La petite salle de cinéma paloise n’était pas bien pleine en cette soirée pluvieuse : une dizaine de spectateurs seulement pour le beau moment partagé avec Gad Elmaleh dans « Reste un peu. » Mais c’est avec le sourire aux lèvres et au coeur que les cinéphiles du jour sont rentrés chez eux.
Prévenons tout de suite : alors que l’annonce de sa sortie a beaucoup fait parler dans les milieux catholiques, ce film n’est pas un récit de conversion. Il s’agit plutôt d’un témoignage du chemin accompli par un homme « sous la protection de Marie. » L’expression revient plusieurs fois dans les dialogues et est comme le motif principal d’un long-métrage dont la Vierge est un personnage-clé.
Une très bonne « comédie tous publics »
Un spectateur non averti ou complètement imperméable à tout questionnement spirituel passerait certainement un bon moment devant « Reste un peu » : en sortant de la salle, il comparerait sans doute avec « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu » ou « Bienvenue chez les Ch’tis » (version « Bienvenue chez les cathos »). Et pourtant le film a une dimension bien plus profonde, que l’on ne peut manquer : il s’agit d’un témoignage autobiographique qui fait suivre avec pudeur le cheminement d’une âme sous le regard de Marie. Gal Elmaleh a voulu mettre en scène sa propre histoire spirituelle, partagée avec sa famille et ses amis, dans un long-métrage réalisé avec eux : il évolue dans son propre rôle, entouré de ses parents, de sa sœur, de ses amis, du prêtre et de la religieuse qui l’ont accompagné… On comprend ainsi rapidement qu’il ne s’agit pas d’une simple fiction, même si le scénario raconté pour nous mêle à l’histoire du chemin de Gad des éléments d’imaginaire ajoutés pour l’occasion.
Porté par la musique d’Ibrahim Maalouf, par de belles images parisiennes, illustré par la présence de quelques têtes d’affiche du cinéma français et amis du réalisateur (Mehdi Djaadi, lui aussi converti, qui joue en quelque sorte son propre rôle, Roschdy Zem, William Azoulay), le film est animé d’un réel souffle. On ne peut manquer par ailleurs de relever une fois encore le talent de Gad Elmaleh, qui, si doué pour incarner les autres, joue son propre personnage à la perfection, et parvient surtout à diriger une équipe en grande partie amateur (ses vieux parents, sa soeur, ses amis, un prêtre, un rabbin…) pour arriver à un résultat digne d’un grand film. « Reste un peu » est une comédie au sujet sérieux mais que la simplicité des acteurs, le tragi-comique enjoué des dialogues et des situations, rend extrêmement plaisant. On ne s’ennuie pas, bien au contraire, dans la famille Elmaleh. Ce film bon enfant peut être vu et recommandé sans réserve aux familles (parents et adolescents : deux allusions un peu lourdes sans être réellement choquantes pourront semble-t-il être regrettées).
Le témoignage d’un chemin
On a beaucoup spéculé autour de sa sortie : « Reste un peu » n’est pas l’autobiographie spirituelle de Gad Elmaleh, son « histoire d’une âme » à la mode du XXIe siècle. L’œuvre mêle subtilement la réalité de son expérience personnelle avec des éléments de fiction, organisés selon les canons du septième art. Il ne s’agit donc pas d’un récit de conversion, mais plutôt du témoignage d’un chemin – un mot récurrent dans la bouche de l’acteur. Dans une société où beaucoup – et paradoxalement surtout les catholiques – renoncent à toute « spiritualité » (c’est le constat tiré de son dernier spectacle, dans un extrait inclus au film), cet homme veut parler de son questionnement spirituel, de ses certitudes, des doutes qui subsistent encore et des difficultés qu’il rencontre.
On perçoit chez lui une attirance profonde pour la beauté, qui le touche en particulier dans le catholicisme à travers la figure de Marie. Cette inclination n’est pas seulement esthétique, car elle le mène ouvertement à la prière : la caméra nous amène ainsi pour de longs instants dans plusieurs églises de Paris, Boulogne ou Casablanca. La beauté du christianisme est pour Gad Elmaleh celle de la Vierge, mais ne semble pas oublier la réalité de la croix : le film commence et se termine sur cette même image – celle qui surplombe un clocher de sa ville natale. Cette beauté est aussi celle de l’amitié, qu’il découvre à travers les figures de religieux ou de fidèles qui l’accueillent spontanément, avec bienveillance et respect. L’une d’entre elles lui fait découvrir la beauté de la charité, qui commence par la prière fraternelle et se réalise dans les œuvres de miséricorde corporelle (le soin des malades en l’occurence).
La religion : une histoire de famille
Les difficultés ne sont pas absentes du chemin de la foi, en particulier dans la famille. Si la lecture de la Bible – une histoire de famille longue et mouvementée – ne nous en avait pas encore pleinement convaincu, « Reste un peu » vient rajouter une couche. La réaction des parents de Gad Elmaleh est mise en scène avec beaucoup de talent et d’humour – au point que son père et sa mère pourraient lui voler la vedette ! Drôles, touchants, partagés entre l’amour de leur fils et leur enracinement dans la religion et les coutumes juives, David et Régine Elmaleh nous font vraiment entrer dans leur famille, avec une belle simplicité et ouverture de cœur. La question profonde pour Gad est celle du déracinement, de l’arrachement à son milieu et à sa culture, face à l’attrait pour Marie jusqu’au baptême. Ses hésitations produisent un véritable suspense, qui correspond certainement à la réalité des combats que traversent aujourd’hui de nombreux catéchumènes. Ce déchirement est présent au coeur de ses proches, en qui résonne finalement, bien que diversement, le témoignage de Gad : « c’est pas à toi que je vais expliquer ce que c’est que de perdre un fils », lance Régine, sa mère biologique, à la Vierge mère.
