Parmi les outrages que Notre-Seigneur eut à subir durant sa Passion, il y eut la parodie de couronnement à laquelle se prêtèrent les soldats :
« Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avançaient vers lui et disaient : “Salut, roi des Juifs !” Et ils lui donnaient des coups. […] Jésus sortit donc dehors, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre ; et Pilate leur dit : “Voici l’homme !” »[1]Jn 19, 2-3.5. Cf. Mt 27, 27-30 ; Mc 15, 16-19
Le voyage de la Sainte Couronne : Jérusalem, Constantinople, Paris[2]Ce paragraphe et le suivant reprennent plusieurs éléments de Grzegorz Górny et Janusz Rosikoń, Témoins du mystère. Enquête sur les reliques du Christ, Artège, 2016, p. 262-281
Après les Évangiles, le plus ancien document qui évoque l’existence de la couronne d’épines est le journal du pèlerinage à Jérusalem de saint Paulin de Nole, rédigé en 409. Au cours des siècles qui suivirent, d’autres pèlerins mentionnèrent la relique dans leurs récits, précisant que celle-ci se trouvait exposée à la vénération des fidèles dans l’église des Apôtres du Mont Sion.
En 1063, l’empereur byzantin Constantin X ordonna que l’on transférât la couronne de Jérusalem à Constantinople. Elle échappa au pillage de Constantinople par les croisés en 1204. Quelques décennies plus tard cependant, en 1238, l’empereur latin de Constantinople Baudouin II la mit en gage auprès d’un banquier de Venise, Nicolo Querino, pour garantir l’emprunt d’une forte somme d’argent. L’accord signé à cette occasion, prévoyait que la relique deviendrait la propriété du vénitien si Baudouin ne remboursait pas la somme avant juin 1239. C’est dans ce contexte que saint Louis proposa à Baudouin II la somme de 135 000 livres en échange la couronne d’épines. L’offre fut acceptée et le 18 août 1239, la couronne fit son entrée solennelle à Paris et fut déposée à Notre-Dame. En 1248, elle fut transférée à la Sainte-Chapelle, spécialement construite pour accueillir la précieuse relique.
S’il n’est jamais aisé d’établir une équivalence entre les sommes d’argent à travers les siècles[3]On lit parfois que les 135 000 livres déboursées par saint Louis représentaient près de la moitié du budget royal de l’époque, mais cette estimation n’est pas acceptée par tous les … Continue reading, on pourra se faire une idée de l’importance de somme déboursée par saint Louis pour acquérir la couronne en la comparant aux 40 000 livres que coûta la construction de la Sainte-Chapelle.
La couronne fût heureusement préservée à la Révolution. Elle dût toutefois quitter la Sainte-Chapelle et fut affectée en 1806 au trésor de Notre-Dame de Paris, où elle demeura jusqu’à l’incendie de 2019. Elle est actuellement en l’église Saint-Germain l’Auxerrois.
La forme actuelle de la Sainte Couronne et la dispersion des Saintes Épines
D’après saint Vincent de Lérins (Ve siècle), la couronne avait initialement la forme d’un bonnet et couvrait toute la tête du Christ. Son armature consistait en un cerceau fabriqué avec de petits rameaux entrelacés auxquels on avait fixé des branches épineuses. Cette description concorde avec l’analyse des taches de sang découvertes sur le linceul de Turin. Mais deux siècles plus tard, vers 650, il apparait que seul subsistait intact un cerceau de jonc – l’armature donc –, tandis qu’un grand nombre des branches qui y étaient initialement fixées s’étaient cassées et que les épines étaient tombées, sans être pour autant perdues.
C’est en effet sous la forme d’un cerceau de 21 centimètres de diamètre que se présente aujourd’hui la couronne. La plante qui a servi à le tresser est le Junctus balticus, une espèce de jonc qui pousse dans les régions orientales du bassin méditerranéen. Quant aux épines, on sait que saint Louis et ses descendants – et déjà avant eux les empereurs de Constantinople – en offrirent à différentes églises en France et en Europe. Pour une part ces donations sont bien documentées, ainsi celle de l’épine que le roi offrit en 1259 aux franciscains de Sées, qui demeure conservée au trésor de la cathédrale de cette même ville.
Les épines que l’on trouve dans les églises d’Europe (139 en tout) appartiennent à trois espèces de plantes : le Zizyphus vulgari Lam.[4]Également appelé Zizyphus spina Christi…, un arbuste qui pousse dans la région de Jérusalem ; le Rhamnus lycioides, un arbuste également, que l’on trouve principalement dans le bassin méditerranéen ; le Gundelia tournefortii, qui ressemble davantage au chardon et qui pousse dans les zones semi-désertiques du Proche et du Moyen-Orient. Il est à noter que l’on a détecté une forte concentration de grains de pollens de cette dernière espèce incrustés dans le tissu du linceul de Turin, notamment autour de l’empreinte de la tête de la silhouette. Mais il n’est pas exclu que deux, voire trois espèces différentes aient servi à confectionner la couronne d’épines. Quoi qu’il en soit, ces divers éléments matériels tendent à confirmer l’authenticité de la relique.
Le couronnement du Roi des rois
Examinons maintenant l’aspect particulier du mystère de la rédemption que met en lumière le couronnement d’épines de Notre-Seigneur.
