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L’Église et la réincarnation (2/2)

Après avoir montré que la réincarnation est une interprétation qui ne peut être prouvée scientifiquement et se heurte à une impossibilité philosophique et psychologique, nous abordons ici la question d’un point de vue théologique. Cette théorie qui pose de nombreux problèmes donne toutefois l’occasion de préciser la doctrine des fins dernières.

Une vieille histoire

L’Église a-t-elle parlé de la réincarnation ? Jamais, diront ceux qui voudraient que cette interprétation soit compatible avec la foi catholique. Il est vrai que l’Église ne semble pas avoir enseigné directement et explicitement au sujet de la métempsycose, non pas délibérément mais plutôt parce que cela n’a jamais été nécessaire : d’abord parce qu’elle est si contraire aux principes mêmes de la foi que sa réfutation paraît superflue, ensuite parce que le problème n’a pas représenté une objection sérieuse au long de l’histoire du christianisme.

On peut toutefois faire référence à plusieurs textes importants pour appuyer le refus théologique de la réincarnation. Parmi les anciens auteurs, confrontés par exemple à la vision néo-platonicienne de la métempsycose, de nombreux Pères de l’Eglise se sont élevés contre cette doctrine. Il semble que le seul Origène, écrivain ecclésiastique alexandrin du IIIe siècle, brillantissime mais tourmenté et paradoxal, ait voulu rapprocher la vision chrétienne de la conception des philosophes. Son enseignement sur la préexistence des âmes, critiqué par Pierre d’Alexandrie, Méthode d’Olympe ou encore Grégoire de Nysse, sera condamné en 553 par le concile de Constantinople II.

[Citation] Si quelqu’un dit ou pense que les âmes des hommes préexistent, en ce sens qu’elles étaient auparavant des esprits et des saintes puissances qui, lassées de la contemplation de Dieu, se seraient tournées vers un état inférieur ; que, pour ce motif, la charité de Dieu se serait refroidie en elles, ce qui les a fait appeler en grec ‘âmes’, et qu’elles auraient été envoyées dans des corps pour leur châtiment, qu’il soit anathème[1]Concile de Constantinople, 1° Anathématisme contre Origène, DS 403..

Le concile Vatican II enseigne quant à lui l’unicité de notre vie terrestre, rejetant implicitement la transmigration des âmes ou l’idée d’un éternel recommencement[2]La constitution dogmatique Lumen Gentium parle au n°48 du « cours unique de notre vie terrestre. ».

Une conception inconciliable avec la doctrine catholique des fins dernières

Au-delà de son impossibilité philosophique, liée au dualisme qui en est le soubassement, la doctrine de la métempsycose est incompatible avec plusieurs éléments incontournables de la doctrine catholique des fins des dernières.

L’Église enseigne invariablement que la mort est la « séparation de l’âme et du corps »[3]Catéchisme de l’Église Catholique, n°997., au moment de laquelle chaque âme passe par le jugement particulier, qui fixe à jamais son sort : paradis, enfer ou purgatoire, pour les hommes qui n’ont pas suffisamment satisfait au long de leur existence terrestre.

Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du Ciel, soit pour se damner immédiatement pour toujours[4]Catéchisme de l’Église Catholique n°1022, citant notamment le concile de Lyon II, DS 857-858.

Au contraire, la plupart des versions de la métempsycose affirment la possibilité de plusieurs « chances » à travers des existences successives. Le purgatoire n’a alors plus de raison d’être, puisque le cycle de renaissances assure l’expiation des fautes passées. L’enfer est occulté car la croyance en la réincarnation se veut souvent rassurante, fondée sur l’idée que la vie humaine ne peut se solder par un échec. Quant au paradis, il devient un horizon lointain et évanescent, qui ne concerne que l’âme seule, enfin échappée de la prison de la matière. La résurrection des corps est doublement inconcevable : en raison du dualisme foncier qui sous-tend la métempsycose, et puisque l’âme, jointe successivement à plusieurs corps, ne saurait être réunie à un seul d’entre eux pour l’éternité.

La croyance en la réincarnation procède finalement d’une volonté de simplification face aux mystères de l’au-delà et du mal, mais aussi d’un constat d’impuissance : l’homme demeure finalement livré à lui-même, sans soutien de la grâce il ne peut compter que sur ses propres forces pour avancer vers le bonheur ultime. La conception de la béatitude qui en résulte est à l’avenant : si nous ne gagnons l’éternité que par nous-même, elle demeure à notre niveau, et l’on ne voit pas comment elle serait l’entrée dans un bonheur sans fin, apte à combler infiniment tous nos désirs et nos possibilités.

Autres aspects théologiques du débat

Élargissons la perspective pour terminer, car la question de la réincarnation soulève des questions théologiques bien au-delà de la seule question des fins dernières.

