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S’ouvrir à la métaphysique

La métaphysique, en particulier celle de saint Thomas d’Aquin et Aristote, a-t-elle encore sa place dans notre monde matérialiste et relativiste ? C’est ce que défend avec brio Jean-Marie Vernier qui publie S’ouvrir à la métaphysique.

 

« Pataphysique : Science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité. » La définition humoristique d’Alfred Jarry est tout ce qui reste à la plupart de nos contemporains pour qualifier aujourd’hui la métaphysique. Celle qui fut autrefois la reine des sciences est aujourd’hui la moins considérée. Les critiques sont multiples, mais aucune n’est valable, juge Jean-Marie Vernier, qui entreprend une courageuse et originale défense de la philosophie première dans S’ouvrir à la métaphysique, ouvrage récemment paru chez Hora Decima. Professeur agrégé de philosophie, docteur de Sorbonne, Jean-Marie Vernier a déjà publié, traduit et édité plusieurs ouvrages remarqués dans le domaine.

 

Défense et définition de la métaphysique

Dans sa première partie (« Métaphysique ou pataphysique ? »), il fait face aux principaux préjugés contre sa discipline : à quoi sert-elle, a-t-elle un véritable objet, sa réflexion sur la causalité peut-elle se fonder sur le réel, la métaphysique n’est-elle pas irrationnelle, est-elle disqualifiée par les sciences modernes ? Il recense ainsi les objections classique et contemporaines d’un monde sceptique et résolument utilitariste : la métaphysique y apparaît sans objet réel – puisque non susceptible d’expérimentations concrètes. La pensée de l’être doit ainsi justifier son existence dans un contexte relativiste et matérialiste, où l’on s’interdit absolument de concevoir quoi que ce soit au-delà de la matière.

Après cette première partie purement défensive, apologétique, Jean-Marie Vernier entreprend une présentation positive de son sujet. Il définit la métaphysique comme « savoir de ce qui est en tant qu’il est, et non en tant que soumis au changement ou soumis à la quantité. » Il pose ainsi la question de l’être au sens premier et introduit une première distinction fondamentale entre acte et puissance. Il peut ainsi montrer en quoi la métaphysique est véritablement une sagesse : une recherche des causes premières, de ce dont dépend l’être même des choses. Cette vue culmine finalement en une conception de la métaphysique comme théologie : quand la considération de l’être en tant qu’être aboutit à celle de l’être par essence – Dieu. Cette exposition globale de la philosophie première se présente sous un aspect à la fois classique et original, montrant la présence et la pérennité du double héritage aristotélicien et thomiste (avec recours aux sources textuelles), tout en montrant l’utilité profonde de cette science de l’être en tant qu’être pour comprendre le réel, et par là sa vraie actualité.

L’homme : sujet et objet métaphysique

Dans une troisième partie, l’auteur s’intéresse à l’homme : en tant qu’être intelligent, il est aussi objet de la métaphysique. Dans une vue originale et bien documentée, Jean-Marie Vernier croise les acquis de la psychologie rationnelle classique avec les avancées les plus récentes des sciences cognitives. La connaissance, peut-il conclure, n’est pas une activité purement réductible à des stimuli nerveux. Il en propose une preuve en considérant trois expériences présentées par Jean-Pierre Changeux, éminent professeur de neurosciences, pourtant connu pour son matérialisme. Il s’agit de faire réaliser à des personnes des activités de « déplacement » mental (rotation d’objets, exploration d’une zone, zoom sur une partie d’une image) : on constate l’existence chez ces sujets d’une instance mentale irréductible à l’activité neuronale. Ces observations expérimentales sont bien consonantes avec les conclusions de la psychologie rationnelle thomiste, qui identifie comme attribut propre de la connaissance intellectuelle la capacité à faire retour sur l’objet connu ou sur le sujet connaissant – la capacité de « réfléchir. » Cette considération s’ouvre sur celle de la mort ou de l’immortalité : l’intelligence est-elle l’indice de l’existence d’une partie non organique de l’être humain, susceptible de vivre séparément de son corps ? Jean-Marie Vernier propose quatre preuves de cette immatérialité de la faculté rationnelle de l’homme, qui permet de fonder la possibilité de certains phénomènes encore peu explorés, comme les expériences de mort imminente.

La métaphysique aujourd’hui : critiques et perspectives

Après avoir souligné ces correspondances fécondes entre le cadre philosophique posé par Aristote et saint Thomas d’Aquin et les recherches de la science contemporaine, l’auteur revient à une démarche plus apologétique en considérant les principales critiques de la métaphysique classique. Ce sont ainsi tour à tour les objections de Kant, Nietzsche, Marx, Comte et les positivistes, Heidegger, qui sont recensées, présentées et critiquées. L’idée de cette partie est intéressante au-delà des réponses apportées aux pensées qui ont signé la mort de la métaphysique : en montrant comment chacune repose sur un ensemble de présupposés historiques – ou de préjugés – circonstanciels et parfois très personnels, Jean-Marie Vernier montre que ces critiques de la philosophia perennis sont souvent très liées à une époque donnée (donc datées), et qu’elles s’inscrivent dans une vision résolument historique de la philosophie, qui est plus considérée comme une histoire ou une généalogie de la pensée que comme une réelle recherche de la vérité.

Une cinquième partie présente la métaphysique dans le renouveau dont elle fait actuellement l’objet, dans les univers francophone et anglophone, au travers du développement de la philosophie analytique. Celle-ci reprend conscience de la capacité humaine de saisir l’être, se pensant ainsi comme une véritable sagesse, voire comme une théologie, apte à poser au bout du compte un discours rationnel sur Dieu. L’auteur donne un aperçu intéressant de ce renouveau encore trop peu connu de la pensée classique, tout en mentionnant ses limites.

 

On appréciera enfin cet ouvrage qui se présente véritablement comme une porte ouverte sur la métaphysique : outre les perspectives profondes mais nécessairement brèves qu’il donne sur la pensée classique, Jean-Marie Vernier propose pour chacun des thèmes abordés une bibliographie fournie et diversifiée, qui permettra à chacun de creuser les sujets qui suscitent son intérêt particulier.

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