Nous n’avons hérité d’aucun écrit du Christ. La seule fois où l’on voit Jésus écrire dans l’Évangile, c’est pendant l’épisode de la femme adultère : un récit en apparence scandaleux, dont la véracité est même contestée par certains. Et si cette inscription mystérieuse était la clé pour défendre l’authenticité du passage ?
Un Évangile contesté
L’Évangile de ce jour, l’épisode du pardon de la femme adultère est controversé. Son authenticité est aujourd’hui rejetée plus ou moins catégoriquement par une large majorité de spécialistes modernes, non-catholiques et même catholiques.
En effet le passage en question n’apparaît pas dans bon nombre de manuscrits parmi les plus anciens ; il est peu cité par les Pères des premiers siècles de l’Église. Du point de vue littéraire, certains ont argumenté que le style est peu johannique. Les plus conservateurs cherchent cependant à en sauver le caractère canonique, et donc inspiré : pour les uns, ce pourrait être un récit de la main de saint Luc (les idées en seraient plus « lucaniennes » que « johanniques »), glissé par erreur au milieu de l’œuvre de saint Jean ; pour d’autres le texte pourrait être de saint Jean, mais aurait été déplacé (il figure effectivement à une autre place en certains manuscrits).
La réponse des Pères
Mais on n’a pas attendu le XIXe siècle et l’exégèse rationaliste pour prendre conscience de la difficulté. Saint Ambroise note dès la fin du IVe siècle que ce passage est dur, en particulier en raison de la conclusion de Jésus : « je ne te condamne pas », dont le pardon apparemment trop facile a pu causer du scrupule à de nombreux esprits. Saint Augustin et saint Nicon sont même témoins du fait que beaucoup préfèrent retrancher le texte de leurs évangéliaires, plutôt que de le faire lire à leurs fidèles ou, pire, d’avoir à le leur expliquer. Dans le contexte de l’Empire romain finissant, l’Église luttait justement contre l’immoralité générale de la société : était-il bien à propos de présenter le Seigneur sous un visage en apparence si laxiste ?
Une vraie cohérence narrative
On n’ambitionne pas ici de formuler une argumentation définitive au sujet de l’authenticité du passage, mais on peut cependant noter à l’appui de celle-ci que son insertion en ce point précis de l’Évangile n’est pas sans cohérence, et plaide en faveur de la véracité du récit.
Nous sommes à Jérusalem, au moment de la fête des tentes, une des grandes célébrations de l’année liturgique juive. La veille de l’épisode qui nous intéresse, le Christ enseignait dans le temple, dominant nettement les juifs qui tentaient en vain d’allumer une controverse contre lui. Il semble donc assez logique que ceux-ci, humiliés en public, essayent le lendemain de piéger le Christ, en glissant sous son pas l’une des innombrables chausse-trappes de la loi mosaïque : les voilà donc qui amènent cette femme adultère devant Jésus. La peine prévue pour un tel péché était en effet la mort, par lapidation. Ce supplice – l’un des pires – était tombé en désuétude à l’époque du Seigneur, et remplacé généralement par un simple billet de répudiation. Les scribes veulent mettre Jésus en plein dilemme : désobéir à la loi, ou revenir sur son message de miséricorde et de pardon.
Or Jésus ne répond pas, et écrit sur le sol.
Des mots tracés dans la poussière
Ces quelques lignes tracées avec le doigt dans la poussière du dallage du temple ont paradoxalement fait couler des litres d’encre. Qu’écrivait-il ? Une hypothèse intéressante peut renforcer la cohérence de l’insertion de notre passage en ce lieu précis du quatrième Évangile. La veille de notre scène, le dernier jour de la fête des Tentes, Jésus dans le temple s’était en effet écrié :
Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l’Écriture, couleront des fleuves d’eau vive.
Or, le seul passage de l’Ancien Testament qui fasse explicitement référence au fait d’écrire sur le sol est cet oracle du prophète Jérémie :
Ceux qui se détournent de moi seront inscrits sur la terre ; Car ils ont abandonné la source des eaux vives, Yahweh.
L’ensemble semble bien cohérent, et le mystère de ces signes tracés par le Christ dans la poussière, alors même que Jésus vient de se déclarer comme étant la source des eaux vives, commence à s’éclairer. On pourrait penser, au premier abord, que Jésus écrit le nom de la femme pécheresse, elle qui par son péché s’est écartée de la source. Mais en réalité, on peut dire que la pécheresse agenouillée aux pieds du Christ n’a jamais été aussi proche de cette source de la grâce et du pardon ; il semble donc que Jésus, pardonnant à la femme qui s’approche craintivement et avec humilité, inscrit bien plutôt le nom de ces hommes endurcis qui, par leur péché et l’endurcissement de leur cœur, ont déserté la source. Car telle est la logique de la miséricorde divine, qui apparaît dans ce passage avec éclat et même scandale.
