Une enquête définitive sur le Saint Suaire ? Le titre accroche l’œil ces dernières semaines dans les bonnes librairies. Qu’apporte de nouveau l’ouvrage de Jean-Christian Petitfils ?
Jean-Christian Petitfils, historien et écrivain, auteur de biographies reconnues de plusieurs rois de France (les Bourbon en particulier), s’est distingué depuis quelques années par un certain nombre d’ouvrages sur le Christ. Après son Jésus (Fayard, 2011) et son Dictionnaire amoureux de Jésus (Plon, 2015), il vient de publier Le Saint Suaire de Turin, Témoin de la Passion de Jésus-Christ (Tallandier, 2022).
L’ouvrage se trouve en tête de gondole dans le rayon religieux de nombreuses librairies et porte un bandeau annonçant une « enquête définitive ». La formule accrocheuse pourra sembler excessive aux plus avertis, puisque les recherches sur la mystérieuse relique du drap mortuaire du Christ, celui qu’on appelle communément le « Saint Suaire de Turin », évoluent et progressent très rapidement. L’ouvrage de Jean-Christian Petitfils offre pourtant une synthèse claire et complète de l’état des études sur le linceul, tout en ajoutant un regard et des données originales sur certains points d’ombre, notamment en ce qui concerne l’histoire de l’objet et celle de la controverse quant à son authenticité.
Le travail de Jean-Christian Petitfils est divisé en trois grandes parties. Il reprend dans un premier temps l’histoire de la relique, afin de montrer comment la connaissance que nous avons de son parcours, malgré certains points d’ombre, apporte une haute certitude à la conviction de son authenticité. Dans une deuxième partie – « Que dit la science ? » il retrace l’évolution des recherches effectuées sur le linceul, jusqu’à présenter l’état actuel des débats, et mentionne ainsi les trésors d’informations contenus sur ce grand drap de lin brun : taches de sang, traces du corps, pollens, constitution du tissu, présence ou non de pigments… Dans une troisième partie – « Témoin de la Passion et de la Résurrection », l’auteur réunit les données apportées par la recherche expérimentale et en tire un aperçu heure par heure de la Passion, une véritable méditation des instants ultimes du sacrifice du Christ, selon les données physiques et médicales contenues sur le Saint Suaire.
L’apport de cet ouvrage est double selon nous. Il présente en premier lieu une synthèse efficace, bien informée et organisée, des données relatives au Saint Suaire. Il permet ainsi de prendre connaissance de l’état de la recherche effectuée sur la relique et des débats qu’elle a suscités, et récapitule les principaux arguments en faveur de son authenticité. On se référera ainsi avec profit à ce livre pour contempler ce précieux document, témoin des instants où s’opéra notre salut, comme pour se remettre en mémoire les principaux arguments qui font du linceul du Christ un formidable outil apologétique, un défi jeté par Dieu à la science humaine et à l’incrédulité contemporaine.
Mais le travail de Jean-Christian Petitfils nous semble plus particulièrement novateur en ce qu’il doit au talent d’historien de l’auteur, qui s’était déjà illustré dans ses principales biographies par la dextérité avec laquelle il sait présenter les énigmes encore non-élucidés de notre histoire, et mener à plusieurs siècles de distance l’enquête, pour dirimer l’affaire du collier ou mettre en lumière le mystérieux complot commanditaire de Ravaillac. Il identifie ainsi dans l’histoire du linceul deux zones d’ombre, sur lesquelles il s’efforce de jeter un certain éclairage. La première est la plus épineuse et la plus floue : il s’agit de l’origine même de la relique et des premiers siècles de son histoire. Entre les légendes (la fameuse histoire d’Abgar, roi d’Osrhoène qui aurait écrit une lettre à Jésus et en aurait reçu en réponse le Suaire) et les quelques traces d’apparition de la relique en Orient, l’auteur s’efforce de reconstruire le parcours qui aurait pu être le sien, de Jérusalem à Edesse, puis à Constantinople, où sa présence est attestée avec certitude au Xe siècle (l’homélie prononcée le 16 août 944 pour sa translation solennelle dans la capitale impériale est pleine de détails qui permettent une identification presque sûre) et plus encore au milieu du XIIe (le témoin irréfutable en est la double miniature du Codex Pray, dont les détails correspondent parfaitement au tissu – jusqu’aux trous laissés par diverses brûlures).
L’enquête reprend lorsque la trace du Suaire s’estompe à nouveau, dans le chaos du sac de Constantinople par les croisés en 1204. Pour cette période où les données historiques sont plus nombreuses mais parfois contradictoires, Jean-Christian Petitfils mène avec brio une enquête où paraît tout son talent d’historien : il expose les principales thèses avancées jusque-là avec leurs objections majeures, mentionne les explications plus farfelues esquissées par certains, puis apporte de nouvelles preuves qui lui semblent permettre de dessiner un parcours crédible du Suaire, de Constantinople à Lirey, petit village de Champagne où il réapparaît au milieu du XIVe siècle. Le passionnant voyage dans lequel il nous emmène fait croiser les pas de saint Louis marchant nu-pieds à la rencontre des saintes reliques de la Passion arrivant de Byzance, ou celles de Philippe VI, roi malheureux d’une France embarquée dans la Guerre de Cent ans.
Outre l’intérêt historique et presque romanesque de ces enquêtes, elles viennent conforter l’authenticité de la relique, dont la traçabilité historique est considérablement renforcée. L’identification à coup sûr du linceul de Turin avec le drap mortuaire représenté vers 1170 sur le Codex Pray est un premier argument majeur contre la datation controversée établie à la fin des années 1980 par le Carbone 14, qui voulait faire correspondre l’origine du Suaire avec son arrivée en Champagne, vers la seconde moitié du XIVe siècle.
Après ces enquêtes qui nous plongent dans les méandres de la grande histoire, Jean-Christian Petitfils prend le temps, dans la seconde partie de l’ouvrage, de détailler les grandes étapes de la recherche scientifique sur le linceul, depuis la première photographie réalisée par l’italien Secundo Pia jusqu’aux dernières hypothèses considérées (il apporte ainsi des données très récentes sur l’étude des possibles traces de pièces de monnaie posées sur le yeux du Christ, ou encore sur les écritures grecques semblant apparaître de part et d’autre de son visage). Il reprend son costume d’enquêteur lorsqu’il s’agit de débrouiller la controverse autour de la datation au Carbone 14, dont il montre clairement les enjeux et les zones d’ombre, offrant ainsi une explication possible pour son surprenant résultat.
Plus qu’une enquête définitive, cet ouvrage est une porte ouverte sur le mystère du Christ, que Dieu nous donne à contempler à travers cette relique qu’il a voulu nous léguer de sa Passion et sa Résurrection. L’impressionnante somme de données apportées par l’auteur, comme les questions demeurant irrésolues et qu’il ne manque pas de soulever, sont une invitation à chercher sur le Suaire le visage de Jésus, et à admirer comment la Providence vient appeler le monde du XXIe siècle, dans son rationalisme et son scientisme effrénés, à la foi en la folie d’amour de la croix.