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Enquête sur les reliques de la Passion (5/7) : Une relique inconnue, et pourtant…

Cathédrale d'Oviedo - chambre sainte
En 1989 une équipe d’enquête criminologique internationale composée de plus de quarante spécialistes était lancée dans un défi hors du commun. En effet, le crime a bien eu lieu, mais il y a près de 2000 ans, et les pièces à conviction son ténues. Leur recherche devait se concentrer autour d’un témoin mystérieux de la Passion du Christ : le sudarium ou suaire d’Oviedo.

 

Mystérieux voile dans un tombeau vide

Les récits de la résurrection mentionnent plusieurs types de linges funéraires demeurés dans le tombeau au matin de Pâques, parmi lesquels le sindon (linceul), mais aussi le sudarium (voile) et l’othonion (toile ou tissu). Saint Jean écrit ainsi : « il entra dans le tombeau; et il voit les linges, gisant à terre, ainsi que le suaire qui avait recouvert sa tête; non pas avec les linges, mais roulé à part dans un endroit » (Jn 20, 6-7). Une paraphrase du cinquième siècle précise que ce suaire était une « ceinture de la tête, » pour presser et serrer les cheveux. Plusieurs œuvres des premiers chrétiens font de saint Pierre le propriétaire de ce sudarium. Les traces historiques de la relique font cependant défaut durant les six premiers siècles de notre ère. Probablement cachée, elle ne refit surface qu’au début du VIIe : on mentionne en effet son transfert à Alexandrie en 614, quand les Perses envahirent Jérusalem. Lorsqu’Alexandrie fut menacée à son tour, le suaire fut emmené par mer jusqu’à Carthage, en Espagne, d’où il prit la route de Tolède. Lors de l’invasion musulmane du début du VIIIe siècle, les chrétiens s’enfuirent vers le nord de la Péninsule Ibérique, emportant avec eux leurs trésors les plus précieux. Un coffre contenant de précieuses reliques fut enterré au pied du pic de Monsacro (le « Mont Sacré ») dans les Asturies. On l’en exhuma en 761 pour le porter dans la cathédrale de la région : Oviedo.

La relique y est depuis lors, et son histoire est désormais bien documentée : Oviedo devenant une étape importante sur le pèlerinage de Compostelle, de nombreux visiteurs purent vénérer la relique. Sans toutefois la voir, car le reliquaire ne fut ouvert qu’en de rares occasion : au XIe siècle sous Alphonse VI, au XVIIIe sous Philippe V. On prit finalement l’habitude d’exposer la relique trois fois par an, pour l’exaltation de la Sainte Croix (14 septembre), la saint Matthieu (21 septembre) et le Vendredi Saint. Le dynamitage criminel de la cathédrale en 1934 faillit détruire le précieux voile, soufflant totalement la Camara Santa où il était conservé, mais le suaire fut retrouvé intact, parmi les fragments du saint coffre.

L’objet sous le projecteur de la science

Nos experts en criminologie se retrouvent donc face à une étoffe de lin froissée et tachée, mesurant 85 centimètres sur 53. Aucune image n’y est visible à part des taches de sang symétriques par rapport aux plis du voile. Une première comparaison effectuée dans les années 1960 par un sinologue italien avait permis de conclure à la concordance des taches de sang du suaire d’Oviedo avec celles du linceul de Turin. La technique de filage du lin (en Z), permet de faire remonter la fabrication du tissu entre le IVe siècle avant et le Ve siècle après J.-C. Les pollens et autres éléments végétaux présents sur le tissu sont endémiques du bassin méditerranéen, correspondant au chemin que la relique aurait dû suivre, de Jérusalem à Oviedo. Trois espèces en particulier dont les traces ont été retrouvées sur le sudarium sont typiques de Palestine : le pistachier térébinthe, une variété de tamaris et un chêne particulier ; trois espèces présentes ensemble dans un rayon de 20 kilomètres autour de Jérusalem, et précisément en fleurs au début du printemps. On trouve encore sur le tissu des traces de myrrhe et d’aloès, substances utilisées dans les rituels d’embaumement, et précisément celles qu’aurait apporté Nicodème au témoignage de saint Jean (Jn 19, 39). La conclusion des analyses criminologiques est que le suaire a bien enveloppé la tête d’un homme adulte, barbu, les cheveux noués par derrière, qui était déjà mort lorsqu’on le lui appliqua. Les taches de sang qu’on y relève sont symétriques, suggérant que le linge ait été plié en deux avant d’être enroulé autour de la tête, qui était alors encore en position verticale (en croix), inclinée en avant et légèrement vers la droite.