Aux yeux des Juifs, Jésus-Christ méritait la mort pour cause de blasphème – le blasphème consistant en l’affirmation qu’il faisait de sa filiation divine : « Nous avons une loi et d’après cette loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. »[5]Jn 19, 7 Ce motif proprement religieux ne suffisait cependant pas à convaincre Pilate. Les Juifs eux-mêmes le comprirent et, stratégiquement, mirent en avant un argument de nature politique : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César : quiconque se fait roi, s’oppose à César. »[6]Jn 19, 12
Si l’on suit le déroulement de la Passion dans l’Évangile selon saint Jean, il semble que c’est cette menace qui vint à bout des dernières réticences du fonctionnaire romain et le décida à accéder à la requête des accusateurs du Christ. Saint Thomas note judicieusement :
Il faut remarquer que, bien qu’ils l’eussent accusé de plusieurs choses, il n’eut cependant à subir la passion que parce qu’il se disait roi. […] C’est donc cela que [Pilate] craignait le plus.[7]Saint Thomas d’Aquin, Commentaire de l’Évangile selon saint Matthieu, cap. 27, lect. 2, n. 2835
C’est d’ailleurs ce motif que Pilate fit expressément inscrire sur le titulus – « Jésus le Nazaréen, Roi des Juifs » – provoquant l’ire des Juifs[8]Cf. Jn 19, 19-22. On comprend dès lors que le couronnement d’épines ne fut pas une simple péripétie, un détail accessoire de la Passion de Notre-Seigneur. D’une manière mystérieuse et à rebours des intentions des soldats, ce couronnement dérisoire devait manifester que la royauté du Christ sur l’univers acquiert un nouveau titre dans sa Passion.
En effet, Jésus-Christ, même en tant qu’homme, est roi de toutes les créatures et trois titres fondent cette royauté, chacun étant suffisant : l’union de la nature humaine du Christ à la divinité dans la personne du Verbe, la plénitude de grâce, en quelque manière absolue, dont jouit la nature humaine du Christ[9]Pour ces deux premiers titres, cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, qu. 58, a. 3 et la rédemption du genre humain. Pie XI explicite nettement ce dernier aspect, qui nous intéresse plus particulièrement, dans son encyclique Quas Primas :
Le Christ règne sur nous non seulement par droit natif, mais également par droit acquis, c’est-à-dire parce qu’il nous a rachetés. Puissent donc tous les hommes oublieux se souvenir quel prix nous avons coûté à notre Sauveur : « Car vous n’avez pas été rachetés avec de l’or et de l’argent corruptibles […], mais par le sang précieux du Christ, comme par un agneau sans tache et sans défaut.[10]1P 1, 18 »[11]Pie XI, Encyclique Quas Primas, 11 décembre 1925, DS 3676
Ainsi, à l’instar de Caïphe qui prophétisa à son insu lorsqu’il dit : « Il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple »[12]Jn 11, 50, les soldats qui enfoncèrent la couronne d’épines sur la tête de Notre-Seigneur ne faisaient qu’accomplir la parole du psalmiste : « Vous avez mis sur sa tête une couronne de pierres précieuses. »[13]Ps 20 (Vulgate), 4. Ce verset est repris dans le Graduel de la messe votive de la Sainte Couronne d’Épines. C’est que la malédiction d’Adam, à qui Dieu avait déclaré que la terre ne lui produirait « que des épines et des chardons »[14]Gn 3, 18, devait être enfin écartée :
« La couronne de tribulation a fleuri en couronne de gloire et en diadème d’allégresse. »[15]Trait de la messe votive de la Sainte Couronne d’Épines. La référence indiquée dans le missel est Is 28, 5, mais il doit s’agir en réalité d’une adaptation de Is 28, 5 à partir de Is 22, … Continue reading
Où vénérer la sainte couronne ?
Depuis l’incendie de Notre-Dame, la couronne est conservée en une « remise » sécurisée du Louvre. La vénération traditionnelle du carême demeure toutefois organisée à Saint-Germain l’Auxerrois :
– chaque vendredi de carême, de 15h à 16h45 ;
– le vendredi saint de 8h45 à 17h, avec la relique de la vraie croix et du clou.
Chaque fidèle peut vénérer, toucher ou embrasser le reliquaire, dont la garde est confiée à l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre.
Références[+]
↑1 | Jn 19, 2-3.5. Cf. Mt 27, 27-30 ; Mc 15, 16-19 |
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↑2 | Ce paragraphe et le suivant reprennent plusieurs éléments de Grzegorz Górny et Janusz Rosikoń, Témoins du mystère. Enquête sur les reliques du Christ, Artège, 2016, p. 262-281 |
↑3 | On lit parfois que les 135 000 livres déboursées par saint Louis représentaient près de la moitié du budget royal de l’époque, mais cette estimation n’est pas acceptée par tous les historiens. |
↑4 | Également appelé Zizyphus spina Christi… |
↑5 | Jn 19, 7 |
↑6 | Jn 19, 12 |
↑7 | Saint Thomas d’Aquin, Commentaire de l’Évangile selon saint Matthieu, cap. 27, lect. 2, n. 2835 |
↑8 | Cf. Jn 19, 19-22 |
↑9 | Pour ces deux premiers titres, cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, qu. 58, a. 3 |
↑10 | 1P 1, 18 |
↑11 | Pie XI, Encyclique Quas Primas, 11 décembre 1925, DS 3676 |
↑12 | Jn 11, 50 |
↑13 | Ps 20 (Vulgate), 4. Ce verset est repris dans le Graduel de la messe votive de la Sainte Couronne d’Épines. |
↑14 | Gn 3, 18 |
↑15 | Trait de la messe votive de la Sainte Couronne d’Épines. La référence indiquée dans le missel est Is 28, 5, mais il doit s’agir en réalité d’une adaptation de Is 28, 5 à partir de Is 22, 18. |