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“Le maquisard de Dieu”

"Le bon père Coudrin" : vitrail de la cathédrale d'Honolulu (Hawaï)
Le « ça ira » hurlé à tue-tête par une bande de Jacobins avinés avait accompagné son ordination sacerdotale, conférée dans la plus grande discrétion et à la barbe des ennemis de l’Église par un évêque réfractaire. Sa première bénédiction fut pour un des profanateurs repentant, qui se retrouvera bientôt à nouveau sur son chemin. Pierre Coudrin, enfant du Poitou, né le 1er mars 1768 à Coussay-les-Bois, fut une des nombreuses figures de prêtre qui illuminèrent les années noires de la Terreur. « Le maquisard de Dieu, » belle et classique biographie que lui consacra en son temps Guillaume Hünermann, récemment rééditée[1]Hünermann, Guillaume, Le maquisard de Dieu, Paris, Salvator, 2021 : https://editions-salvator.com/saints-et-temoins/2841-le-pere-coudrin-sous-la-terreur.html. 

Un prêtre dans les maquis

Maquisard, le père Coudrin le fut vraiment, à plus d’un sens du terme. Par ses origines d’abord, puisqu’il grandit dans les haies du bocage poitevin, en cette fin de XVIIIe siècle où ces campagnes françaises, gouvernées de loin par des élites déjà sécularisées, étaient encore animées d’une foi profonde. Ayant entendu l’appel de Dieu, le jeune Pierre se prépara au sacerdoce, mais sa marche vers les saints ordres fut interrompue par la Révolution, au moment où il allait recevoir le presbytérat. C’est comme diacre que Coudrin commença son ministère secret, assistant d’abord l’abbé Pruel, curé du village de Montbernage, à quelques encablures de Poitiers. Envoyé à Paris avec une recommandation de son vicaire général, Coudrin pu trouver un des rares évêques réfractaires qui n’avait pas quitté le territoire national ou été arrêté par les forces unies de la raison, de la liberté et du progrès. C’est lui qui l’ordonna au printemps 1792, dans la plus grande discrétion, dans les sous-sols du séminaire irlandais, soit au nez des ennemis jurés de la religion – les Jacobins – qui occupaient les lieux et passaient le temps en orgies consommées dans des vases sacrés. Ce ne sera pas la dernière fois qu’il sera « sauvé par le Bourgogne, » des beuveries citoyennes et républicaines. 

Prémices de sacerdoce en clandestinité

De retour sur ses terres, Coudrin célébra sa première messe à Coussay, le dimanche du Bon-Pasteur. La fête qui aurait dû suivre la cérémonie fut malheureusement abrégée par la menace d’une incursion de gardes nationaux. Ce premier incident annonçait ce que devait être la vie du jeune lévite pendant les premières années de son ministère. Coudrin doit quitter précipitamment son village et se cacher, dans une forêt profonde puis à proximité du château de la Motte d’Usseau. Il y reste inactif pendant cinq mois, dévoré par le désir de se lancer dans l’apostolat actif en dépit du danger, mais dissuadé par les avertissements des siens. C’est la lecture de la vie de ministère intrépide de saint Caprais, évêque d’Agen sous les persécutions romaines, malgré les dangers et les menaces, qui le décide finalement à quitter sa retraite et à commencer une vie de prêtre itinérant, apportant les secours de la religion aux nécessiteux, qui ne manquaient pas en cette terrible époque de disette matérielle et spirituelle. 

L’insaisissable maquisard de Dieu

Coudrin devient ainsi un insaisissable maquisard de Dieu, usant des déguisements les plus variés pour camoufler son identité, alors qu’il est recherché par les polices de la révolution et que sa tête est mise à prix à des sommes sans cesse augmentées. Il exercice son ministère en priorité auprès des villageois de Montbernage, qu’il avait fréquentés comme diacre, et qui lui offrent souvent refuge et protection contre les poursuites révolutionnaires. Il se dépense également sans compter dans la grande ville de Poitiers, apportant les secours de l’Église aux malades et aux mourants de l’hôpital ou des familles qui faisaient appel à lui. 

