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Charette : les paradoxes de la guerre juste

« Vaincre ou mourir », la belle production de Puy du Fou films, aujourd’hui disponible dans les cinémas de France et de Navarre, présente la figure fougueuse et complexe de François-Athanase de Charette, officier de marine de l’ancien régime, hobereau vendéen et général chouan.

Une des réussites du film, soulignée dans notre récente critique est qu’il dresse de Charette un portrait complet. « Vaincre ou mourir » n’est pas une hagiographie, le général n’y apparaît pas précisément comme un saint, mais comme un homme pris dans le tourbillon d’une époque terrible. À travers ses faiblesses et ses combats apparaissent les paradoxes du concept de la guerre juste.

Qu’est-ce que la guerre juste ?

Nous avions présenté il y a près d’un an la théorie catholique de la guerre juste, selon saint Thomas d’Aquin. Dans son traité de la charité, le docteur pose trois conditions pour qu’une guerre puisse être justement menée : qu’elle soit faite par une autorité souveraine, agissant en vue du bien commun (1) ; qu’elle soit déclarée ou conduite pour une juste cause – ce qui renvoie à la notion de légitime défense (2) ; qu’elle soit menée avec une intention droite, pour promouvoir le bien et écarter un mal, empêcher une injuste agression (3).

La révolte de la Vendée était-elle juste ?

Peut-on évaluer les guerres de Vendée à l’aune de cette doctrine ? Cela ne semble pas évident au premier abord. Les conditions (2) et (3) semblent en effet assez facilement vérifiées, mais il n’en va pas de même de la première. Il apparaît bien effet que les Vendéens eurent à se défendre contre une agression particulièrement injuste, employant des méthodes d’une violence rare. Leur lutte ne fut pas menée avec des vues d’enrichissement ou de domination mais simplement de survie, de maintien dans des conditions d’existence acceptables, de défense des valeurs fondamentales de leur société. Toutefois, la question du déclenchement de la révolte vendéenne est plus épineuse : quel a été le ressort du soulèvement, et quels en ont été les acteurs ? La conscription décrétée par la Convention pour défendre la jeune République contre les menaces des voisins impériaux constitue-t-elle une agression injuste à l’égard des populations ? Ne faudrait-il pas plutôt considérer que l’État faisait usage de son droit souverain en demandant à ses sujets, en vertu de leur devoir de contribuer au bien commun, de se ranger sous ses drapeaux pour défendre le pays ? Quant aux meneurs de la révolte, ils ont agi assez spontanément, venant des différentes couches de la société, mais aucun ne pouvait se targuer d’être investi d’une quelconque autorité légitime.

Le soulèvement vendéen serait-il injuste, la République aurait-elle été dans son droit en matant dans le sang la révolte des chouans ? Il faut cependant élargir notre horizon pour parvenir à un point de vue plus complet. Un conflit interne ne rentre certes pas parfaitement dans le cadre de la doctrine thomiste et catholique de la guerre juste. On peut toutefois changer d’angle de vue et considérer que l’action des Vendéens a trouvé son cadre dans le contexte d’une période d’instabilité et de guerre civile dont les chouans n’étaient pas la cause – au contraire. Plutôt que de les voir comme des guérilléros fanatiques, adversaires d’un ordre légitimement établi et du bien commun de la nation, il faudrait dès lors voir dans les soldats de l’Armée catholique et royale les défenseurs d’un socle de valeurs multiséculaire, mis à mal par la Révolution. Les Vendéens ne se battaient pas pour eux-mêmes, même si leurs fermes, leurs champs, leurs femmes et leurs enfants n’étaient pas absents de leurs préoccupations immédiates, mais « pour Dieu et pour le roi. » Plutôt que de considérer la chouannerie comme une injuste agression par un ennemi de l’intérieur, on replace alors la lutte entre Bleus et Blancs dans le cadre d’une véritable et terrible guerre civile, dont la responsabilité et la cruauté est certainement imputable aux premiers.

C’est à notre avis dans ce cadre que l’on peut replacer le conflit vendéen pour lui appliquer le concept de la guerre juste, en n’oubliant pas qu’il ne s’y conforme pas parfaitement, notamment car les adversaires en présence n’y sont pas des acteurs étatiques de même rang. Pour éclairer ce cas particulier, il pourrait être intéressant de s’intéresser aux conditions dans lesquelles saint Thomas d’Aquin, dans son De Regno, bref traité de politique destiné à un jeune roi de Chypre, considère la possibilité du tyrannicide, c’est à dire plus généralement de la rébellion contre un ordre injuste.

Charette et la guerre juste

Si l’on admet que la guerre des Vendéens puisse être considérée comme juste, au moins analogiquement, selon les termes de la doctrine catholique, comment y apprécier l’action de Charette ? Le général vendéen semble au premier abord plutôt hésitant, voire réticent, à s’impliquer dans le conflit : il n’est pas va-t-en guerre, bien au contraire. Par ailleurs, les premières confrontations avec les Bleus et leurs cruelles pratiques sont tout à l’honneur des Blancs : Charette accorde sa grâce aux prisonniers, alors que les révolutionnaires massacrent sans distinction combattants et civils, hommes, femmes et enfants.

Toutefois, la guerre avançant, face aux multiples tromperies de l’adversaire (le traité de la Jaunaye que Charette considère caduc après la mort de Louis XVII) et surtout à la cruauté de ses pratiques (les terribles Colonne de Turreau), le général vendéen semble adopter des pratiques de plus en plus proches de celles des révolutionnaires, jusqu’à violer le droit de la guerre en mettant à mort ses prisonniers.

Ce qui se comprend humainement dans le contexte psychologique de la longue lutte, de l’épuisement des forces combattantes et de la trahison des alliés de Charette, pose toutefois la question de la possibilité d’une guerre juste. En effet, si un conflit doit répondre aux trois conditions posées par saint Thomas pour entrer dans le cadre admis de la légitime défense, encore doit-il être mené selon des règles d’humanité et de charité, respecter toujours un exercice proportionné de la violence : un cure-dent ne se combat pas à coup de grenades. Si les Vendéens apparaissent certainement dominés au niveau militaire, et par-là même réduits à une ingénieuse guerre de bocage, inventant presque la guérilla moderne, rien ne pouvait légitimer un débordement au-delà des normes que la charité demande de conserver, dans le contexte paradoxal de la guerre.

« Vaincre ou mourir » nous offre ainsi l’occasion d’une réflexion renouvelée sur le thème de la guerre, à l’heure où ce terrible trouble-fête, digne progéniture du péché originel, s’invite à nouveau sur le sol européen. Un conflit est loin d’être toujours légitime dans ses motifs, et alors même qu’il semblerait l’être, encore doit-il être mené selon la mesure de règles bien précises, pour pouvoir être qualifié de guerre juste. Tel est l’éclairage indispensable de la théologie catholique et de saint Thomas d’Aquin, dont le développement sur la guerre se trouve, rappelons-le, dans le traité de la charité.

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