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Changer la doctrine de l’Église en matière d’homosexualité ? (4/5)

Nous proposons ici en série les éléments du riche article publié à l’automne dernier par Mgr Kruijen dans Sedes Sapientiae, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Revue.
L’article peut être retrouvé dans son intégralité dans Sedes Sapientiae, revue de formation théologique et spirituelle de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier.
Dans cette série Mgr Kruijen montre que l’Église n’est ni faussement inclusive ni exclusive, puis extrait six propositions prétendant étayer un changement de doctrine de l’Église, auxquelles il répond en détail ici.
Retrouvez ici la première partie de l’article

Retrouvez ici la seconde partie de l’article

Retrouvez ici la troisième partie de l’article

Proposition 6 : « Des franges traditionalistes voire intégristes de l’Église refusent toujours lhomosexualité et la transsexualité et sont dans la condamnation. Ils font une lecture littérale de la Bible et oublient le respect de la personne. On le regrette, car pour nous, cest totalement contraire à l’Évangile. »

Taxer de « traditionalistes » ou d’« intégristes » un groupe de personnes dont on ne partage pas les idées ne remplace évidemment pas une argumentation, mais constitue au mieux un argument ad hominem de peu de valeur.

Église et homosexualité : une lecture fondamentaliste de la Bible ?

Le jugement négatif porté par l’Église sur les actes homosexuels sur le plan moral n’a rien à voir avec une lecture littéraliste ou fondamentaliste de la Bible. Une telle lecture consiste à isoler des passages de l’Écriture pour en faire des assertions absolues, indépendamment du contexte et de l’interprétation de ces passages par l’Église et la Tradition. Un exemple type de ce procédé reviendrait à déduire d’Ap 7, 4 ; 14, 1-5 qu’à la fin des temps les sauvés seront exactement au nombre de cent quarante-quatre mille, ni plus ni moins. Or la tradition de l’Église permet de comprendre que ce nombre est, dans ce cas, à interpréter comme un symbole de la plénitude du peuple de Dieu[1]Voir les notes des grandes éditions de la Bible sur Ap 7, 4.. Les exemples en ce sens pourraient être multipliés.

Dans le cas qui nous intéresse, il est un fait qu’à la suite du jugement moral négatif porté dans les textes bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament sur les actes homosexuels, déclarés contraires à la volonté de Dieu[2]Cf. Innocent Himbaza, Adrien Schenker et Jean-Baptiste Edart, Clarifications sur l’homosexualité dans la Bible, « Lire la Bible, 147 », Paris, Cerf, 2007, pp. 126-127 et passim. Il est à … Continue reading, l’ensemble de la tradition bimillénaire de l’Église a vu dans ces actes une atteinte grave au sixième commandement du décalogue. C’est donc à juste titre que le Catéchisme, dans lequel « l’Église dispose […] d’une nouvelle exposition de grande autorité de sa foi apostolique unique et pérenne[3]Jean-Paul II, Lettre apostolique Lætamur magnopere, 15 août 1997 (AAS 89 [1997], p. 820 ; trad. fr. La Documentation catholique 94 [1997], p. 852 [abrégé : DC]) : « In promptu […] habet … Continue reading », enseigne que, « s’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves, la Tradition a toujours déclaré que ‟les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnésˮ » (CEC, no 2357)[4]La citation interne est tirée de Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration Persona humana, 29 décembre 1975, no 8..

À ce propos, il serait plus juste que les catholiques qui militent aujourd’hui pour un changement de la doctrine ecclésiale concernant l’homosexualité reconnaissent honnêtement ne plus accepter certains contenus bibliques (comme le font, par exemple, certains courants de la Communion anglicane), au lieu d’attribuer cette doctrine à une lecture littéraliste, et donc fausse, de la Bible.

Église et homosexualité : le respect évangélique de la personne humaine

Mais il faut encore répondre à une autre objection : maintenir la doctrine catholique en matière d’homosexualité reviendrait-il à oublier le respect de la personne et à se placer en contradiction complète avec l’Évangile ? Cela serait effectivement le cas si ce dernier se bornait à prôner un « accompagnement » sans conditions et une tolérance indifférentiste de tous les choix de vie, bref, s’il se confondait avec le relativisme moral (ou, plus largement, le subjectivisme axiologique) contemporain. Or la réalité est tout autre. Certes, l’Évangile prêché par Jésus et dans le reste du Nouveau Testament souligne l’extraordinaire miséricorde divine envers les pécheurs repentants, mais il exige simultanément une rupture radicale avec le péché : « Si ton œil droit est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi : car mieux vaut pour toi que périsse un seul de tes membres et que tout ton corps ne soit pas jeté dans la géhenne » (Mt 5, 29). Et de même saint Paul : « Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel de manière à vous plier à ses convoitises » (Rm 6, 12).

