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« Ad orientem » 

Nef de la basilique de Vezelay
La question de l’orientation du prêtre à l’autel est liée d’une part à celle plus générale du symbolisme liturgique ; et de l’autre à celle plus particulière de l’orientation de la prière.

Quant au symbolisme liturgique, comprenons tout d’abord que les gestes et attitudes dans la prière publique ne sont jamais indifférents ni laissés au libre choix du célébrant[1]La nature de l’homme est telle que difficilement, il s’élève à la méditation des choses divines sans l’aide extérieure qui l’y soutient. C’est pourquoi l’Église, en pieuse mère, … Continue reading.

L’orientation du prêtre à l’autel fait partie de ces rites déterminés par l’Église et s’inscrit dans une orientation de la prière plus ancienne encore.

L’orientation dans la prière

Elle existait déjà dans l’Ancien Testament où les Juifs avaient l’habitude de prier en se tournant vers le temple de Jérusalem « où Dieu résidait » ; une trentaine de passages de l’Ancien Testament nous les montrent également priant vers l’Est[2]Dom Gaspar Lefebvre, Manuel de liturgie, Ed. Apostolat liturgique, Bruges, 1934, p. 182.

Dans les premiers temps de l’Église où le symbolisme liturgique était très important, l’usage de se tourner vers l’Orient pour prier liturgiquement (d’où le mot « orientation ») va très vite s’imposer. Tant et si bien que pendant un grand nombre de siècles, à partir du Ve siècle, les églises seront quasi-systématiquement bâties le chevet tourné vers l’Est. Les témoignages anciens abondent pour attester et justifier cette orientation des lieux de culte[3]On voit ainsi les « Constitutions Apostoliques » du IVe siècle prescrire que l’église soit « allongée en forme de vaisseau et tournée vers l’Orient » (Les constitutions apostoliques, … Continue reading.

Le grand liturgiste que fut le Cardinal Bona au XVIIe siècle pourra écrire :

Des monuments historiques, on peut conclure que les églises, dans l’Église Grecque comme dans l’Église Latine, étaient construites de manière qu’elles fussent dirigées vers le lever du soleil au temps de l’équinoxe. Cette coutume était autrefois si strictement suivie par les moines de l’Ordre de Cîteaux, que non seulement le maître-autel était tourné vers l’orient, mais encore tous les autres autels étaient tournés dans la même direction.[4]Migne, Dictionnaire d’archéologie sacrée, t. II, 1204

Cet usage n’était pas cependant absolument universel ; les basiliques romaines par exemple, plus anciennes, étaient « occidentées » ; c’est pourquoi le prêtre et les fidèles (pour certaines parties de la messe en ce qui concerne ces derniers) se tournaient alors vers les portes pour que leur prière soit cependant toujours « orientée ».

« Orient est son nom »

Pourquoi se tourner vers l’Orient ? Parce qu’il représentait le Christ selon l’appellation que lui donna Zacharie (6,12) : « Voilà l’homme qui a pour nom Orient ». Il est encore l’oriens ex alto (Lc 1, 78). C’est également ainsi que le nomme une des antiennes de l’Avent : « O Orient, splendeur de lumière éternelle et soleil de justice, venez et éclairez ceux qui… »

Se tourner vers l’Orient signifiait donc tout simplement se tourner vers Dieu. Certaines liturgies du baptême prescrivaient même au nouveau baptisé de cracher vers l’occident pour renoncer au démon, avant de se tourner vers l’Orient pour professer sa foi et adhérer à Dieu.[5]Lorsque nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’orient, là où le soleil se lève. Non pas que Dieu serait là, ayant abandonné les autres régions du monde… mais pour exhorter … Continue reading

Se tourner vers l’Orient, c’était aussi se tourner vers la direction du soleil levant ; or le Christ était appelé « soleil de justice » (sol justitiae) selon la prédiction de Malachie (4,2).[6]De même que l’Orient est l’image de la naissance, de même il est la figure de la vérité succédant à l’erreur. C’est pour cela que nous autres, chrétiens, nous avons l’habitude de … Continue reading

Par ailleurs, le Christ étant, selon la prédiction du psaume 67[7]Célébrez le Seigneur qui s’élève au plus haut des cieux vers l’Orient., monté au ciel vers l’Orient lors de son Ascension, c’était du même endroit qu’on attendait son retour. La prière « orientée » possédait ainsi de plus une dimension eschatologique.[8]Lors de son Ascension, il s’éleva vers l’orient, et c’est dans cette direction que ses apôtres l’adoraient, et c’est ainsi qu’il reviendra, comme ils l’ont vu monter au ciel, ainsi … Continue reading

Saint Thomas d’Aquin lui-même reprend dans sa somme de théologie ces différents motifs quant à l’orientation de la prière, y ajoutant l’idée commune également alors du paradis terrestre situé à l’Orient :

C’est pour des raisons de convenance que nous adorons tournés vers l’orient. C’est d’abord à cause de la majesté divine que symbolise l’orient, où le mouvement du ciel prend son origine. Ensuite c’est là qu’était établi le paradis terrestre selon le texte des Septante (Gn 2, 8) : nous semblons ainsi vouloir y retourner. C’est enfin à cause du Christ lumière du monde qui porte le nom d’Orient (Za 6, 12) et qui “ est monté au-dessus de tous les cieux à l’Orient ” (Ps 78, 34) d’où l’on attend sa venue suprême, selon saint Matthieu (24, 27) : “ Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’Homme[9] IIa IIae, q. 84, a. 3 ad 3um. ”

Et aujourd’hui ?

