En vous enfonçant dans votre fauteuil, bien installé devant l’écran, vous ne pensiez pas vous retrouver propulsé dans l’arène théologique des premiers grands conciles de l’histoire de l’Église. C’est pourtant à ce niveau que se situent les profondes questions soulevées par toute tentative cinématographique de mettre en scène les Évangiles, et en particulier la belle série américaine The Chosen, qui arrive en France depuis quelques mois.
Cliquer ici pour voir les épisodes de la série The Chosen – sous-titres français disponibles.
Lire la première partie de l’analyse de l’abbé Paul Roy: The Chosen (1/3) : Qui sont les élus ?
Lire la seconde partie de l’analyse de l’abbé Paul Roy : The Chosen (2/3) : une vraie série chrétienne
Représenter Jésus dans l’art n’est jamais sans poser de réelles questions d’ordre théologique. Ce qui était vrai pour les disciplines picturales (pensons à la sanglante querelle iconoclaste du premier millénaire) l’est encore bien plus lorsqu’il s’agit de figurer le Sauveur à l’écran : la forme cinématographique réduit de par sa nature le domaine de l’implicite et de la suggestion en montrant les situations, les personnages et les actions dans toutes leurs composantes – presque comme dans la réalité.
Le mode de l’Incarnation et ses conséquences
Comment se comportait Jésus extérieurement ? La question s’enracine profondément en théologie. L’Église a mis plusieurs siècles avant de parvenir à une définition précise du dogme de l’Incarnation, en lequel la deuxième Personne de la Trinité sainte assume une nature humaine, sans se départir de sa nature divine, sans séparation ni confusion des natures ainsi unies sur un mode particulier, sans exemple, appelé « union hypostatique », que l’on pourrait expliciter en « union dans la personne ». À chaque instant de sa vie terrestre Jésus est donc pleinement homme et pleinement Dieu, il a une nature humaine complète : corps et âme, intelligence et volonté, mais ne quitte pas la nature divine : pur esprit, intelligence et volonté.
Du fait de l’union, sa nature humaine est toujours dans la vision béatifique – celle des saints au paradis – tout en étant immergée dans la réalité humaine. Il a un mode de science acquis – le nôtre, un mode infus – il a le savoir dont il a besoin pour accomplir sa mission de salut, et un mode béatifique – la vision des élus. Correspondant à ces trois niveaux de connaissance, il a aussi trois modes de volonté. Ces précisions théologiques élaborées par des siècles de sagesse et de prière donnent un aperçu de la difficulté de représenter Jésus au cinéma. La question hypostatique se pose à chaque scène, tant il serait facile d’insister trop sur la nature humaine de Jésus (s’approchant de l’arianisme) ou sur sa nature divine (on irait vers les docètes). Lorsque Jésus parle, agit, guérit, le fait-il comme homme ou comme Dieu ? La question est aussi celle de la distance qu’il conserve avec ses contemporains et ses proches.
Comment mettre cela en image – The Chosen
Il semble que les producteurs de The Chosen aient pris la mesure du défi : le Jésus que campe Jonathan Roumie nous paraît assez juste. Si certaines familiarités (« salut Jésus, ça va ? ») surprennent, le Christ de la série conserve une certaine distance avec les autres personnages, marquée notamment dans le jeu de ceux qui l’entourent (Pierre, Jean…). Jésus est une figure incarnée, amicale, chaleureuse, humaine, mais qui conserve une réelle stature divine, que les autres protagonistes perçoivent directement et respectent.
La question se renouvelle toutefois à propos d’un autre personnage de la série : la personnalité de Marie est en effet si étroitement liée à celle de Jésus qu’il nous semble que la manière de représenter la mère du Christ doive nécessairement rejaillir sur la conception que l’on se fait de son Incarnation. Ce n’est pas un hasard si le concile d’Éphèse, en 431, fut celui qui condamna définitivement l’hérésie de Nestorius et confirma le dogme de l’union des natures assumée par l’unique personne du Verbe, et celui qui attribua solennellement à Marie le titre de « mère de Dieu » (Théotokos). Le personnage de Notre-Dame dans The Chosen nous semble pouvoir susciter plus de gène. S’il est un trait du caractère de la Vierge sainte que les évangiles nous permettent d’approcher, c’est son silence, sa propension à recevoir dans une profonde intériorité tous les événements comme venant de la part de Dieu. Cela nous semble bien confirmé par son attitude lors des grandes apparitions mariales reconnues par l’Église. Il est donc périlleux de donner la parole à Notre-Dame, car que mettre dans sa bouche ? Certaines scènes de la série peuvent nous gêner en ce qu’elles induisent de sa part une interprétation des paroles divines. Par ailleurs le court épisode produit à l’occasion de Noël (« The Shepherd »), avec toute sa beauté et son arrière-plan prophétique, présente un défaut majeur qui la concerne : suivant la tendance protestante à nier l’Immaculée Conception et souvent la virginité perpétuelle de Marie, elle est représentée à Bethléem souffrant des douleurs de l’accouchement. Or comment aurait-elle pu être frappée par ce que la Genèse nous présente comme une peine du premier péché, puisqu’elle en a été préservée par privilège divin !
Ces quelques considérations théologiques – auxquelles on aurait pu ajouter encore par exemple celle du mariage des apôtres, en lien avec le célibat sacerdotal – ne doivent pas nous écarter du beau travail produit par Dallas Jenkins et l’équipe de The Chosen, mais elles peuvent nous aider à approfondir notre méditation évangélique en portant sur les épisodes représentés dans la série un regard qui soit aussi plus théologique, enraciné dans la tradition de l’Église.