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Marie, toujours vierge ?

Annonciation de Philippe de Champaigne 1644

« Ta mère et tes frères sont là qui cherchent à te voir[1]Mt 12, 47 » : Jésus avait-il des frères ? Qu’en est-il alors de la virginité perpétuelle de Marie : doctrine affirmée par l’Église catholique et les communautés orthodoxes, remise en cause par les Protestants?

Voici qu’une « vierge/jeune fille » concevra ?

C’est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. Voici qu’une vierge concevra, et elle enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel. Il mangera le beurre et le miel, en sorte qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien[2]Is 7, 14.

Ce texte du livre d’Isaïe est lu le 25 mars, soit pile neuf mois avant Noël, le jour de l’Annonciation. Le mot hébreu original rendu par « vierge » est « almah, » qui peut aussi être traduit par « jeune fille. » Le traducteur de la Septante[3]Célèbre et première traduction de la Bible hébraïque, réalisée à la demande du roi Ptolémée d’Égypte pour sa bibliothèque d’Alexandrie. La légende rapporte qu’elle fut … Continue reading, au troisième siècle avant notre ère, avait pourtant rendu le grec Parthenos : « vierge. » Au motif que ce terme ne désignerait pas au sens strict la vierge (auquel correspond le mot « Betula »), certains interprètes, dès les premiers siècles dans le judaïsme rabbinique (comme en témoignent les réponses de saint Justin à Tryphon vers l’an 150) et plus récemment dans le monde protestant, ont opté pour une traduction nouvelle : « voici qu’une jeune fille concevra[4]ainsi la Traduction Œcuménique de la Bible, la Bible en Français Courant, la Bible Segond et même la Bible de Jérusalem. » Qu’en penser ?

Deux remarques

  • Notre première remarque relève du bon sens. Le prophète Isaïe est envoyé de la part de Dieu vers le roi Achaz pour lui manifester un fait incroyable : malgré son infidélité, le Seigneur va épargner Jérusalem et le royaume de Juda, qui ne seront pas livrés à leurs ennemis immédiats, ni aux mains du puissant empire Assyrien – celui-là même qui allait bientôt engloutir, au nord de la Terre Sainte, le royaume d’Israël. Le signe que promet Dieu et que le prophète annonce doit nécessairement sortir du commun, afin d’avoir en tant que tel une quelconque efficacité. « Voici qu’une jeune fille concevra» : est-ce un événement extraordinaire ? Est-ce là le signe de l’incroyable délivrance accordée par Dieu à son peuple ? La traduction moderne semble aplatir totalement le sens du texte. Pie VI avait déjà condamné l’opinion selon laquelle la prophétie ne concernait le Christ ni au sens littéral ni au sens typique.
  • Reprenons en profondeur le problème de la traduction, grâce au précieux et rigoureux travail sémantique récemment réalisé par Christophe Rico[5]Christophe Rico, La mère de l’Enfant-roi, Isaïe 7, 14,  Cerf, 2013. sur le sens précis de parthenos en grec et de almah et betula en hébreu. D’une étude serrée, notamment à partir des qualifications données aux différentes voix féminines intervenant dans les chœurs de psalmodie du Temple, l’auteur conclut qu’almah peut désigner à l’époque de la prophétie d’Isaïe une jeune fille nubile, mais vierge.

Les frères de Jésus

Si Marie était bien vierge au moment de l’Annonciation, et donc de la conception miraculeuse de Jésus, concèdent quelques Protestants, elle ne l’est pas resté ensuite, comme en témoigne la présence dans l’Évangile de « frères » du Seigneur. L’argument est repris par certains romanciers contemporains[6]C’est tout le propos de la Vie de Jude, frère de Jésus de Françoise Chandernagor, voir la réponse du P. Renaud Silly, « Jésus avait-il des frères » Le Figaro, 14 avril 2015 et le … Continue reading. Quatre points importants :

