Après avoir rassemblé quelques réflexions critiques sur cette série venue des Etats-Unis qui fait connaître la vie du Christ à partir du regard des Apôtres, on apporte ici quelques commentaires sous l’angle proprement chrétien, avant d’orienter vers quelques questions théologiques spécifiques posées par cette production.
Cliquer ici pour voir les épisodes de la série The Chosen – sous-titres français disponibles.
Lire la première partie de l’analyse de l’abbé Paul Roy: The Chosen (1/3) : Qui sont les élus ?
Une vraie série chrétienne
Si l’on considère maintenant la série avec un regard chrétien, on appréciera d’abord la justesse du personnage du Christ et des relations qu’il entretient avec les autres protagonistes : l’atmosphère qui est donnée ne nous semble pas décalée par rapport aux récits évangéliques. On reviendra dans un prochain article sur le problème cinématographique posé par la question de l’union hypostatique. Les épisodes déjà produits rendent plus incarnés certains passages des Écritures que nous connaissons bien pour les entendre dans la liturgie, les lire et méditer souvent, mais auxquels la représentation en image ajoute un aspect concret qui nous les rend en un sens plus proches.
Il nous semble ainsi que l’on puisse prier à partir des scènes de The Chosen, des personnages qui y apparaissent. Certains beaux gestes ont été imaginés qui consonent bien avec le récit biblique et aident à le méditer : lorsque Jésus guérit le paralytique de la piscine de Bethesda (Jn 5, Saison 2, Épisode 4), il s’accroupit auprès de lui pour l’interpeller (« veux-tu être guéri ») et reste à sa hauteur, jusqu’à ce qu’il lui commande de se lever, et se redresse en même temps que lui. Ce n’est sans doute pas chercher trop loin que d’y voir la volonté de montrer Jésus s’abaissant en prenant notre humanité pour nous relever avec lui.
On appréciera aussi les parallèles fréquemment dressés avec l’Ancien Testament, insistant sur l’accomplissement des prophéties par le Christ mais aussi sur le dilemme posé aux Juifs par le caractère inattendu de cette réalisation – les apôtres, mais aussi d’autres personnages (pharisiens, zélotes…) ont le réflexe frappant de confronter leur expériences aux Écritures, ce qui correspond sans doute bien à la mentalité des contemporains de Jésus, et nous appelle à faire de même, en suivant la clé de lecture biblique qu’il est venu nous offrir.
Quelques nuances
Parmi certaines réserves qu’un catholique peut apporter à The Chosen, on notera d’abord l’inévitable parti-pris d’inventer un grand nombre de détails relatifs à chaque scène représentée – cette nécessité de la mise en scène au cinéma est encore renforcée ici par la volonté de faire rencontrer Jésus à travers les figures « secondaires » des Évangiles, dont les personnages sont par conséquent largement étoffés : Matthieu serait probablement diagnostiqué aujourd’hui comme autiste-asperger, Pierre est marié (rappelons que la série est produite par des protestants), Thomas est un ancien traiteur échappant de peu à l’humiliation publique lors des noces de Cana.
Paradoxalement, le scénario semble pourtant imprégné d’un certain fondamentalisme scripturaire : on voit souvent Jean et Matthieu prendre des notes dans de petits carnets (dont la forme même semble anachronique), comme si les Évangiles étaient déjà en cours de rédaction au moment même où Jésus vivait et agissait sur terre. Sans céder à la tentation moderne de dater leur écriture bien après la mort des apôtres, on peut considérer que ces récits sont le résultat d’une méditation après-coup de leurs auteurs et d’une véritable construction littéraire ; et surtout ils sont produits sous l’inspiration du Saint-Esprit, reçue à la Pentecôte, soit après que le Christ est remonté au Ciel.
On observe par ailleurs que les scénaristes ont voulu introduire entre les personnages des liens nouveaux, non explicités par les Évangiles : c’est un des procédés qui leur permet d’orchestrer leur entrée en scène (les démêlés de Pierre avec le fisc le mettent malgré lui en rapport avec Matthieu, Thomas prend en charge l’organisation matérielle du mariage de Cana, Simon le Zélote est le frère du paralytique guéri par Jésus à la piscine de Bethesda…). Or il nous semble probable que si de tels liens avaient existé, ils auraient été indiqués par les évangélistes, qui avaient le souci constant de rendre leur récit plus crédible en le faisant remonter à des témoins oculaires (saint Marc présente Simon de Cyrène en nommant ses deux fils – Alexandre et Rufus, qui étaient probablement connus de ses premiers lecteurs[1]Sur cette question du témoignage oculaire à la racine des récits évangéliques, on lira avec un grand profit le travail très fouillé de Richard Bauckham, Jesus and the Eyewitnesses, The Gospels … Continue reading). Dans l’exemple de Simon le Zélote, saint Jean, écrivant plusieurs générations après les faits, n’a pu avoir en vue de garder l’anonymat du paralytique pour le protéger d’éventuelles représailles des autorités (on avance parfois cet argument pour justifier que saint Luc n’ait pas nommé la pécheresse pardonnée qui oint les pieds de Jésus en Lc 7, et qui semble pourtant bien être Marie-Madeleine, ou encore pour expliquer l’anonymat dont saint Marc protège l’apôtre – Pierre – qui tire son épée contre le serviteur du grand-prêtre à Gethsémani).
Autre point dont on pourrait peut-être contester la vraisemblance en la matière : les différents métiers d’origine assignés aux apôtres. Thomas aurait-il pu être traiteur de mariage, Nathanaël architecte, alors qu’ils n’hésitent pas à accompagner Pierre pour pêcher au chapitre 21 de saint Jean ? Il est peut-être plus beau de considérer que les douze étaient tous – ou presque – à l’origine, des pêcheurs, devenus par la grâce de l’élection pêcheurs d’hommes.
Mais une excellente impression
Ces quelques nuances ne sauraient effacer l’excellente impression qui se dégage de cette belle production, qui aidera de nombreux chrétiens à se rapprocher du Christ et à mieux contempler sa beauté à travers la mise en scène de ces passages évangéliques, et qui pourra sans doute aussi servir d’instrument à la grâce divine pour rapprocher de Jésus certains cœurs éloignés de lui. Pour un catholique fervent et formé, elle peut être l’occasion de puiser à cette nouvelle source des images aidant à la contemplation (selon le modèle ignatien de la « composition de lieu » par exemple), comme d’approfondir la réflexion théologique sur la personne de Jésus. C’est ce que nous entreprendrons dans un dernier article, à partir des épisodes de The Chosen.