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Résurrection et résurrections (1/2)

« On peut être arraché à la mort de deux manières » écrit saint Thomas d’Aquin. Comment distinguer la résurrection du Christ du rappel à la vie de Lazare, du fils de la veuve de Naïm… Et que comprendre lorsque saint Matthieu rapporte que la mort de Jésus fut suivie de la résurrection de nombreux saints, qui furent vus dans la ville par beaucoup ?
Retrouvez ici la deuxième partie de l’article

Une première distinction

À propos de la résurrection, qu’il définit comme « le retour de la mort à la vie, » saint Thomas distingue deux cas.

– Si l’on est ramené à la vie dans les mêmes conditions que précédemment (soit à la vie mortelle), il s’agit d’une résurrection imparfaite, qui n’arrache qu’à la mort actuelle, sans pour autant en préserver définitivement.

– Si en revanche on est ramené à la vie en étant délivré de la nécessité même, et de la possibilité, de mourir, alors la résurrection est vraie et parfaite, car la mort n’a alors plus aucun pouvoir.

L’argument que donne le docteur pour effectuer cette distinction est tiré de saint Paul : « le corps est mort à cause du péché[1]Rm 8, 10. » Ainsi après le péché originel, seule la préservation totale du péché fonde la libération absolue du corps à l’égard de la mort. Bien que le Docteur Angélique ne semble pas avoir expressément enseigné l’Assomption de la Vierge[2]Ce que reconnaît Pie XII dans la Constitution Apostolique Munificentissimus Deus du 1er novembre 1950, n°31, cet argument éclaire d’une profonde lumière théologique et relie les derniers dogmes mariaux proclamés par l’Église : Immaculée Conception et Assomption.

Puisque Lazare, le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïre, plus tard Tabitha (Ac 9, 36-42) et le jeune Eutyque (Ac 20, 6-12) ressuscités par saint Pierre et saint Paul, ou encore les ressuscités de l’Ancien Testament (le fils de la veuve de Sarepta avec Elie, le fils de la Sunamite avec Elisée) sont revenus à la vie corporelle sans être constitués en grâce de manière définitive, c’est à dire sans être absolument préservés du péché. Leur nouvelle condition était semblable à l’ancienne, peccable, donc mortelle. Le Christ ressuscitant des morts est donc le premier à parvenir à cette condition nouvelle, à cette vie pleinement immortelle : « Le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus » (Rm 6, 9). Il est le premier à ressusciter parfaitement, et ainsi saint Paul peut le proclamer « prémices de ceux qui se sont endormis » (1Co 15, 20).

Une question délicate

Une autre question peut se poser à ce stade, dont la réponse semble plus ardue encore. Quelle a été la mort de ces miraculés, et quel a été durant cet intervalle le séjour de leur âme ? Les évangiles attestent avec force de la réalité de leur mort (« ” Otez la pierre “, dit Jésus. Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : ” Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là. ” » Jn 11, 39). On ne peut en douter sans remettre en cause le témoignage des apôtres, et sans diminuer considérablement la portée du miracle.

Que s’est-il passé pour Lazare durant les quatre jours passés au tombeau ? Son âme est-elle descendue provisoirement aux Enfers, dans ces Limbes où les âmes des justes et des patriarches attendaient la résurrection ?

Pour le cas de Lazare, saint Thomas témoigne dans son Commentaire du IVe Livre des Sentences que son âme est, selon l’opinion commune, « descendue au limbe[3]Le docteur cite notamment dans ce sens saint Augustin, cf. Commentaire du IVe Livre des Sentences, d. 45, q. 1, a. 2, qla 2, sed contra 2. »

Cette hypothèse peut sembler séduisante pour le cas de Lazare, du fils de la veuve, et des autres personnes ressuscitées avant le matin de Pâques (Ancien Testament et évangiles), accomplissement du mystère de la Rédemption, qui permet la communication aux fidèles de la béatitude plénière.

Qu’en est-il en revanche de ceux qui auraient été ressuscités après cela, dans l’économie de la nouvelle alliance (par exemple les deux cas mentionnés dans les Actes des Apôtres, ou les nombreuses résurrections rapportées par l’intercession des saints) ? Posons les principes théologiques avant de formuler quelques hypothèses, et de proposer une solution.

Premier principe : il semble difficile d’envisager que ces âmes aient pu être réellement séparées de leur corps et connaître par anticipation le séjour du Paradis ou de l’Enfer, puisque ces fins dernières sont éternelles et immuable, ou celui du Purgatoire, puisque ces âmes n’ont pas nécessairement mérité les souffrances liées à ces purifications.

Ajoutons que l’Église enseigne positivement que l’âme séparée du corps est immédiatement fixée dans sa destinée éternelle, qui lui est signifiée par le jugement particulier[4]Catéchisme de l’Église Catholique, n°1022, voir à ce sujet les éclaircissements de l’abbé Berger de Gallardo.

