Le prêtre a quitté la sacristie, revêtu des ornements sacrés, après avoir imploré la miséricorde divine au pied de l’autel, il monte les degrés du sanctuaire et embrasse la pierre consacrée.
Ces articles sont extraits d’une série plus large publiée par le père Emmanuel-Marie André, du Mesnil-Saint-Loup, dans le Bulletin de Notre-Dame de la Sainte Espérance (numéros de mars 1880 à février 1881).
Retrouvez ici tous les articles de la série (sept commentaires de la liturgie de la messe).
Le baisement de l’autel et les encensements
Après quelques prières préliminaires qui sont d’institution récente, le prêtre monte à l’autel, et commence par en baiser la pierre. Cette action, qu’il renouvelle six fois durant la messe, est très digne d’attention.
Par ce baiser, le prêtre se met en communion avec les reliques des martyrs et des saints placées sous la pierre de l’autel, et surtout avec Notre Seigneur que cette pierre représente.
Saint Jean, dans son Apocalypse, vit le ciel ouvert, et au milieu du ciel un autel, et sous l’autel les âmes des martyrs. Par cet autel les interprètes entendent l’humanité glorifiée du Fils de Dieu. De même dans nos églises, il y a un autel, et sous cet autel, les reliques des martyrs ; et cet autel représente Notre Seigneur. Altare Christus est, s’écrie la grande voix de la liturgie ; l’autel, c’est Jésus-Christ[1]Pontifical Romain, Ordination des sous-diacres.
Conformément à cette notion fondamentale, l’Église n’épargne rien pour marquer les autels des propres caractères de Notre Seigneur. Elle veut qu’ils soient en pierre, ou du moins qu’il y ait au milieu une pierre consacrée, parce que Notre Seigneur s’est appelé lui-même la pierre angulaire. Dans la pierre de l’autel, elle grave cinq croix, une au milieu, quatre aux extrémités, en mémoire des cinq plaies du Sauveur. Enfin, elle baptise les autels, les couvre d’onctions, y allume de l’encens pour les consacrer. Elle les traite en un mot comme la personne même de son divin époux. Altare Christus est.
Elle va même plus loin. Avec sa merveilleuse puissance d’idéaliser toutes choses, elle voit dans les nappes d’autel, dans les corporaux, une image des fidèles qui forment le précieux vêtement de Jésus, selon cette parole du psalmiste : le Seigneur a régné, il s’est revêtu d’un vêtement magnifique[2]Pontifical Romain, Ordination des sous-diacres.
Grâce à ces données liturgiques, on comprend avec quel saint respect le prêtre doit baiser l’autel. Par ce baiser il entre en communion avec la source vive de toute sainteté, et c’est là son premier acte.
Cherchons à approfondir cet acte. Le prêtre représente Notre Seigneur ; l’autel le représente également : pourquoi le prêtre baise-t-il l’autel ? Si nous ne nous trompons pas, c’est que l’autel représente Notre Seigneur sous un rapport spécial, comme victime de Dieu, comme origine et substance du sacrifice qui va s’accomplir. Le prêtre baise l’autel, pour marquer sensiblement que, dans ce sacrifice, le prêtre et la victime, c’est tout un.
Le sacrifice de la messe est basé sur le sacrifice de la croix : c’est la même victime sous une autre forme. On peut considérer l’immolation sanglante du calvaire comme un modèle, la sainte messe comme une copie rigoureusement exacte. Or, un même modèle peut donner lieu à d’innombrables copies ; un même sceau peut laisser d’innombrables empreintes. De même Notre Seigneur, absolument un et immuable en lui-même, se multiplie indéfiniment sur nos autels ; il ne change pas et il se reproduit à tous moments. L’autel de pierre le représente précisément en cet état : immuable en lui-même, et source intarissable d’un sacrifice sans cesse renouvelé. Et quand le prêtre baise l’autel, c’est comme s’il voulait puiser en Notre Seigneur la grâce de parfaire le saint sacrifice par la vertu qui émane de lui.
Dans les messes plus solennelles, le prêtre ne se contente pas de baiser l’autel, il le couvre de nuages d’encens. Saint Jean, dans son Apocalypse, vit les encensements du ciel. « Un ange vint et se tint devant l’autel avec un encensoir d’or ; on lui donna de l’encens en grande quantité, afin qu’il répandît les prières des saints sur l’autel d’or qui est devant le trône de Dieu. Et la fumée de l’encens formée des prières des saints monta de la main de l’ange devant Dieu. » (Ap 8, 3-4) Ainsi l’encens, parce qu’il est d’une agréable odeur, parce qu’il est enflammé, parce qu’il monte en haut, est-il le symbole de la prière. Les nuages d’encens désignent les prières, les adorations des fidèles ; il faut qu’elles se répandent sur l’autel, qu’elles s’unissent à Jésus immolé, qu’elles montent de la main du prêtre qui est le représentant de Jésus, pour être agréables à Dieu et exaucées de Dieu !
