Vous est-il déjà arrivé de croiser un ami dans le métro sur un trajet inhabituel ? De découvrir que la personne avec qui vous travaillez est en fait un lointain cousin, ou que vos voisins de vacances sont les meilleurs amis de votre (future) belle famille ? Des coïncidences, des effets liés aux hasard, des rencontres providentielles qui vous ont fait dire : « c’est fou ce que le monde est petit » ? Oui, le monde est plein de ces liens entre les hommes, de ces points communs imprévus.
Avec un peu de bonne volonté, il est même possible de faire des liens dans le temps ! Un exemple : quel est le point commun entre le défunt roi Louis XVI, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, et les Dei Amoris Cantores (le chœur de musique sacrée) ? C’est simple : chacun a un rapport avec celle que l’Église fête aujourd’hui : sainte Agnès.
De Sainte Agnès à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : le choix de Dieu dès l’enfance
Si vous pensez que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus était une précoce virtuose de l’amour du Bon Dieu, que direz-vous de sainte Agnès ? Il est vrai que la petite sainte de Lisieux parvint à entrer au Carmel dès l’âge de quinze ans. Elle y vécut neuf années de vie religieuse dans le silence, la prière, la simplicité, l’abandon comme victime à l’Amour infini et miséricordieux du Bon Dieu. Elle « entra dans la Vie », selon sa formule pour désigner la mort, dans sa vingt-quatrième année, après une course de géant sur le chemin de la sainteté qui lui valut l’appellation de « plus grande sainte des temps modernes » (saint Pie X).
De son côté, sainte Agnès est une sainte enfant. Elle vécu à la fin du troisième siècle, et rendit son âme à Dieu dans sa treizième année : presque deux fois plus jeune que sainte Thérèse ! Pourtant toutes deux partagent le choix de vie radical : le choix de Dieu comme unique époux, à travers la virginité. Ce qui explique sans doute la vénération de la jeune sainte moderne pour celle de l’Antiquité !
Un cœur pris
Sainte Agnès naquit dans une famille romaine aisée et chrétienne, et était, dit-on, d’une incroyable beauté. Alors qu’elle n’avait que treize ans, un jeune romain la demanda en mariage à ses parents, puis il s’adressa directement à la jeune fille. Mais il arrivait trop tard : le cœur de d’Agnès était déjà pris, déjà donné, déjà dévoué à un autre : il était déjà possession de Jésus ! Elle le rappela à son ultime instant, avant de se faire tuer par un bourreau hésitant : « la fiancée fait injure à l’Époux si elle désire plaire à d’autres. Celui-là m’aura seul, qui, le premier, m’a choisie ». Procope, prétendant malchanceux, l’interrogea sur celui qui avait ravi son cœur, et Agnès de louer tellement sa noblesse, sa beauté, sa sagesse, sa richesse, sa bonté, sa puissance, que l’éconduit en tomba malade de jalousie : comment un homme pourrait-il avoir tout cela au point que lui, Procope, paraisse insignifiant ? Oui, Agnès était folle amoureuse, mais de qui ? Et comment rivaliser ?
Incapable de répondre à ces questions, le cœur à vif, Procope tomba tellement malade que son père, Symphrone, préfet de Rome, vint lui-même auprès d’Agnès faire l’apologie des qualités et talents de son fils. Mais la jeune enfant demeurait inflexible : elle ne pouvait donner un cœur qui ne lui appartenait plus. Quel était cet autre, meilleur que son fils, qui détenait la clef de son cœur ? Agnès refusait de dévoiler son nom.
Dénonciation coûteuse
Jusqu’ici, tout allait (encore) bien. Certes, Symphrone n’appréciait pas le refus d’Agnès, et ne comprenait pas son refus de révéler qui elle aimait. Pourtant son fils serait le meilleur parti possible, tant pour ses biens économiques que pour ses relations haut placées ! Intervint alors une dénonciation : Agnès était chrétienne. Elle n’adorait pas le panthéon des dieux, mais un seul Dieu et Seigneur. Aucun homme n’était plus riche, plus noble, plus puissant que Procope : seul Jésus-Christ pouvait correspondre à cette définition. Est-ce qu’Agnès refuserait le mariage pour vouer sa virginité à Dieu ? Refuser un beau parti n’est pas un crime, mais refuser d’adorer les dieux en était un, en ce début de quatrième siècle.
L’homme Procope ou la déesse Vesta ?
Symphrone mit donc Agnès devant une alternative : mariage ou virginité ? La première solution entraînerait le mariage avec Procope, la seconde la forcerait à devenir vestale, prêtresse de la Rome antique, vierge consacrée aux idoles et faux dieux. Aucune solution ne convenait à sainte Agnès, en refusant l’un et l’autre elle commettait un crime contre la sécurité de l’État, et devenait passible de châtiments allant jusqu’à la mort. Pour venger son fils, Symphrone condamna Agnès à être menée dans un lieu de débauche, où les clients pourraient venir abuser d’elle. Et parmi ces clients, il y aurait Procope !