Quelques hypothèses…

 – Une hypothèse qui semble au premier abord aisée serait de poser la question de la nature de ces résurrections : s’il s’agissait simplement d’une réanimation, d’une sorte de réveil après un coma profond, la question du séjour de l’âme ne se pose pas, pas plus qu’elle ne se pose à nous après une bonne sieste[5]Dans le cas d’Eutyque (Ac 20, 6-12), tombé de la fenêtre durant un (long) discours de saint Paul, l’Apôtre le ramène immédiatement à la vie, déclarant même « Ne vous troublez pas, car … Continue reading. Il semble toutefois difficile de réduire de la sorte ces miracles, sans diminuer profondément la portée du sens littéral de l’Écriture et sans poser une limite à la toute-puissance divine.

– Qu’en est-il de l’hypothèse théologique des Limbes, où seraient accueillies les âmes des petits enfants morts sans baptême ? Leur existence n’a jamais fait l’objet d’une proclamation dogmatique[6]On trouvera une excellente présentation de cette hypothèse souvent mal comprise aujourd’hui dans les deux articles de l’abbé Berger de Gallardo.. Un séjour temporaire dans ce lieu de bonheur naturel aurait-il pu être envisageable, même pour des âmes qui demeuraient foncièrement appelées à la grâce divine ? Faudrait-il alors y voir un argument supplémentaire en faveur de cette hypothèse théologique ? Mais le séjour des Limbes n’implique-t-il pas lui aussi de passer par une forme de jugement particulier ?

– Qu’en pensait saint Thomas ? La question n’est pas traitée de front dans son œuvre. On peut certes remarquer que le docteur emploie souvent des mots différents pour parler de la résurrection du Christ et de la résurrection des corps à la fin des temps, et des cas de miracles rappelant certaines âmes à une vie encore imparfaite. Lorsqu’il parle de Lazare, saint Thomas use ainsi volontiers du terme « suscitatio » (réveil), plutôt que « resurrectio. » Notons cette distinction, sans en déduire avec certitude que l’Angélique n’ait vu dans ces miracles que de simples « réveils. »

– Posons encore une hypothèse, qui irait dans ce sens : le sort des âmes provisoirement séparées de leur corps, et miraculeusement rappelées à la vie, pourrait-il être rapproché des cas de plus en plus nombreux et documentés d’expériences de mort imminente (EMI) ? Il semble que les âmes y vivent un phénomène de « décorporation » s’apparentant partiellement à la mort (séparation de l’âme et du corps), ainsi qu’une expérience qui évoque souvent la perspective d’un jugement, sans toutefois basculer réellement de l’autre côté et être fixées dans leur destin éternel[7]On pourra approfondir cette question des expériences de mort imminente avec l’excellente présentation de l’abbé Vernier dans l’épisode 18 du Parcours Apologetica. Cette hypothèse nous semble toutefois insuffisante, notamment en ce qu’elle risque d’oblitérer la distinction stricte entre ces expériences – qui restent du domaine purement naturel – et les miracles de résurrection, qui sont proprement surnaturels. Ajoutons que le statut des EMI reste aujourd’hui largement incertain et sujet à débat : pour certains médecins, il ne pourrait s’agir que de mécanismes purement psychologiques où l’esprit fait face à des situations de stress intense en produisant des représentations particulièrement consolantes, les plus puissantes étant naturellement souvent issues du réservoir de l’imaginaire religieux.

De nombreuses hypothèses, qui n’apportent pas de solution satisfaisante. Que penser alors ? Comment éclairer cet aspect du mystère pascal, ces résurrections temporaires qui annoncent la résurrection définitive ? Nous tenterons dans un prochain article de considérer quelques cas, et de prendre du recul pour apporter une conclusion théologique.

Références

Références
1 Rm 8, 10
2 Ce que reconnaît Pie XII dans la Constitution Apostolique Munificentissimus Deus du 1er novembre 1950, n°31
3 Le docteur cite notamment dans ce sens saint Augustin, cf. Commentaire du IVe Livre des Sentences, d. 45, q. 1, a. 2, qla 2, sed contra 2
4 Catéchisme de l’Église Catholique, n°1022, voir à ce sujet les éclaircissements de l’abbé Berger de Gallardo
5 Dans le cas d’Eutyque (Ac 20, 6-12), tombé de la fenêtre durant un (long) discours de saint Paul, l’Apôtre le ramène immédiatement à la vie, déclarant même « Ne vous troublez pas, car son âme est en lui » (Ac 20, 10). Dans le cas parallèle de Tabitha (alias Dorcas, Ac 9, 36-42) en revanche, il semble que la mort ait été bien réelle. Lorsque saint Pierre, rapidement prévenu, arrive de Lydda à Joppé (deux villes situées aujourd’hui dans la banlieue de Tel Aviv, distantes d’une vingtaine de kilomètres), la défunte est déjà lavée et repose sur son lit de mort. Les termes qu’emploie saint Luc – le médecin – sont clairs et sans équivoque. Notons cependant que la construction littéraire du passage fait un lien évident avec la résurrection de la fille de Jaïre (rapportée par le même saint Luc en Lc 8), que Jésus introduit en renvoyant les pleureuses (également présentes autour de Tabitha) et en annonçant : « elle n’est pas morte, mais elle dort » (Lc 8, 52).
6 On trouvera une excellente présentation de cette hypothèse souvent mal comprise aujourd’hui dans les deux articles de l’abbé Berger de Gallardo.
7 On pourra approfondir cette question des expériences de mort imminente avec l’excellente présentation de l’abbé Vernier dans l’épisode 18 du Parcours Apologetica
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