La dimension familiale est mise en balance avec la question du salut : à l’issue de sa retraite à la Trappe, l’acteur range en un tableau les raisons militant pour et contre son baptême. En colonne de gauche on lit : rompre avec la famille ou « ne plus jamais tourner avec Spielberg, » mais l’acteur écrit en regard : « salut éternel de l’âme. » Gad Elmaleh perçoit et montre bien ainsi qu’il s’agit plus que d’un attrait personnel, d’une lubie esthétique ou d’un palliatif à la fameuse crise de la cinquantaine. La foi est une question essentielle, celle qui donne sens à toute la vie et dont il ne peut faire l’économie. Et qui ne se pose cependant pas seulement au niveau de la raison : « je raisonne avec le cœur, » dit-il à un jeune juif orthodoxe croisé dans une rue de Boulogne.
« Une compétition d’apnée » ?
La foi est une réalité vécue, incarnée dans la charité et la prière, découvertes et pratiquées par l’acteur. Elle s’accomplit en un culte intérieur mais aussi communautaire : la question du baptême se pose ainsi avec acuité. Peut-il être baptisé sans impliquer ou prévenir ses parents, peut-il leur mentir au sujet de sa conversion ? Peut-il au contraire demeurer juif extérieurement tout en se rattachant intérieurement au catholicisme, comme l’auraient fait avant lui Simone Weil et Henri Bergson ? (Notons que le cas de ces deux intellectuels juifs, cités par Frédéric Lenoir, sociologue et spécialiste des religions, dans une interview dont le film diffuse un court extrait, est à distinguer avec soin : il ne peut être sérieusement envisagé que dans le contexte particulier de la Seconde Guerre Mondiale et des persécutions alors endurées par les Israélites.) Qu’est ce que le baptême ? Un rituel marquant l’attachement à une communauté – et donc la rupture des précédentes attaches, ou un lien plus profond noué avec Dieu ? La question est posée de manière très ouverte, sans qu’une réponse définitive y soit apportée. On apprécie toujours autant l’humour avec lequel l’envisage Gad, qui s’entraîne à la triple immersion dans la magnifique piscine de l’hôtel Peninsula, en compagnie d’un maître nageur un peu étonné : « c’est une compétition d’apnée ? » Une fois encore la légèreté du film ne nuit pas à la profondeur du questionnement spirituel, au contraire.
« Tu savais, toi, que la Vierge Marie était juive ? »
Le thème de la foi est abordé sous un angle particulier, très personnel. C’est par Marie et à travers Marie que Gad Elmaleh a été touché par Dieu. C’est elle qui l’a marqué une première fois, alors qu’il était entré, enfant et malgré l’interdiction paternelle, dans cette église de Casablanca. C’est elle qui continue de l’attirer vers le catholicisme, qui se manifeste à lui sous forme d’une présence maternelle, d’une protection particulière, d’un amour très personnel. La Vierge l’a amené à un contact avec Dieu qu’il n’avait jamais trouvé dans la religion juive. Cette présence de Notre-Dame peut presque sembler excessive, comme si elle estompait la figure du Christ. A contrario, Mehdi Djaadi, incarnant un autre des catéchumènes de la paroisse de Boulogne, témoigne avoir été touché par la présence de Jésus dans l’eucharistie. Quoi qu’il en soit, on ne peut rester insensible à l’amour filial dont témoigne Gad Elmaleh pour Marie, symbolisé par la naïve statue enveloppée dans une serviette de toilette et promenée dans son bagage de quinquagénaire branché. En catholique averti, on ne saurait oublier que Dieu, en couronnant les mérites des bienheureux, et en particulier de la sainte Vierge, couronne ses propres dons[1]« Qui glorificaris in concilio sanctorum et eorum coronando merita, coronas dona tua » (vous qui vous glorifiez dans la compagnie des saints et couronnez vos propres dons en récompensant leurs … Continue reading et manifeste sa gloire dans l’immense diversité de ses prévenances pour les hommes.
« J’ai pas choisi ce qui m’est arrivé »
« Reste un peu » est finalement l’histoire d’une grâce, d’un homme touché par Dieu à travers Marie, un hymne à l’amour maternel de celle qui veille sur nous et nous ramène à son fils. Le film est aussi un bel hommage aux catéchumènes du XXIe siècle, dont on perçoit toute la radicalité et la difficulté du cheminement. Il est une invitation pour les catholiques à sortir de leur terrier, à ne pas craindre de témoigner de la beauté de leur foi et de la charité qui la rend vivante. Le long-métrage de Gad Elmaleh est l’occasion de se poser de vraies questions théologiques : le statut de la foi, le rôle de Marie dans la vie chrétienne, la place du judaïsme dans le plan du salut. Sortant de la salle de cinéma, il faudrait se replonger dans les épîtres de saint Paul, un autre juif à forte personnalité et touché par la grâce, sur les relations de la loi ancienne avec l’alliance nouvelle : ses éclairages des lettres aux Romains ou aux Galates n’ont décidément rien perdu de leur actualité… On passe un excellent moment avec « Reste un peu », un film à voir et à recommander sans modération, un beau rayon de soleil automnal grâce à Gad Elmaleh, et surtout à Notre Dame.