Le Saint Père publie aujourd’hui l’exhortation apostolique Laudate Deum, sur la crise climatique. Adressé « à toutes les personnes de bonne volonté, » le texte reprend beaucoup des éléments et même des formulations de la lettre encyclique Laudato’si, tout en actualisant certains éléments et en approfondissant certaines réflexions.
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Le constat : un changement climatique auquel l’homme n’est pas étranger
Notons tout d’abord document pontifical se veut résolument en prise avec les faits et ne craint pas d’entrer dans les détails scientifiques : la première partie notamment, qui revient sur la « crise climatique globale » recense de nombreux signes « toujours plus évidents » du changement climatique et de l’impact humain. Probabilité accrue d’événements extrêmes (chauds ou froids), augmentations globales de chaleur, fonte des glaces et de la banquise, élévation du niveau des mers raz-de-marée, inondations, autant de symptômes d’un déséquilibre global dont le Pontife désigne sans hésiter l’origine humaine. On ne peut douter en effet, dit-il, de l’origine « anthropique » du changement climatique, au vu de la corrélation entre l’augmentation des températures depuis le milieu du XIXème siècle, accélérée en particulier depuis 50 ans, et de celle de la concentration des gaz à effet de serre. La coïncidence qu’il relève est trop forte pour que des éléments d’origine naturelle puissent suffire à expliquer un réchauffement global d’une telle ampleur et rapidité. Les manifestations patentes en sont déjà irréversibles, regrette le pape : augmentation de la température des océans, acidification, diminution des glaces, disparition de glaciers… autant d’événements qui pourraient faire boule de neige, sans retour en arrière possible. Plutôt que de rejeter la faute sur des pays pauvres – au motif de leur croissance démographique – qui sont responsables d’une infime part des émissions mondiales de carbone, le pape appelle à une responsabilité globale et à une vision élargie, face à l’héritage de notre passage sur cette terre. La crise sanitaire récente montre en effet, note-t-il, la relation entre notre existence et celle des autres êtres : « tout est lié. »
Réflexion sur le “paradigme technocratique”
Le Saint Père développe en outre une intéressante réflexion sur le « paradigme technocratique » qui domine les sociétés contemporaines et ne voit la vie humaine que comme si toutes les valeurs (bien, réalité, vérité) ne surgissaient que du pouvoir technologique et économique. Ce paradigme s’alimente et s’étend de façon monstrueuse et menaçante en particulier ces dernières années, avec le développement de l’intelligence artificielle, qui renforce encore l’illusion d’un être humain sans limites. Si les ressources nécessaires à ces avancées techniques (lithium, etc.) ne sont pas illimitées, au contraire, le problème de fond est bien philosophique et éthique : l’homme cherche par là à accroître sans fin un pouvoir hégémonique sur toute réalité, face auquel tout le reste n’est plus un don mais un dû, une simple ressource. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même, mais pour quelles fins, et entre quelles mains ? Toute augmentation de pouvoir n’est pas synonyme de progrès, au contraire, et les avancées technologiques n’ont pas été accompagnées d’un développement en responsabilité, en valeurs, en conscience, de sorte que l’homme se retrouve sans cesse plus démuni, aveuglé face à sa propre démesure.
Or le monde, affirme le pape, n’est pas un objet d’exploitation, ni même un simple cadre de notre existence, car nous sommes enchevêtrés en lui : l’humain n’est pas un facteur externe mais une partie de la nature, en laquelle est insérée sa vie. Il souligne ainsi que l’activité de l’homme peut enrichir la planète, faisant partie de ses forces internes et de son équilibre, faisant vivre un environnement sain, modelé par l’être humain sans le détruire mais pour le mettre en valeur. Cette relation harmonieuse est détruite par le paradigme technocratique et la recherche effrénée du pouvoir humain, pavant la voie vers « un siècle tellement avancé qu’il a des chances d’être le dernier » (Soloviev). Cette fuite en avant est nourrie et entretenue par la logique du profit maximum au moindre coût, souvent déguisée en rationalité ou masquée par le marketing de promesses illusoires, qui rend impossible tout souci du bien commun.
Les faiblesses de la réaction internationale
Face à ces enjeux de taille, le Saint Père déplore ensuite en les faiblesses de la politique internationale, qui devrait, par le biais d’accord multilatéraux, faire avancer la justice et la solidarité. Il ne s’agit pas pour lui de promouvoir une illusoire autorité mondiale qui se concentrerait entre les mains de quelques uns, mais d’encourager l’efficacité d’institutions au service du bien commun, douée d’une autorité suffisante pour garantir les droits fondamentaux. le pape déplore que la crise financière puis sanitaire des dernières décennies n’ait pas été l’occasion de renouveler la gouvernance commune mais ait au contraire vu avancer encore l’individualisme et la désintégration des responsabilités. Il appelle à faire appliquer le principe de subsidiarité au niveau mondial-local, pour conduire à un « multilatéralisme d’en-bas.
Parmi les déceptions de la prise en charge politique globale, le Pontife recense en détail les nombreuses conférences mondiales sur le climat tenues depuis les années 1990, la plupart du temps sans grand résultat. Il relève toutefois certains acquis (sur la préservation de la couche d’ozone par exemple, ou le principe d’un mécanisme de pertes et dommage qui apporte aux pays les plus vulnérables une compensation pour les troubles causés par la pollution des États les plus riches) qui montrent que la coopération internationale peut et doit porter plus de fruit. À la veille de la conférence COP28 de Dubaï le pape – relevant discrètement le paradoxe d’un tel événement tenu dans le temple mondial et climatisé du consumérisme anti-écologique – appelle à des engagements effectifs pour accélérer la transition énergétique et réduire les émissions de gaz à effet de serre. De telles mesures ne pourraient être effectives, ajoute-t-il, que si elles sont soutenues par des garanties réelles et sanctionnées par des récompenses ou pénalités vraiment incitatives.
Le véritable remède n’est pas technique, mais d’abord spirituel
Tout en mettant l’accent sur l’importance de la transition vers des énergies vertes, le Saint Père relève toutefois que l’on ne peut se contenter de chercher un remède technique au problème du climat, ce qui serait isoler des enjeux en réalité profondément liés, cacher les questions les plus profondes et demeurer sur du « colmatage, du bricolage ou du raboutage au fil de fer » qui alimentera toujours au bout du compte le processus de détérioration. Répondre par la technologie aux conséquences néfastes du paradigme technocratique, c’est en définitive, montre François, penser que tout problème futur pourra être résolu par la technologie elle-même. Or le sujet est bien plus large, la question n’est pas seulement environnementale mais humaine.
Ainsi les motivations de réflexion et d’engagement pour les fidèles chrétiens naissent de la foi : la Bible nous montre Dieu qui crée et s’émerveille de la bonté de son œuvre. La terre lui appartient, avec tout ce qui s’y trouve, et nous n’en sommes ainsi que des étrangers et hôtes, exerçant par mission divine une responsabilité qui implique – puisque nous sommes doués d’intelligence – que nous respections les règles de la nature. L’ensemble de la nature, relève le pape, révèle mieux l’inépuisable richesse de Dieu dans sa diversité, que l’homme a pour tâche de protéger. Le Christ lui-même, conclut la lettre, nous enseigne par son exemple et sa parole à être attentifs à la beauté du monde, lui qui prêtait à chacun des éléments de la création une « attention pleine d’affection, » et qui remplit les fleurs des champs et les oiseaux du ciel de sa présence lumineuse, les enveloppant mystérieusement et les orientant vers un destin de plénitude en les faisant participer à notre salut.