuse » ? Eut-il besoin d’apprendre à lire ? Pourquoi affirme-t-il ne pas connaître le temps et l’heure du jugement dernier ?
– « S’il est possible que ce calice passe loin de moi[1]Mt 26, 39… » Quant à sa volonté, comment le Sauveur à Gethsémani peut-il sembler troublé par l’accomplissement de la volonté divine ?
Réponses avec saint Thomas d’Aquin la théologie classique de l’Église.

L’intelligence du Christ

On parle bien d’une « science infuse » de Jésus ! En fait son intelligence humaine est une triple science, une connaissance à trois niveaux, corrélée à une triple source :

– Jésus a tout au long de son existence la science des bienheureux, la vision béatifique, dans la plus haute partie de son âme. Jusqu’à l’heure terrible de la Passion, le Christ voit Dieu face à face et voit toutes choses en Dieu (selon ce niveau supérieur de science, il n’ignorait rien et pas même l’heure du jugement dernier).

– En tant que Rédempteur et Sauveur, Jésus eut une science infuse, qui faisait directement connaître certains faits à son âme, au moyen d’idées infuses directement par Dieu. Il partage ce mode de connaissance avec les anges, dont l’esprit reçoit de Dieu ces communications directes. Certains hommes peuvent en être exceptionnellement le sujet : prophètes, apôtres… Pour le Christ, il s’agit de la science par laquelle il pouvait connaître certains événements futurs – sa propre Passion, la destruction de Jérusalem, ou encore le secret des cœurs.

– En tant qu’homme enfin, Jésus eut une science expérimentale, acquise et progressive – comme la nôtre – connaissance par le biais des sens et de l’intelligence. Cette dernière est susceptible de croître, ce qui permet de comprendre comme saint Luc peut affirmer que le Fils de Dieu « croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes[2]Lc 2, 52. »

La volonté du Christ

Contre les « Monothélites, » ces hérétiques qui affirmaient – comme un entre-deux pour tenter de réconcilier les monophysites condamnés à Chalcédoine en 451 avec la vraie foi au VIIe siècle – que le Christ n’avait eu qu’une volonté – divine, le second concile de Constantinople (680-681) explicita le dogme de la double volonté du Christ, doté de deux volontés, humaine et divine.

Nous proclamons de la même manière en lui, selon l’enseignement des saints Pères, deux volontés ou vouloirs naturels et deux activités naturelles, sans division, sans changement, sans partage et sans confusion. Les deux vouloirs naturels ne sont pas, comme l’ont dit les hérétiques impies, opposés l’un à l’autre, loin de là. Mais son vouloir humain suit son vouloir divin et tout- puissant, il ne lui résiste pas et ne s’oppose pas à lui, il s’y soumet plutôt[3]Seconde concile de Constantinople, DS 556.

Ainsi dans la Sainte Écriture Jésus distingue parfois clairement entre la volonté du Père – de Dieu – et la sienne propre – humaine : « je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé[4]Jn 6, 38. » C’est en particulier ce qui permet de comprendre comment le Sauveur put s’adresser ainsi au Père à Gethsémani : « Père, si vous voulez, éloignez de moi ce calice. Cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre[5]Lc 23, 42. »

La raison théologique peut en être exposée assez simplement :

1) La volonté est une partie essentielle de la nature rationnelle ;

2) or le Christ a les deux natures (rationnelles) divine et humaine ;

3) donc il doit avoir deux volontés (divine et humaine).

 Car il est évident que le Fils de Dieu a assumé une nature humaine parfaite, nous l’avons montré plus haut. Or la volonté appartient à la perfection de la nature humaine, dont elle est une puissance naturelle, comme l’intelligence, cela se déduit de nos exposés de la première Partie. Aussi est-il nécessaire de dire que le Fils de Dieu devait assumer, avec la nature humaine, une volonté humaine. Toutefois, en assumant la nature humaine, le Fils de Dieu n’a éprouvé aucun amoindrissement dans ce qui appartient à la nature divine, à laquelle convient la volonté, nous l’avons établi dans la première Partie. Aussi est-il nécessaire de dire que dans le Christ il y a deux volontés : divine et humaine[6]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 18, a. 1.

Jésus a-t-il appris à lire ?