Le sang et les marques corporelles du suaire

Le sang qui a maculé le linge semble provenir de deux sources : un écoulement abondant et subit, post-mortem, conséquence d’un pneumothorax (présence d’air comprimant les poumons) typique de l’asphyxie qui causait la mort des crucifiés ; des marques multiples de sang vivant, semblant provenir de blessures superficielles autour du crâne, suivant le dessein de la couronne d’épines tel qu’on peut le relever grâce au linceul de Turin.

Le déplacement des marques corporelles du suaire permet de suivre la suite des événements de la descente de croix : le défunt aurait d’abord été étendu horizontalement, sur le dos. Le suaire aurait été enlevé une première fois – il avait été déposé hâtivement sur le corps en croix – puis complètement déroulé et appliqué à la manière d’une capuche recouvrant intégralement le visage. L’homme aurait alors été retourné sur la face, le visage étant soutenu par la main gauche d’une personne, durant 5 à 10 minutes, puis mis sur le flanc. Il semble alors qu’on ait enlevé le linge, qui ne couvrait pas la tête lorsque le corps fut mis au tombeau. Une des étapes de l’opération (peut-être le fait de forcer les bras, déjà rigidifiés, à se ramener le long des hanches) a causé l’épanchement massif de fluide par le nez, qui constitue la principale tache du linge, sur lequel on discerne la trace de doigts qui auraient tenté de juguler l’écoulement du précieux sang.

La relique pourrait-elle être un faux ?

Voilà qui semble bien peu probable, de l’opinion de tous les chercheurs, car les artefacts dont étaient friands les faussaires médiévaux présentaient ordinairement un caractère plus sensationnel que cet obscur linge maculé de traces peu engageantes, mais n’auraient jamais pu faire illusion devant les moyens déployés par la science moderne : étude des pollens, analyse des fluides physiologiques… L’authenticité du suaire d’Oviedo est renforcée et confirmée par le croisement des données relevées sur le linge avec les résultats de la recherche extensive accomplie sur le linceul de Turin. Les échantillons de sang maculant les deux tissus présentent le même groupe sanguin AB (le « receveur universel, » groupe qui n’est représentatif que de 3,2 % environ de la population mondiale), les tâches correspondent quant à leur forme et leur emplacement. La taille de l’emprunte du nez est exactement identique, marquant la même boursouflure côté droit, de même que la blessure de la joue droite. Il semble bien que le suaire d’Oviedo et le linceul de Turin aient servi – successivement – à envelopper le même corps.

Autour du suaire : se tenir comme Marie, Jean, Nicodème…

Que retenir et que méditer de l’étude de cette relique trop peu connue ? Les connaissances acquises par les sciences modernes autour du suaire d’Oviedo nous replacent dans l’atmosphère recueillie et digne des derniers soins et hommages rendus au corps du Sauveur par Notre-Dame et les saintes femmes, assistées de saint Jean, Joseph d’Arimathie et Nicodème, au soir du vendredi saint. En retraçant, grâce aux données recueillies sur le linge qui couvrait sa tête, les instants qui ont suivi la mort du Christ, nous pouvons contempler la piété de ces hommes et femmes qui malgré leur incompréhension et leur tristesse ont su entourer de marques de délicatesse et de vénération le corps bafoué et blessé du Seigneur. Comme eux, préparons-nous à accompagner Jésus, du Gethsémani au Prétoire, du Prétoire au Calvaire et du Calvaire au Tombeau, au long des jours saints qui approchent. La liturgie magnifique du Triduum nous y aidera, ainsi que l’esprit de prière en lequel nous devons entrer plus profondément à chaque semaine de ce carême, pour accompagner dignement Jésus en ses derniers instants et veiller à la porte du tombeau en attendant sa résurrection.

Nous reproduisons ici le déroulé d’après celui donné par le docteur Jean-Maurice Clercq à partir de l’étude du suaire d’Oviedo, dans La Passion de Jésus, de Gethsémani au Sépulcre, Paris, François-Xavier de Guibert, 2004.

– 15h : mort de Jésus sur la croix.

– 16h-16h15 : les bourreaux donnent le coup de grâce aux autres condamnés et percent la poitrine de Jésus, dépose immédiate du suaire sur la tête, encore en croix.

– 17h15-30 : le corps est descendu de la croix.

– 17h30-18h30 : le corps de Jésus est posé au sol, sans doute veillé par ses plus proches (Marie est naturellement présente selon le Dr. Clercq, ce qui semble inconcevable en revanche pour Jean-Christian Petitfils – cf. Jésus, Paris, Fayard, 2011).

– 18h08 : coucher du soleil (selon la date de la Pâque juive).

– 18h45 : transport du corps au sépulcre et mise provisoire dans le linceul.

– 19h  : fermeture du tombeau et retour des disciples vers Jérusalem avant le début du sabbat (une heure après le coucher du soleil).


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