C’est tantôt en mendiant, surnommé « marche-à-terre », tantôt en maçon, en boulanger… que Coudrin se glisse à travers le maillage sans cesse resserré de la police révolutionnaire. Certains iront jusqu’à noter que le jeune prêtre, s’il était particulièrement doué pour se travestir en représentant de l’une ou l’autre profession, faisait parfois peu illusion lorsqu’il s’agissait d’exercer réellement tel ou tel métier… ses talents culinaires semblent notamment n’avoir pas été à la hauteur de l’emploi de marmiton qu’on lui fournit un temps dans une des bonnes familles de Poitiers. C’est parfois déguisé en colporteur de remèdes de bonne femme qu’il voyage, se faisant même indiquer par les gardes nationaux les maisons des malades à visiter en priorité. Il se déplace alors accompagné d’un jeune garçon de Montbernage, qui sera plus tard l’un des premiers à rejoindre sa jeune fondation. Invisible, changeant cesse d’identité, visiblement assisté par la sainte Providence, l’abbé Coudrin déjoue ainsi tous les pièges des officiers révolutionnaires, dont il devient une des cibles prioritaires. 

Officiel de la Convention ou barbier carcéral…

La même Providence tisse un lien mystérieux entre le jeune prêtre et Georges Baujean, membre du club des Jacobins, repenti et bouleversé par leur première rencontre la nuit même de son ordination, qu’il retrouve des mois plus tard en Poitou, mourant. Assisté par lui sur son lit de mort, Baujean lègue à Pierre Coudrin son uniforme de commandant de Hussards ainsi que les laisser-passer officiels attestant de sa mission spéciale au service de la Convention. C’est donc habillé en soldat de la République que Coudrin ira apporter les derniers secours spirituels à des confrères emprisonnés et trompés par la fourberie du procureur révolutionnaire. Renouvelant la ruse, Coudrin ira jusqu’à se faire passer pour le barbier de la garnison afin d’entendre la dernière confession d’un prêtre condamné à la guillotine. Lorsque des chrétiens sont menés à l’échafaud, ils savent bien souvent où tourner les yeux et ont la consolation de voir l’abbé Coudrin, d’un signe discret, leur donner la dernière absolution de leurs péchés. 

Célébrer la sainte messe et adorer les Saints Cœurs en réparation : de Poitiers à Picpus

Le jour où les réfractaires de la région se réunissent à Poitiers pour envisager l’arrêt ou la poursuite de la célébration de la messe et des sacrements, aux risques et périls des ministres et des fidèles, Coudrin prend une position courageuse et nette : « je continuerai à célébrer la sainte messe, sinon jeune saurais pas pourquoi j’ai été ordonné prêtre. »

Au cœur de la Terreur, le jeune ministre reçoit une inspiration divine qui peut paraître totalement hors de propos, et qui portera pourtant de nombreux fruits : il ressent le besoin de réunir une société d’âmes dévouées au sacrifice de soi et à la prière réparatrice. Ce désir est concomitant à sa rencontre avec Henriette Aymer de la Chevalerie et un groupe de femmes vivant de l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement au milieu de la tourmente révolutionnaire. Etabli d’abord secrètement à Poitiers, l’Institut des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie traverse avec ses fondateurs les heures terribles de la fin du XVIIIe siècle. Etabli au début des années 1800 à Picpus, sur le terrain d’une ancienne communauté religieuse où avaient été mis en terre de nombreux martyrs de la Révolution (parmi lesquels les carmélites de Compiègne), l’Institut est approuvé le 10 janvier 1817 par le pape. Son but est « d’entrer avec Jésus et comme Marie dans le projet du Père : sauver le monde par l’amour ». Fondant un collège et un séminaire, Coudrin accepte bientôt d’envoyer des missionnaires vers les terres les plus inhospitalières : l’Océanie puis la Polynésie. À sa mort, en 1837, la congrégation compte près de 1500 membres, pères, frères et sœurs. Parmi les fils spirituels du prêtre poitevin on trouvera le célèbre père Damien de Veuster[2]On lira avec autant de profit la belle biographie du P. Damien par Guillaume Hünermann, également rééditée : https://editions-salvator.com/saints-et-temoins/2840-le-pere-damien-de-veuster.html.

Références

Références
1 Hünermann, Guillaume, Le maquisard de Dieu, Paris, Salvator, 2021 : https://editions-salvator.com/saints-et-temoins/2841-le-pere-coudrin-sous-la-terreur.html
2 On lira avec autant de profit la belle biographie du P. Damien par Guillaume Hünermann, également rééditée : https://editions-salvator.com/saints-et-temoins/2840-le-pere-damien-de-veuster.html
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