Le Seigneur des Anneaux n’est pas une banale chasse au trésor mais une épopée au sens plus profond : plutôt que de gagner le « précieux » objet, il faut s’en défaire à jamais, afin de se libérer du mal dont il est le symbole.
Retrouver ici la seconde partie de l’article : Bien et mal chez Tolkien (2 sur 2).
L’un des coups de génie de Tolkien dans Le Seigneur des Anneaux a été de construire toute une quête dont le but premier n’est pas d’acquérir un trésor, un objet précieux, une personne aimée (même si cela est présent aussi : Aragorn se bat pour monter sur le trône du Gondor et mériter la main d’Arwen, fille d’Elrond) mais de se défaire à jamais d’un faux trésor, d’un objet aussi terriblement dangereux qu’il est beau, à savoir l’Anneau unique forgé par Sauron.
L’anneau de tous les dangers
Pourquoi l’Anneau est-il si dangereux ? Parce que Sauron l’a forgé dans le but d’asservir les esprits, il a fait passer en lui tout son orgueil, toute sa volonté de domination absolue et de puissance sans limite. C’est pour cela que, dans l’œuvre de Tolkien, l’Anneau est à la fois le Tentateur et la Tentation par excellence, le symbole et le résumé de toute tentation : il est la volonté de puissance à l’état pur, le désir effréné du pouvoir brut, un pouvoir sans amour et sans sagesse, qui ne connaît pas d’autre mesure que lui-même. « Prends-moi, sers-toi de la force que je te donne et je ferai de toi un dieu » : telle est la tentation que l’Anneau suggère à tous ses possesseurs, petits ou grands. Sa forme circulaire suggère bien cela : il symbolise l’enfermement en soi d’une volonté de puissance coupée de Dieu, des autres, de tout le réel[1]Bien sûr, le symbolisme de l’anneau n’est pas univoque. Il peut être et il est, habituellement, positif. Il symbolise l’alliance, l’unité indissoluble de deux volontés, par exemple dans … Continue reading. Mais l’anneau ne se ferme que sur le vide : une créature qui veut être à elle-même sa propre fin, qui veut être le centre de tout, ne peut, pour ainsi dire que tomber dans son propre néant, se vider de sa substance. C’est pourquoi l’Anneau a d’abord pour effet de rendre invisible son porteur : il le coupe du monde et l’isole dans sa volonté solitaire de puissance. Mais celui qui se sert souvent de l’Anneau, comme l’explique Gandalf à Frodo, finit par s’évanouir purement et simplement, il devient spectral, comme les Nazgul (« spectre de l’anneau ») : il quitte définitivement le monde réel, le monde des vivants, il n’est plus, à l’image des Nazgul ou d’Arachne, qu’une volonté insatiable de tout dévorer, de tout absorber en soi.
On voit donc à quelle profondeur Tolkien a compris le mal par excellence, le mal du péché, sa séduction, sa force apparente et sa faiblesse irrémédiable.
La séduction du mal, sa force et sa faiblesse
Sa séduction : l’anneau unique est beau, il est séduisant : quoi de plus séduisant pour la liberté que ce pouvoir immense qu’il lui offre ? Et il peut être très légitime de désirer la force pour servir une bonne cause. Gandalf dit à Frodo : « Ne me tentez pas ! Le chemin de l’anneau vers mon cœur passe par la pitié, la pitié pour ce qui est faible et le désir de la force pour faire le bien. » Mais la force pure et simple, sans amour et sans sagesse, ne produit que destruction.
Sa force apparente : Sauron est très fort, tellement qu’en termes de purs rapports de force, il est invincible. Gandalf le dit aussi. De plus, tous les moyens lui sont bons pour atteindre son but : il peut tout faire, puisqu’il ne connaît pas d’autre mesure que sa volonté. Au premier abord, s’affranchir de la vérité rend apparemment très fort.
Sa faiblesse : cependant, le mal a une faiblesse radicale, irrémédiable, et qui finit toujours par entraîner sa perte. Il ne comprend pas le bien. Il ne comprend pas la racine de tout bien, de toute vérité, de tout être, qui est l’amour gratuit, désintéressé, du Créateur. Et c’est cela qui perdra Sauron : à aucun moment il n’imaginera que ses ennemis puissent vouloir, non pas se servir de l’anneau pour l’abattre, mais détruire l’anneau. Non pas prendre le pouvoir pour un motif apparemment bon, mais renoncer radicalement au pouvoir que l’anneau leur offre. C’est pourquoi il ne garde pas son pays, n’imaginant pas que les tout petits hobbits, « charmants, absurdes et impuissants » puissent faire cette « folie » : jeter l’anneau dans le feu qui l’a forgé. S’introduire jusqu’au cœur du mal, en « enfer », pour rendre définitivement à l’enfer ce qui est à lui : la soif du pouvoir absolu.
Références[+]
↑1 | Bien sûr, le symbolisme de l’anneau n’est pas univoque. Il peut être et il est, habituellement, positif. Il symbolise l’alliance, l’unité indissoluble de deux volontés, par exemple dans le mariage, entre les époux, ou bien dans un lien d’honneur et de service, tel qu’il peut exister entre un souverain et son vassal. Porter l’anneau du roi, c’est participer à sa volonté et à son pouvoir. Mais précisément, dans ces exemples, l’anneau n’est pas unique, ou du moins, il n’est pas incommunicable à un autre. Il est fait pour unir, pas pour asservir et dévorer son porteur. |
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