Le doigt de Dieu
Sous la poussière, se trouve le dallage de pierre du temple. Ce détail éclaire notre scène, et peut orienter la réflexion vers une autre hypothèse. Car celui qui, dans l’ancien testament, écrit de son doigt sur la pierre, c’est Dieu lui-même :
Et l’Éternel me donna les deux tables de pierre écrites du doigt de Dieu, et contenant toutes les paroles que l’Éternel vous avait dites sur la montagne, du milieu du feu, le jour de l’assemblée.
C’est en écrivant sur la pierre que Dieu a donné la loi ancienne, avec ses divers commandements, comme ceux condamnant l’adultère. C’est en écrivant de son doigt sur la pierre que Jésus pardonne à la femme adultère. Jésus, que les Pharisiens ont essayé de piéger dans une des oubliettes de la loi juive s’en sort par le haut, en répétant le geste par lequel Dieu lui-même a donné la loi. Il s’affirmerait ainsi comme le nouveau législateur, qui vient non pas détruire la loi ancienne mais l’accomplir pleinement, en donnant le commandement de la Charité qui éclaire tous les autres, et en révélant totalement la miséricorde de Dieu. Cette loi que le Christ vient proclamer est sa parole, tranchante comme le glaive, qui vient éprouver les bons par le feu, afin de purifier leur amour, et fournit aux mauvais une occasion supplémentaire de faire fondre la glace de leur cœur.
Le doigt de Dieu – digitus Dei altissimi – n’est-il pas encore le Saint-Esprit selon les termes magnifiques de l’hymne Veni Creator ? Ce même Esprit divin dont le souffle, reçu par les apôtres de la bouche même du Christ au soir de sa résurrection, leur communique son pouvoir de remettre les péchés…
Conclusion
Qu’a écrit le Christ ? Malgré ces indices, il faut finalement respecter le secret et le silence de l’Évangile ; et si ces arguments ne sont pas totalement décisifs pour affirmer « scientifiquement » l’authenticité de l’Évangile de la femme adultère et la certitude de son attribution à saint Jean, la foi nous assure que nous sommes en face d’une Révélation divine, et nous invite à la recevoir comme une manifestation magnifique de la scandaleuse miséricorde du Christ : « Je ne vous condamne pas non plus. Allez, et ne péchez plus. »
Qu’a écrit Jésus sur le sol ?
Nous n’avons hérité d’aucun écrit du Christ. La seule fois où l’on voit Jésus écrire dans l’Évangile, c’est pendant l’épisode de la femme adultère : un récit en apparence scandaleux, dont la véracité est même contestée par certains. Et si cette inscription mystérieuse était la clé pour défendre l’authenticité du passage ?
Un Évangile contesté
L’Évangile de ce jour, l’épisode du pardon de la femme adultère[1]Jn 8, 1-11 est controversé. Son authenticité est aujourd’hui rejetée plus ou moins catégoriquement par une large majorité de spécialistes modernes, non-catholiques et même catholiques.
En effet le passage en question n’apparaît pas dans bon nombre de manuscrits parmi les plus anciens ; il est peu cité par les Pères des premiers siècles de l’Église. Du point de vue littéraire, certains ont argumenté que le style est peu johannique. Les plus conservateurs cherchent cependant à en sauver le caractère canonique, et donc inspiré : pour les uns, ce pourrait être un récit de la main de saint Luc (les idées en seraient plus « lucaniennes » que « johanniques »), glissé par erreur au milieu de l’œuvre de saint Jean ; pour d’autres le texte pourrait être de saint Jean, mais aurait été déplacé (il figure effectivement à une autre place en certains manuscrits).
La réponse des Pères
Mais on n’a pas attendu le XIXe siècle et l’exégèse rationaliste pour prendre conscience de la difficulté. Saint Ambroise note dès la fin du IVe siècle que ce passage est dur, en particulier en raison de la conclusion de Jésus : « je ne te condamne pas », dont le pardon apparemment trop facile a pu causer du scrupule à de nombreux esprits. Saint Augustin et saint Nicon sont même témoins du fait que beaucoup préfèrent retrancher le texte de leurs évangéliaires, plutôt que de le faire lire à leurs fidèles ou, pire, d’avoir à le leur expliquer. Dans le contexte de l’Empire romain finissant, l’Église luttait justement contre l’immoralité générale de la société : était-il bien à propos de présenter le Seigneur sous un visage en apparence si laxiste ?