La préparation au sacrifice : les chants de l’Église
Il y a dans la sainte messe une période préparatoire qui s’étend depuis l’introït jusqu’à l’offertoire. Nous y remarquons trois choses : des chants, une prière commune, un enseignement.
Pour unir l’homme à Dieu, l’homme si enclin, depuis le péché, à se complaire dans les objets sensibles, l’Église le prend, pour ainsi dire, par les sens. Elle frappe ses yeux par la beauté des cérémonies ; elle répand les parfums de l’encens, mais surtout elle emploie l’harmonie des chants sacrés.
En agissant ainsi, elle ne sacrifie pas le côté intérieur du culte à une vaine pompe ; c’est pour s’adapter à la nature de l’homme qu’elle revêt le culte intérieur d’un appareil sensible ; et, par ce vêtement, elle le sauvegarde. Cela est si vrai que le concile de Trente a cru devoir défendre contre le protestantisme, par un décret exprès, l’usage des flambeaux, de l’encens, des vêtement sacrés, et en général toutes les cérémonies qui composent la sainte messe. Il recommande toutes ces choses comme provenant de la tradition apostolique, comme très propres à inspirer du respect pour les mystères du culte, et à élever les âmes à la contemplation des réalités invisibles qui en forment le fond. Le protestantisme, au contraire, en supprimant toutes ces démonstrations innocentes, desséchait le culte, et travaillait à en éloigner le peuple.
Considérez par exemple le chant. Quelle puissance n’exerce-t-il pas sur le cœur de l’homme ? Expression de l’amour, il provoque à aimer. Est-ce que l’Église ne tournera pas au bien cette formidable puissance ? Est-ce que le chant ne lui servira pas à exprimer les transports de l’amour divin ? Assurément si. Elle chantera, et, en chantant, elle fera aimer Dieu. Et, pour cela, elle aura des chants à elle, des mélodies à elle, qui ne ressembleront pas aux chants et aux mélodies de l’amour profane.
Saint Augustin remarquait que les bateliers africains avaient un chant qui leur était propre, pour cadencer le mouvement de leurs rames. Ainsi les chants graves et religieux, qui retentissent au commencement de la messe, règlent-ils et modèrent-ils les affections des âmes, en leur imprimant un même élan vers les choses divines.
La modulation de ces hymnes dispose harmonieusement les puissances de notre âme pour la prochaine célébration des mystères ; elle les accorde entre elles, accorde toutes les âmes ensemble, en les mettant toutes à l’unisson des choses divines, en les soumettant comme en cadence au doux et unanime entraînement d’un divin transport[3]Denys l’Aréopagite, Hiérarchies ecclésiastiques, III, 5.
En outre, le chant, dans la pensée de l’Église, emporte avec lui un commencement d’instruction : si on chante tout d’abord des versets de psaumes, c’est, d’après saint Denis, parce que les psaumes sont un abrégé mystérieux des Écritures, et présentent un tableau raccourci du symbole, tout en produisant dans l’âme de saints mouvements.
Enfin, les chants de l’Église sont merveilleusement variés, et ont chacun leur caractère propre que le peuple saisit sans effort. Tantôt le prêtre qui officie chante seul, tantôt il entonne et le peuple continue, tantôt il laisse le peuple chanter. Tout cela, suivant saint Thomas d’Aquin, a sa raison d’être : si, par exemple, le prêtre entonne le Gloria in excelsis, c’est que cette hymne étant une révélation de la gloire du ciel, il appartient au prêtre, comme au dispensateur des choses célestes, d’en faire retentir les premiers sons.
En résumé, l’Église cherche à imiter dans ses chants la céleste Jérusalem. Saint Jean, qui la vit s’ouvrir à ses yeux mortels, y entendit résonner le cantique nouveau : c’était, dit-il, comme le bruit du tonnerre, comme la voix des grandes eaux, comme le concert des joueurs de harpe (Ap 14, 2). Ce cantique nouveau est le cantique de l’amour divin ; il commence ici-bas, mêlé de gémissements : au ciel, c’est l’éternel Alleluia.
Retrouvez en un grand détail les gestes et paroles de cette partie de la messe avec la vidéo produite par la Fraternité Saint-Pierre pour l’apprentissage du rit traditionnel.