Le prénom Agnès vient du grec Ἁγνή, mot qui signifie « pure, saint ». La jeune fille ayant fait don de son cœur au Bon Dieu, Celui-ci ne permis pas que son corps soit souillé : il envoya un ange pour protéger Agnès, la rassurer, éloigner les hommes impudiques, la préserver de toute atteinte extérieure. Ainsi, la pureté même de son corps fut miraculeusement protégée. En souvenir de cet événement, le jour de la sainte Agnès, le pape bénit deux agneaux d’une blancheur immaculée, dont la laine servira à faire les palliums, ornement liturgique qu’il offre aux nouveaux archevêques, primats et métropolitains.
De sainte Agnès à Louis XVI : une union des morts ?
Toutefois la rumeur allait grandissant : Agnès était chrétienne. Or nous sommes au début de l’année 304, sous le règne de l’empereur Dioclétien, en pleine période de persécution anti-chrétienne : songez à sainte Cécile et à sainte Anastasie, qui furent elles aussi couronnées de la double palme du martyre et de la virginité, quelques jours auparavant, à la fin de l’année 303. Un même sort fut réservé à sainte Agnès : elle fut condamnée à mourir par le feu. Mais là encore, une mystérieuse protection la délivra des flammes. Ordre fut finalement donné de décapiter la jeune fille de treize ans. Voilà Agnès prise entre des juges iniques et vindicatifs, et un bourreau qui hésite à porter le coup fatal à une enfant : elle est la plus calme, sereine : elle sait, elle, que vivre avec le Christ, c’est vivre pour toujours, quelles que soient les épreuves et obstacles dans cette vie. C’est finalement la gorge tranchée par le bourreau qu’elle quitte ce monde pour rejoindre la Patrie céleste, le 21 janvier 304. 1489 ans plus tard, à Paris, c’est au tour du roi de France de rendre son âme à Dieu. Louis XVI meurt le jour de la sainte Agnès, il meurt en chrétien, il meurt sous le couperet de la guillotine. Simple hasard? Signe de sainteté ? Nous le saurons au Ciel !
De sainte Agnès aux DAC : chanter les merveilles de Dieu !
Il reste un lien dont nous n’avons pas parlé : celui entre sainte Agnès et des Dei Amoris Cantores, ou DAC. Ceux-ci ont mis en musique les paroles de sainte Agnès, dans un morceau simplement intitulé Les répons de sainte Agnès. La musique est des DAC, en revanche le texte est directement repris chez… sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ! Elle même avait déjà composé un chant pour pouvoir plus aisément réciter ces belles pensées de sainte Agnès. Et sa source, c’est la liturgie de l’Église elle-même : c’est à partir des répons, sorte de refrain qui ponctuent les leçons de matines dans l’Office divin, que la sainte de Lisieux a composé son texte. Ce que la liturgie propose directement au clergé et aux religieux, sainte Thérèse le propose sous forme de poème, et les DAC le mettent en musique !
Les répons de sainte Agnès
Voici ce texte, reflet des paroles, de l’esprit, de l’âme de sainte Agnès, d’une petite jeune fille de treize ans qui est un modèle de pureté, une alliée à invoquer pour nous donner tout à Dieu !
« 1. Le Christ est mon Amour, Il est toute ma vie,
Il est le Fiancé qui seul ravit mes yeux
Aussi j’entends déjà de sa douce harmonie
Les sons mélodieux.
- Il a paré ma main de perles sans pareilles,
Il a paré mon cou de colliers d’un grand prix
Les riches diamants qu’on voit à mes oreilles
Sont un présent du Christ.
- Il m’a toute parée de pierres précieuses,
Déjà brille à mon doigt son anneau nuptial.
Il a daigné couvrir de perles lumineuses
Mon manteau virginal.
- Je suis la fiancée de Celui que les anges
Serviront en tremblant toute l’éternité.
La lune et le soleil racontent ses louanges
Admirent sa beauté.
- Son empire est le Ciel, sa nature est divine ;
La Vierge Immaculée pour Mère Il se choisit,
Son Père est le vrai Dieu qui n’a pas d’origine,
Il est un pur Esprit….
- Lorsque j’aime le Christ et lorsque je le touche
Mon cœur devient plus pur, je suis plus chaste encor.
De la virginité le baiser de sa bouche
M’a donné le trésor.
- Il a déjà posé son signe sur ma face
Afin que nul amant n’ose approcher de moi
Je me sens soutenue par la divine grâce
De mon Aimable Roi.
- De son sang précieux mes joues sont colorées
Je crois goûter déjà les délices du Ciel
Car je puis recueillir sur ses lèvres sacrées
Et le lait et le miel.
- Aussi je ne crains rien, ni le fer ni la flamme
Non, rien ne peut troubler mon ineffable paix
Et le feu de l’amour qui consume mon âme
Ne s’éteindra jamais !…. »
(Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, Les répons de sainte Agnès, PN 26).