L’apôtre Pierre aurait été crucifié dans un cirque situé en périphérie de la ville impériale, à l’emplacement actuel de la cité du Vatican, le 13 octobre 64 : essai de détermination précise de la date du martyre de Pierre.
Il est reconnu depuis toujours que Pierre a subi à Rome le martyre sous le règne de Néron, l’empereur profitant de la présence d’une forte communauté chrétienne dans la ville pour rejeter sur elle la culpabilité de l’incendie des quartiers populaires. L’événement funeste est rapporté par les grands historiens romains (Tacite en particulier, voir Annales XV, 44). La persécution qui suivit dura plusieurs années, et les chrétiens avaient traditionnellement retenu l’année 67 pour le martyre des apôtres Pierre et Paul. Bien que la date reste largement acceptée concernant saint Paul, la recherche contemporaine a eu tendance à avancer celle du martyre de saint Pierre à 64, l’année même de terrible incendie et du début des troubles contre les chrétiens. Les études de l’épigraphiste et archéologue Margherita Guarducci ont en particulier permis d’identifier avec une forte probabilité la période précise du martyre du prince des apôtres. En 1968 elle publiait ainsi un article proposant même d’en déterminer le mois et le jour[1]“La data del martirio di san Pietro”, in “La parola del passato : Rivista di studi antichi”, n°267, Naples, 1968.
les témoignages de Clément et Tacite
La meilleure source d’information concernant le martyre de saint Pierre est la Prima Clementis, première des deux épîtres adressées par le troisième successeur de Pierre aux Corinthiens, aux alentours de 96 après Jésus-Christ. Ce témoignage consonne profondément avec le récit par Tacite de l’incendie de Rome, qui permet de dater l’événement de la nuit du 18 au 19 juillet 64. On en retire le fait que Pierre semble avoir été martyrisé dans la vague de persécutions qui suivit immédiatement l’incendie, dans les « jardins » du Vatican. Ces témoignages sont hautement crédibles, en particulier du fait de la qualité de l’information de Tacite, historien avisé qui consultait et utilisait des documents de première main : les procès-verbaux des sessions du Sénat romain (Acta senatus) et le journal officiel de l’Empire (Acta diurna). Il décrit la « multitude immense » des chrétiens, condamnés à mort en raison de leur « haine contre le genre humain », soit contre l’Empire lui-même. Cette accusation revenait à en faire des ennemis de l’intérieur, une cinquième colonne à éradiquer au plus vite. Les exécutions eurent lieu au cours de jeux du cirque à l’occasion desquels Néron avait ouvert ses « jardins » et son propre cirque du Vatican. Après l’incendie, ce lieu était probablement le seul disponible pour accueillir cet horrible spectacle. Le cirque Maxime, où se déroulaient habituellement les jeux, était hors de service, justement en raison de l’incendie. Tacite note que Néron lui-même honora de sa présence les jeux du Vatican, se mêlant à la foule comme spectateur, voire au spectacle offert sur la piste, comme aurige. Les festivités s’étendaient sur plusieurs jours : reste à déterminer la période à laquelle elles furent tenues.
Tacite les place sans hésiter en octobre de l’année 64. Si l’on examine les événements qu’il énumère entre l’incendie du 18 et 19 juillet et la fin de cette année, on peut situer les jeux du Vatican dans la première moitié d’octobre. Par ailleurs, il ne paraît pas envisageable qu’une seconde persécution anti-chrétienne, d’ampleur comparable, ait pu trouver sa place parmi les dernières années du règne de Néron, qui mourut en juin 68, en particulier puisqu’il voyagea en Grèce à partir de septembre 66 et jusqu’au début de 68.
Deux apocryphes
On dispose en outre du témoignage de deux apocryphes, l’Apocalypse de Pierre, qui daterait du IIème siècle et trouverait son origine en Egypte, mais ne fut redécouvert qu’au XIXème siècle, et l’Ascension d’Isaïe, apocryphe syrien du début du IIème siècle. Les auteurs des deux écrits, anonymes, mettent en lien des annonces prophétiques avec leurs réalisations dans les événements de leur temps. Après avoir mentionné les infamies de Néron, ils annoncent son châtiment comme imminent. L’Apocalypse de Pierre note que le martyre de l’apôtre marque le début de la chute de l’empereur. Sa déclaration est reprise dans l’Ascension d’Isaïe, qui compte avec précision les jours du règne de Néron après la mort de Pierre : 3 ans, 7 mois et 27 jours. Si l’on reprend le calcul à partir de la mort de Néron, le 9 juin 68, on tombe bien sur octobre de l’année 64, le 13 du mois. La date coïncide précisément avec la période où nous avons placé le début de la persécution de Néron et les jeux tenus dans les « jardins » du Vatican.
Une confirmation frappante : le dies imperii
Autre confirmation avec le dies imperii (date officielle de début de règne) de Néron : le 13 octobre était justement ce jour particulier, anniversaire de son accession au trône, anniversaire particulier en ce qu’il s’agissait du dixième, les decennalia, sorte de jubilé impérial, qu’il convenait de célébrer de manière solennelle. Les sources montrent que ces occasions étaient souvent rehaussées par des rites religieux, des jeux, des dons publics de l’empereur au peuple romain. On y retrouvait en particulier des sacrifices sanglants, la croyance ancienne liant le sang versé en offrande aux dieux aux bienfaits accordés par ceux-ci aux vivants. À Rome les fêtes les plus importantes : dies natalis de l’empereur et dies imperii, coïncidaient ainsi souvent avec des spectacles sanglants : combats de gladiateurs, expositions de prisonniers, sacrifices de condamnés juifs ou chrétiens. Des juifs d’Alexandrie furent ainsi immolés au dies natalis de Caligula, le martyre de saint Polycarpe coïncidera plus tard avec le dies natalis d’Antonin le Pieux, la mise à mort des chrétiens de Lyon avec celui de Marc-Aurèle. Au vu de la personnalité de Néron, on peut raisonnablement imaginer qu’il ait promu à l’occasion de ses decennalia de tels spectacles sanglants, exaltant ainsi sa propre personne et la majesté de l’Empire, en faisant solennellement mettre à mort ses ennemis.
Faut-il fêter saint Pierre le 13 octobre ?
La convergence de ces témoignages, issus de sources diverses quant à leur type (archéologique, épigraphique) permet ainsi de formuler avec une haute probabilité l’hypothèse d’une datation précoce du martyre de saint Pierre, dès l’an 64. La belle coïncidence des témoignages qui pourraient désigner le mois d’octobre, et en particulier le 13, comme date précise de sa naissance au ciel ont conduit Margherita Guarducci à proposer cette identification intéressante. Faut-il en conclure qu’il ne reste plus qu’à déplacer la célébration liturgique des saints apôtres ? Heureusement l’usage de l’Église est d’user en la matière de prudence et de circonspection. En l’occurrence la tradition a voulu fêter ensemble les apôtres Pierre et Paul, colonnes et fondations de l’Église, le 29 juin.