Si avec les siècles, pour des raisons généralement pratiques, l’orientation physique des églises lors de leurs constructions tomba en désuétude, celle du ministre et des fidèles demeura : ensemble, ils étaient tournés dans la même direction : celle de la croix toujours présente au-dessus ou derrière l’autel. C’est-à-dire qu’ils étaient tournés encore vers Dieu. L’essentiel de l’orientation était sauf.

Célébrer la messe « dos au peuple » comme on le dit parfois aujourd’hui n’était jamais perçu comme une manière pour le prêtre de tourner le dos aux fidèles, mais d’abord et avant tout de se tourner, avec eux, vers le Seigneur. Puisque c’est à lui que s’adressent nos prières et nos chants. Et c’est à lui seul également qu’est offert le sacrifice.

Si la célébration de la messe aujourd’hui selon les nouveaux livres liturgiques se fait quasiment de manière universelle vers le peuple, remarquons que le missel dit de Paul VI n’exige pas cette célébration face au peuple. Plus encore, la Constitution conciliaire sur la liturgie du Concile Vatican II à la suite de laquelle fut réformée la messe n’a pas abordée une seule fois la question de la position du célébrant à l’autel. Ni demandé de changement en cette matière.

Références

Références
1 La nature de l’homme est telle que difficilement, il s’élève à la méditation des choses divines sans l’aide extérieure qui l’y soutient. C’est pourquoi l’Église, en pieuse mère, a-t-elle institué des rites, en vertu desquels telles formules, à la messe, seraient prononcées à voix basse, telles autres à haute voix. De même, instruite par les apôtres et la tradition, elle a établi des cérémonies, bénédictions mystérieuses, luminaires, encensements, ornements et beaucoup de choses de ce genre destinées à rappeler la majesté d’un si grand sacrifice, et aussi à exciter l’esprit des fidèles à s’élever par ces signes extérieurs de la religion et de la piété à la contemplation des choses très hautes cachées dans ce sacrifice. (Concile de Trente, 22e session, chap. 5)
2 Dom Gaspar Lefebvre, Manuel de liturgie, Ed. Apostolat liturgique, Bruges, 1934, p. 182
3 On voit ainsi les « Constitutions Apostoliques » du IVe siècle prescrire que l’église soit « allongée en forme de vaisseau et tournée vers l’Orient » (Les constitutions apostoliques, Ed. du Cerf, 1992, p. 112).

Plus anciennement encore, Tertullien pourra écrire : « la maison de notre colombe est simple, et tournée vers la lumière. L’image de l’Esprit Saint aime l’orient. C’est vers la région de l’Orient que nous prions» (Adv. Val., c. 3.).

Saint Isidore de Séville des siècles plus tard rapportera que « lorsque les anciens construisaient un temple, ils le tournaient à l’Orient de l’équinoxe afin que celui qui était en prières fut tourné vers le véritable Orient » (Origines L. XV) Le prêtre célébrant le matin voyait les rayons du soleil l’éclairer à travers les vitraux.

4 Migne, Dictionnaire d’archéologie sacrée, t. II, 1204
5 Lorsque nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’orient, là où le soleil se lève. Non pas que Dieu serait là, ayant abandonné les autres régions du monde… mais pour exhorter l’esprit à s’élever vers une région supérieure, c’est à dire vers Dieu. (Saint Augustin, P.L. XXXIV, col 1277)
6 De même que l’Orient est l’image de la naissance, de même il est la figure de la vérité succédant à l’erreur. C’est pour cela que nous autres, chrétiens, nous avons l’habitude de nous tourner vers l’Orient lorsque nous prions. Ce n’est plus comme chez les païens, pour adorer le soleil, mais pour adorer le soleil de justice et de vérité (Saint Clément d’Alexandrie in Dom Gaspar Lefebvre, Manuel de liturgie, Ed. Apostolat liturgique, Bruges, 1934, p. 183).
7 Célébrez le Seigneur qui s’élève au plus haut des cieux vers l’Orient.
8 Lors de son Ascension, il s’éleva vers l’orient, et c’est dans cette direction que ses apôtres l’adoraient, et c’est ainsi qu’il reviendra, comme ils l’ont vu monter au ciel, ainsi que l’a lui-même dit le Seigneur : comme l’éclair parti de l’orient est aussitôt à l’occident, ainsi en sera-t-il du retour du Fils de l’homme”. Puisque nous l’attendons, nous prions aussi vers l’orient. C’est une tradition non écrite des apôtres. ( Saint Jean Damascene, Orthod. Fidei., l. IV, c. 13).
9 IIa IIae, q. 84, a. 3 ad 3um
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