Jésus a-t-il alors appris à lire ? À la lumière des distinctions que nous venons d’apporter au sujet des trois niveaux de science humaine du Christ, on comprend que le Sauveur dut passer – quant à sa science acquise ou expérimentale – par les mêmes étapes pédagogiques que tout un chacun : apprentissage du langage, de codes culturels, d’un métier… Qu’en est-il de la lecture ?

La question peut être posée à deux niveaux :

– Quant à l’exégèse, puisqu’il apparaît que le Christ avait une connaissance très profonde des Écritures, qu’il cite très fréquemment : une telle science était-elle nécessairement enracinée dans la lecture des rouleaux bibliques ? Quatre passages des Évangiles nous l’indiquent.

1) En une occasion, à la synagogue de Nazareth au début de son ministère, au moins on voit Jésus lire dans un livre inspiré : l’évangéliste précise que Jésus agit alors selon une habitude établie[7]Lc 4, 16-20.

2) Plus loin, dans un débat avec des lettrés, le Sauveur fait explicitement référence à une parole écrite : « n’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il eut faim[8]Lc 6, 3… »

3) Certains scribes s’étonnèrent même que cet homme simple « connaisse l’Écriture[9]Jn 7, 15 » sans avoir étudié : l’expression désigne-t-elle une connaissance scripturaire approfondie ou le simple fait de savoir lire et écrire ?

4) On voit ainsi – en une seule occasion[10]Jn 8, 6 – épisode de la « femme adultère » que certains interprètes rejettent comme non authentiquele Seigneur écrire (sur le sol).

– Du point de vue de l’anthropologie palestinienne du Ier siècle : quelle est la probabilité que Jésus ait su écrire et lire ? L’exégète John-Paul Meier[11]A Marginal Jew, Rethinking the Historical Jesus, t. 1, 1991, pp. 240-255 aborde la question en profondeur dans sa somme historique. Il cite certaines attestations[12]Notamment l’étude dirigée par l’historien israélien Ze’ev Safrai : The Jewish People in the First Century, Compendia Rerum Judaicarum II, Amsterdam, 2006. de l’existence d’écoles de lecture dans la Palestine du Ier siècle et jusqu’aux lieux les plus reculés – un apprentissage qui n’incluait pas nécessairement celui de l’écriture. Il relève toutefois le fait que ces témoignages s’appuient sur des documents rabbiniques (Talmud, Mishna) postérieurs de deux siècles à l’époque de l’enfance du Sauveur et correspondant à une situation politique et religieuse totalement différente, après les deux révoltes juives de 66-70 et 132-135 et les dispersions et persécutions qui s’ensuivirent. Les témoins du Ier siècle (Philon d’Alexandrie, Flavius Josèphe) ne semblent pas relier nécessairement l’éducation religieuse des jeunes Juifs du Ier siècle avec une éducation élémentaire et l’apprentissage de la lecture. Il avance toutefois que la capacité de lire n’était pas une rareté dans le Moyen-Orient du Ier siècle, et note que l’importance particulière de l’Écriture dans la religion et la vie du peuple juifs argumente en faveur d’un degré particulièrement élevé d’alphabétisation dans la population hébraïque de Terre Sainte. Il ajoute que le statut de premier-né ainsi que la naissance dans une famille pieuse et proche du judaïsme pharisien est une raison supplémentaire de considérer comme probable que Jésus ait pu apprendre à lire, sans doute dans cette même synagogue de Nazareth où nous le voyons prendre et proclamer le rouleau d’Isaïe.

Références

Références
1 Mt 26, 39
2 Lc 2, 52
3 Seconde concile de Constantinople, DS 556
4 Jn 6, 38
5 Lc 23, 42
6 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 18, a. 1
7 Lc 4, 16-20
8 Lc 6, 3
9 Jn 7, 15
10 Jn 8, 6 – épisode de la « femme adultère » que certains interprètes rejettent comme non authentique
11 A Marginal Jew, Rethinking the Historical Jesus, t. 1, 1991, pp. 240-255
12 Notamment l’étude dirigée par l’historien israélien Ze’ev Safrai : The Jewish People in the First Century, Compendia Rerum Judaicarum II, Amsterdam, 2006.
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