Une vraie cohérence narrative
On n’ambitionne pas ici de formuler une argumentation définitive au sujet de l’authenticité du passage, mais on peut cependant noter à l’appui de celle-ci que son insertion en ce point précis de l’Évangile n’est pas sans cohérence, et plaide en faveur de la véracité du récit.
Nous sommes à Jérusalem, au moment de la fête des tentes, une des grandes célébrations de l’année liturgique juive. La veille de l’épisode qui nous intéresse, le Christ enseignait dans le temple, dominant nettement les juifs qui tentaient en vain d’allumer une controverse contre lui. Il semble donc assez logique que ceux-ci, humiliés en public, essayent le lendemain de piéger le Christ, en glissant sous son pas l’une des innombrables chausse-trappes de la loi mosaïque : les voilà donc qui amènent cette femme adultère devant Jésus. La peine prévue pour un tel péché était en effet la mort, par lapidation. Ce supplice – l’un des pires – était tombé en désuétude à l’époque du Seigneur, et remplacé généralement par un simple billet de répudiation. Les scribes veulent mettre Jésus en plein dilemme : désobéir à la loi, ou revenir sur son message de miséricorde et de pardon.
Or Jésus ne répond pas, et écrit sur le sol.
Des mots tracés dans la poussière
Ces quelques lignes tracées avec le doigt dans la poussière du dallage du temple ont paradoxalement fait couler des litres d’encre. Qu’écrivait-il ? Une hypothèse intéressante peut renforcer la cohérence de l’insertion de notre passage en ce lieu précis du quatrième Évangile. La veille de notre scène, le dernier jour de la fête des Tentes, Jésus dans le temple s’était en effet écrié :
Or, le seul passage de l’Ancien Testament qui fasse explicitement référence au fait d’écrire sur le sol est cet oracle du prophète Jérémie :
L’ensemble semble bien cohérent, et le mystère de ces signes tracés par le Christ dans la poussière, alors même que Jésus vient de se déclarer comme étant la source des eaux vives, commence à s’éclairer. On pourrait penser, au premier abord, que Jésus écrit le nom de la femme pécheresse, elle qui par son péché s’est écartée de la source. Mais en réalité, on peut dire que la pécheresse agenouillée aux pieds du Christ n’a jamais été aussi proche de cette source de la grâce et du pardon ; il semble donc que Jésus, pardonnant à la femme qui s’approche craintivement et avec humilité, inscrit bien plutôt le nom de ces hommes endurcis qui, par leur péché et l’endurcissement de leur cœur, ont déserté la source. Car telle est la logique de la miséricorde divine, qui apparaît dans ce passage avec éclat et même scandale.
Le doigt de Dieu
Sous la poussière, se trouve le dallage de pierre du temple. Ce détail éclaire notre scène, et peut orienter la réflexion vers une autre hypothèse. Car celui qui, dans l’ancien testament, écrit de son doigt sur la pierre, c’est Dieu lui-même :
C’est en écrivant sur la pierre que Dieu a donné la loi ancienne, avec ses divers commandements, comme ceux condamnant l’adultère. C’est en écrivant de son doigt sur la pierre que Jésus pardonne à la femme adultère. Jésus, que les Pharisiens ont essayé de piéger dans une des oubliettes de la loi juive s’en sort par le haut, en répétant le geste par lequel Dieu lui-même a donné la loi. Il s’affirmerait ainsi comme le nouveau législateur, qui vient non pas détruire la loi ancienne mais l’accomplir pleinement, en donnant le commandement de la Charité qui éclaire tous les autres, et en révélant totalement la miséricorde de Dieu. Cette loi que le Christ vient proclamer est sa parole, tranchante comme le glaive, qui vient éprouver les bons par le feu, afin de purifier leur amour, et fournit aux mauvais une occasion supplémentaire de faire fondre la glace de leur cœur.
Le doigt de Dieu – digitus Dei altissimi – n’est-il pas encore le Saint-Esprit selon les termes magnifiques de l’hymne Veni Creator ? Ce même Esprit divin dont le souffle, reçu par les apôtres de la bouche même du Christ au soir de sa résurrection, leur communique son pouvoir de remettre les péchés…
Conclusion
Qu’a écrit le Christ ? Malgré ces indices, il faut finalement respecter le secret et le silence de l’Évangile ; et si ces arguments ne sont pas totalement décisifs pour affirmer « scientifiquement » l’authenticité de l’Évangile de la femme adultère et la certitude de son attribution à saint Jean, la foi nous assure que nous sommes en face d’une Révélation divine, et nous invite à la recevoir comme une manifestation magnifique de la scandaleuse miséricorde du Christ : « Je ne vous condamne pas non plus. Allez, et ne péchez plus[5]Jn 8, 11. »
Références[+]