Puisque cette croyance se présente souvent comme une manière de résoudre le problème du mal (ou plutôt de l’éluder, en renvoyant l’explication du mal présent à des existences antérieures ou postérieurs dont nous n’aurions pas conscience), elle touche à la question de la souffrance du juste. Constatant le fait universel (les méchants semblent parfois mieux lotis que les bons : « Pourquoi les méchants vivent-ils? Pourquoi les voit-on vieillir et accroître leur force ? » se demande le vieillard Job[5]Jb 21, 7.}}), les tenants de la métempsycose cherchent à l’interpréter à leur niveau. Ils ne peuvent en tirer qu’une conception fataliste de l’existence : ce que nous sommes est la conséquence d’événements passés dont nous sommes responsables sans en garder le moindre souvenir, et ce que nous serons suivra immanquablement le cours de la vie que nous menons aujourd’hui, sans pourtant que ce lien soit conscient. Au contraire dans la perspective chrétienne la souffrance du juste est un scandale que Dieu ne vient pas atténuer ou faire taire, mais qu’il vit avec nous en la personne souffrante et compatissante de Jésus, victime librement offerte pour nous péchés. Le sacrifice du Christ vient habiter la souffrance humaine et lui donner un sens : même le plus incompréhensible dans notre existence peut trouver valeur et signification en étant offert uniment à lui.

Ajoutons que la théologie des sacrements perd beaucoup de son sens dans le cadre d’une croyance en la réincarnation et dans l’idée d’un éternel recommencement : les dons de Dieu à l’âme la marquent de manière singulière et indélébile (les caractères imprimés par l’âme au baptême, à la confirmation et dans l’ordination sacerdotale ne s’effacent jamais et font que ces sacrements ne peuvent être réitérés) et construisent une relation personnelle et intime du Créateur à la créature. La métempsycose trouve au contraire son cadre dans l’idée d’une fusion ultime de l’âme dans le tout « divin » du cosmos ou du « Brahman, » elle ne colle certainement pas avec la vision d’un Dieu vivant personnel, qui cherche et construit avec chaque personne un dialogue unique. Ajoutons que la vertu en laquelle se manifeste le plus la toute-puissance de Dieu est, selon saint Thomas, la miséricorde[6]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIaIIae, q. 30, a. 4., or le cycle des réincarnations rend inutile le pardon divin, puisque l’homme s’efforce par lui-même de gravir à nouveau l’échelle dégringolée en tombant dans la matière. Et ainsi le sacrement de pénitence est lui aussi rendu caduc et sans objet.

La théologie catholique implique par ailleurs une profonde dimension historique : c’est dans l’histoire des hommes que Dieu se révèle (la Bible n’est-elle pas une grande histoire, pleine d’histoires ?), et l’existence de chaque personne revêt une profonde dimension personnelle. L’être humain est ce qu’il devient, sa dignité passe du virtuel à l’actuel, elle se construit au fil des décisions qui font sa vie. C’est en ce sens que l’on peut parler d’un véritable progrès de l’âme. La révélation judéo-chrétienne a ainsi fait passer l’humanité de la notion d’un temps cyclique et réversible à celle d’un temps linéaire et irréversible : les Hébreux ont découvert la signification de l’histoire non comme fatalité mais comme épiphanie de Dieu, le monothéisme a apporté avec la notion de salut du temps, qui n’est une prison mais un chemin[7]On trouvera un développement plus complet chez le cardinal Journet, qui s’appuie sur les travaux de Mircea Eliade, cf. L’Église du Verbe Incarné, t. III, c. 1 : « Notions préliminaires : Le … Continue reading. Ainsi l’Église – et chacun de ses membres – ne peuvent être compris sans référence au passé et à l’avenir ; l’œuvre de rédemption ne se conçoit que par rapport à un univers antérieur créé par Dieu mais blessé par une catastrophe mystérieuse, mais encore aussi en référence à l’œuvre de l’Esprit qui transforme de l’intérieur les cœurs et anime le corps mystique du Christ, faisant grandir la moisson jusqu’au temps où le Fils de l’homme reviendra pour la seconde parousie.

La réincarnation : ouverture ou fermeture ?

La croyance en la réincarnation semble rassurer l’homme et simplifier la réponse au problème du mal. Elle présente malgré tout des faiblesses insurmontables au regard de la psychologie et de la philosophie, et amène des conclusions inconciliables avec la foi. Quoi qu’il en soit des faits qui semblent parfois l’appuyer, elle ne peut donc être rationnellement admise comme théorie explicative, ni affirmée comme système d’explication du monde.

Que penser de la résurgence de la métempsycose dans certains milieux et religiosités ? Face à un monde matérialiste qui souvent répudie tout sens de la transcendance et de l’au-delà, pourrait-on considérer la croyance en la réincarnation comme une première marche, une idée propre à amener certains esprits de bonne volonté à la vraie foi ? Il importe cependant de demeurer prudent face à ces erreurs qui témoignent d’une vision faussée de la nature humaine, du divin et de la religion en général, erreurs dont l’enfermement est parfois plus ardu à rompre que le vide de l’incroyance n’est difficile à remplir.

Références

Références
1 Concile de Constantinople, 1° Anathématisme contre Origène, DS 403.
2 La constitution dogmatique Lumen Gentium parle au n°48 du « cours unique de notre vie terrestre. »
3 Catéchisme de l’Église Catholique, n°997.
4 Catéchisme de l’Église Catholique n°1022, citant notamment le concile de Lyon II, DS 857-858
5 Jb 21, 7
6 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIaIIae, q. 30, a. 4.
7 On trouvera un développement plus complet chez le cardinal Journet, qui s’appuie sur les travaux de Mircea Eliade, cf. L’Église du Verbe Incarné, t. III, c. 1 : « Notions préliminaires : Le sens de l’histoire ».
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