Après les événements de l’été 1988 (relatés en détail dans les articles d’un témoin et acteur, le RP. Louis-Marie de Blignières), les prêtres qui avaient signé le 18 juillet à Hauterive (Suisse) l’acte de fondation de la jeune Fraternité Saint-Pierre se retrouvent face au colossal problème de l’organisation et de l’érection canonique de leur société, en même temps que de l’ouverture urgente d’un séminaire pour accueillir les nombreux candidats qui frappent déjà à la porte de l’institut.
Les constitutions portées à Rome
L’abbé Bisig, ancien assistant de Mgr Lefebvre porte personnellement à Rome début septembre un tapuscrit des constitutions, rédigées par les membres fondateurs de la Fraternité, en vue de leur approbation. Afin que la fondation soit crédible dans sa spécificité propre, il insiste sur la nécessité que le document d’érection mentionne la faculté d’employer les quatre livres de la liturgie ancienne (le Missel pour la messe, le Rituel pour les sacrements et sacramentaux, le Pontifical pour les ordinations et confirmations notamment, le Bréviaire pour l’office privé et public des clercs).
À Rome l’abbé Bisig ne reste pas inactif : il intervient dans l’Osservatore Romano, à Radio Vatican, il est reçu par le cardinal Ratzinger, travaille avec les membres de la nouvelle commission Ecclesia Dei… Dès le 9 septembre, un premier document lève les peines qu’encouraient les anciens prêtres de la Fraternité Saint-Pie-X du fait de la réception illicite des ordres sacrés, et effectue la sanatio in radice (« régularisation » totale) des mariages célébrés par ces prêtres. Le 10 septembre, un second document accorde à tous les membres de la Fraternité Saint-Pierre le droit de célébrer les sacrements et la messe selon le missel de 1962.
Première retraite
La première activité communautaire prévue pour les prêtres de la jeune société est une retraite prêchée du 17 au 22 octobre au Barroux par dom Gérard Calvet. Lorsqu’ils arrivent sur la colline provençale, ils ont la surprise d’y trouver une certaine effervescence : une délégation africaine est présent à l’abbaye pendant une partie de la retraite, avec une trentaine d’enfants qui apprennent à chanter et servir la messe traditionnelle et grégorienne. Un diplomate congolais confiera à l’abbé Baumann être impressionné par le silence et l’aspect transcendant du rite – à l’opposé de ce qu’il avait connu dans sa terre natale, où la messe était célébrée depuis les années 1950 d’une manière toute particulière, qui donnera naissance au « rite zaïrois. »
Pendant ce temps à Wigratzbad…
Dans le petit sanctuaire bavarois où les fondateurs de la Fraternité ont décidé de fonder leur séminaire, grâce à l’opportunité ouverte par Mgr Stimpfle à la demande du cardinal Maier et du pape, les choses se compliquent. Logés dans le bâtiment fraichement construit et prévu pour accueillir les pèlerins, les séminaristes qui arrivent au cours du mois d’octobre sont déjà nombreux : les candidats de première année ne sont pas moins de trente. Les questions sont nombreuses, et celle du financement du gîte et du couvert n’est pas la moindre, d’autant que les relations avec le diocèse, en dépit de l’accueil de l’évêque, ne sont pas clarifiées.
Fin octobre les choses se compliquent encore : l’abbé Bisig reçoit une lettre menaçante du vicaire général, qui lui demande ce qu’est la Fraternité Saint-Pierre et de quel droit elle s’est installée dans le diocèse. Il enjoint de ne célébrer la messe qu’à huis clos et interdit l’exercice du pouvoir de confession.
Heureuse surprise
On apprend alors que la commission Ecclesia Dei a signé, en date du 18 octobre, le décret d’érection de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, qui n’arrivera que le 7 novembre. Le décret mentionne les livres liturgiques et est explicitement approuvé par le pape. Il étend à tout prêtre de passage dans une maison de la Fraternité l’indult permettant de célébrer selon le missel ancien. Le décret donne également pouvoir d’ériger un séminaire à Wigratzbad, et nomme l’abbé Bisig supérieur général pour trois ans.
Cette érection canonique constitue pour la Fraternité une réelle respiration, au milieu des difficultés et menaces des premiers temps, en même temps qu’un véritable signe d’approbation et de confirmation de la part de l’Église dans sa vocation propre. L’institut est en effet immédiatement érigé en tant que société de vie apostolique de droit pontifical, relevant directement et exclusivement du Siège apostolique quant à son régime interne et son charisme. La Fraternité Saint-Pierre constitue ainsi un cas à part, en ce qu’elle saute l’étape normalement requise d’une fondation en droit diocésain, à travers l’approbation d’un évêque local, puis d’une reconnaissance par le Saint Siège après une première phase de croissance de la société. Cette reconnaissance établit ainsi la vocation de la jeune communauté au niveau du bien commun universel de l’Église.
Notons que ce texte est fondamentalement le même que celui par lequel le pape François confirmait, le 11 février 2022, l’usage des livres liturgiques de 1962 pour la Fraternité Saint-Pierre.
Et en France…
Fin 1988, en France, c’est le temps des premiers développements pour la Fraternité, appelée à ouvrir des apostolats dans le diocèse de Lyon, grâce au cardinal Decourtray, à Perpignan et Narbonne, puis à Versailles… La Fraternité s’organise rapidement en distinguant un district pour la France (qui inclura la Belgique), en lançant dès le mois d’octobre 1988 une revue de formation et d’approfondissement : Tu Es Petrus.