  1. L’Évangile mentionne effectivement des frères (et sœurs) de Jésus, en employant le mot grec adelphoi qui désigne au sens propre des frères de sang : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon? Ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous[7]Mc 6, 3? » Marie est-elle alors mère de famille nombreuse (7 enfants ! Comme le soutient Françoise Chandernagor…) ?
  2. Pour les Orientaux, inspirés en cela par certains apocryphes (comme le Protévangile de Jacques), les « frères» de Jésus seraient en fait des demi-frères, issus d’un premier mariage de Joseph. Cette tradition a conduit beaucoup à considérer Joseph comme un vieillard offrant à la jeune Vierge Marie la protection de ses vieux jours (le Protévangile de Jacques lui assigne l’âge canonique de 90 ans, contre 12 à Marie !). Cette interprétation semble trop facile, ad hoc, pour être pleinement satisfaisante…
  3. L’interprétation catholique classique est celle de saint Jérôme : les mots « frère» et « sœur» ne doivent pas être pris ici en leur sens grec classique mais comme traduisant les termes de sources originales araméennes (des recueils de paroles transmises dans les premiers temps de l’Église compilées par les évangélistes). Or en araméen comme en hébreu le terme ach (« frère ») que les traducteurs anciens de la Septante ont ordinairement rendu par adelphoi en grec, désigne aussi bien les frères que les cousins ou les parents, selon la mode orientale, et jusqu’au sens métaphorique, comme les cinquante « frères prophètes » d’Élisée[8]2R 6 ou la « sœur » bien-aimée du Cantique des Cantiques[9]Ct 5, 2.
  4. Une confirmation de l’interprétation catholique se trouve dans l’établissement d’un parallèle avec les noms des femmes présentes au pied de la croix de Jésus. Le même saint Marc qui avait mentionné « Jacques et Joseph» comme « frères» de Jésus cite au pied de la croix « Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de Joseph, et Salomé. » Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve nommés ensemble ces deux personnages – Jacques (le Mineur) et Joseph – qui semblent bien connus : tout conduit à identifier le binôme à ces « frères » de Jésus cités plus haut. Si Jacques et Joseph sont « frères » de Jésus sans avoir la même mère, c’est bien que saint Marc admet un usage large – à la mode orientale – du mot adelphoi, et que Jésus a de nombreux « frères » tout en demeurant le fils unique sa mère – toujours vierge : Marie.

Virginité perpétuelle de Marie

La Tradition tient fermement la virginité perpétuelle de Marie : avant, pendant et après la conception et la naissance miraculeuse de Jésus.

avant : les docteurs de l’Église admettent généralement que Marie avait fait vœu de virginité[10]Saint Thomas, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 28, a. 3, ce qu’exprime respectueusement sa question à l’ange : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » Saint Bernard écrit ainsi que Marie était « vierge par décision et engagement[11]Saint Bernard, Homélie à la louange de Marie. » Ainsi la conception du Christ s’est opérée sans le concours d’un homme, par l’« obombration » du Saint-Esprit.  

pendant : la naissance du Sauveur n’a pas brisé le sceau de la virginité de sa mère, et revêt en cela un caractère proprement miraculeux (qui va de pair avec le fait que l’accouchement de Marie, préservée du péché originel, ait été sans douleur aucune[12]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 35, a. 6).

après : Marie est demeurée vierge après la naissance de Jésus, elle n’a pas eu d’autres enfants (contre l’hypothèse de « frères » de sang de Jésus).

Saint Thomas d’Aquin[13]Somme Théologique, IIIa Pars, q. 28, a. 1 argumente quant à la virginité ante partum (avant la naissance) que le Christ n’a pas d’autre père que Dieu le Père, et que sa conception paternelle sans corruption de la chair appelle de même une conception virginale et exemplaire du côté maternel, sans passer par la voie ordinaire de la génération humaine, qui est celle de la transmission du péché originel. Il ajoute pour la virginité post partum[14]Somme Théologique, IIIa Pars, q. 28, a. 3 (après la naissance) que le Christ est Fils unique du Père, et donc convenablement aussi de sa mère, et qu’ainsi le sanctuaire où fut formé le corps du Fils de l’homme demeura vierge et intact. Il relève ce qui aurait été l’ingratitude de Marie et l’audace de Joseph, s’ils avaient eu des enfants après le Sauveur.

Références

Références
1 Mt 12, 47
2 Is 7, 14
3 Célèbre et première traduction de la Bible hébraïque, réalisée à la demande du roi Ptolémée d’Égypte pour sa bibliothèque d’Alexandrie. La légende rapporte qu’elle fut simultanément réalisée par 70 rabbins qui produisirent tous – au mot près – le même texte.
4 ainsi la Traduction Œcuménique de la Bible, la Bible en Français Courant, la Bible Segond et même la Bible de Jérusalem
5 Christophe Rico, La mère de l’Enfant-roi, Isaïe 7, 14,  Cerf, 2013.
6 C’est tout le propos de la Vie de Jude, frère de Jésus de Françoise Chandernagor, voir la réponse du P. Renaud Silly, « Jésus avait-il des frères » Le Figaro, 14 avril 2015 et le Dictionnaire Jésus, Bouquins, 2021, pp. 398-402.
7 Mc 6, 3
8 2R 6
9 Ct 5, 2
10 Saint Thomas, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 28, a. 3
11 Saint Bernard, Homélie à la louange de Marie
12 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 35, a. 6
13 Somme Théologique, IIIa Pars, q. 28, a. 1
14 Somme Théologique, IIIa Pars, q. 28, a. 3
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