Le Christ Sauveur aurait-il manqué de respect envers les personnes lorsqu’il les exhortait à la conversion, en brandissant une menace eschatologique (voir aussi Lc 13, 3 et 13, 5 cité plus haut) ? En aurait-il manqué lorsqu’il éclairait la Samaritaine sur sa situation matrimoniale, à savoir que l’homme qu’elle avait alors n’était pas son mari (cf. Jn 4, 18) ? Ou n’est-ce pas précisément parce quil aimait les pécheurs d’un véritable amour de charité qu’il a tout fait pour les détacher du péché et les sauver « en les arrachant au feu » (Jude 23) ? Et Paul péchait-il contre l’esprit de l’Évangile lorsqu’il exigeait une peine d’exclusion (au moins temporaire) pour un croyant incestueux[5]Cf. 1 Co 5, 1-5. Sur les peines d’exclusion de la communauté dans le Nouveau Testament, voir Bible de Jérusalem, Édition major, Paris, Cerf, 181998, note h. sur 1 Co 5, 5 [abrégé : BJ]. ou lorsqu’il comptait la « menace » parmi les outils de l’évangélisateur et du pasteur (cf. 2 Tm 4, 2) ? Le bon pasteur n’est pas celui qui laisse le pécheur s’égarer loin du salut en le rassurant à bon compte – ce serait participer au péché du prochain (cf. 1 Tm 5, 22) –, mais celui qui l’exhorte à se convertir en l’avertissant du danger de se perdre[6]Cf. Ez 3, 16-21 ; 33, 1-9. Pour la dénonciation du mal, voir aussi Is 58, 1.. Le Christ a demandé explicitement que l’on reprenne le frère qui « vient à pécher » (Mt 18, 15-17), et non pas que l’on fasse comme si de rien n’était, sous couvert d’une tolérance lâche et molle qui finit par saper la différence entre le bien et le mal. Il convient ici de graver en lettres d’or ces paroles vraies d’un pape du siècle dernier : « Ne diminuer en rien la salutaire doctrine du Christ est une forme éminente de charité envers les âmes[7]Paul VI, Lettre encyclique Humanæ vitæ, no 29.. »

Ancien et Nouveau Testament : rupture ou continuité ?

À l’encontre d’un marcionisme toujours latent parmi bon nombre de chrétiens, il est à noter qu’en matière de rupture avec le péché, le Nouveau Testament est encore plus exigeant que l’Ancien. En effet, si celui-ci semblait se contenter d’une observance extérieure des préceptes, celui-là exhorte à lutter contre le péché « jusqu’au sang » (He 12, 4) et va jusqu’à situer la transgression de la loi divine dès l’éclosion du désir mauvais dans le cœur humain (pour l’adultère, voir Mt 5, 28). Enfin, l’Évangile proclame également une vérité largement occultée de nos jours dans la prédication, à savoir que le salut est conditionné par la fidélité aux commandements divins (cf. Mt 19, 16-17) et, positivement, par « la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur » (He 12, 14). Si l’amour de Dieu pour nous (génitif subjectif) est indéniablement un thème central des Écritures et du Nouveau Testament en particulier, il faut ajouter que ce fait exige un amour de Dieu d’autant plus intense pour lui (génitif objectif) : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.16), mais « l’amour de Dieu consiste à garder ses commandements » (1 Jn 5, 3)[8]En 2 Jn 6, on trouve l’affirmation générique : « L’amour consiste à vivre selon ses commandements », où l’amour semble porter sur l’amour des croyants entre eux (voir v. 5). … Continue reading.

Retrouvez notre article : Benoît XVI, pape et théologien, le discours aux Bernardins

Références

Références
1 Voir les notes des grandes éditions de la Bible sur Ap 7, 4.
2 Cf. Innocent Himbaza, Adrien Schenker et Jean-Baptiste Edart, Clarifications sur lhomosexualité dans la Bible, « Lire la Bible, 147 », Paris, Cerf, 2007, pp. 126-127 et passim. Il est à noter que la Bible ignore l’homosexualité comme état psychologique ou « style de vie » au sens contemporain et ne considère que les actes homosexuels (cf. ibid., pp. 123, 127-128).
3 Jean-Paul II, Lettre apostolique Lætamur magnopere, 15 août 1997 (AAS 89 [1997], p. 820 ; trad. fr. La Documentation catholique 94 [1997], p. 852 [abrégé : DC]) : « In promptu […] habet Ecclesia novam hanc magnæ auctoritatis expositionem unius suæ ac perennis fidei apostolicæ. »
4 La citation interne est tirée de Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration Persona humana, 29 décembre 1975, no 8.
5 Cf. 1 Co 5, 1-5. Sur les peines d’exclusion de la communauté dans le Nouveau Testament, voir Bible de Jérusalem, Édition major, Paris, Cerf, 181998, note h. sur 1 Co 5, 5 [abrégé : BJ].
6 Cf. Ez 3, 16-21 ; 33, 1-9. Pour la dénonciation du mal, voir aussi Is 58, 1.
7 Paul VI, Lettre encyclique Humanæ vitæ, no 29.
8 En 2 Jn 6, on trouve l’affirmation générique : « L’amour consiste à vivre selon ses commandements », où l’amour semble porter sur l’amour des croyants entre eux (voir v. 5). Maxime le Confesseur, Centuries sur la charité, 1, 16 (« Sources chrétiennes, 9 », Paris, Cerf, 1943, p. 73 [abrégé : SC]) : « Celui […] qui n’aime pas son prochain n’observe pas le commandement, et qui n’observe pas le commandement ne saurait aimer le Maître. »
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